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Billet de blog 30 juin 2022

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Boyard et le RN : de la poignée de main au Boy's club

Hier, lors du premier tour de l’élection à la présidence de l’Assemblée nationale, Louis Boyard, jeune député Nupes, a décliné la main tendue de plusieurs députés d’extrême droite. Mais alors pourquoi une simple affaire de poignée de main a-t-elle déclenché les cris, les larmes et les contestations ulcérées de nombres de messieurs ?

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Depuis hier une polémique tourne en boucle à la télévision et provoque de vives réactions parmi la classe dirigeante… Il ne s'agit pas du discours servit par le député RN José Gonzalez doyen de l’Assemblée, lançant qu’il n’était : « Pas là pour juger si l’OAS a commis des crimes » qui fait l'objet d'une tempête médiatique. L'affaire qui fait la une des JT est celle d'une poignée de main… Mercredi 29 juin 2022, lors du premier tour de l’élection à la présidence de l’Assemblée nationale, Louis Boyard, jeune député Nupes, a décliné la main tendue de plusieurs députés d’extrême droite. Un geste qui rappelle un temps pas si lointain où l’extrême droite était infréquentable et ce, même par la droite…

En effet, il y a vingt ans, Jacques Chirac refusait le débat avec Jean-Marie Le Pen pour ne pas « banaliser » ses idées. Mais aujourd’hui la tolérance envers ce parti créé par des SS semble avoir changé et nombre de médias crient à l’esprit antirépublicain face au refus affiché par Boyard de coopérer. Hier et ce matin, Robert Ménard faisait la tournée des plateaux de télévision en gesticulant et en hurlant sur sa chaise : les insultes contre Louis Boyard fusent. Ménard le traite de « crétin », de « zigoto », de clown, « d’antifasciste d’opérette », le tout dans une volonté paradoxale de dénoncer l’attitude de Boyard qu’il juge irrespectueuse et antirépublicaine… Mais alors pourquoi une simple affaire de poignée de main a-t-elle déclenché les cris, les larmes et les contestations ulcérées de nombres de messieurs ?

Pour le comprendre, il est important de situer culturellement la poignée de main et la recontextualiser dans le milieu politique. Premièrement, le fait de tendre la main à un collègue sert à l’assurer de nos bonnes intentions, c’est un geste amical. Jadis, serrer la patte avait pour but de montrer à autrui que nous ne tenions pas d’armes et qu’il était donc à l’abri d’une attaque furtive. Bref, la poignée de main signifie que nous souhaitons nous lier avec un autre humain dans la bienveillance, la coopération et le respect. Ça, c’est pour la théorie, mais dans le monde politique (ou d’autres sphères de pouvoir), la poignée de main à d’autres fonctions et peut exprimer bien plus que cela.

Je ne vous surprends guère ici, en rappelant que le serrage de pinces fût d’abord et longtemps une pratique exclusivement masculine. Or derrière ce geste, il se joue souvent des petits jeux de pouvoirs et de dominations. Pour causes, la masculinité se base sur une hiérarchie des hommes sur les femmes, mais aussi des hommes entre eux. Ainsi, la poignée de main, sert parfois à classer verticalement les hommes, dans l'objectif de gagner le statut de dominant. C'est pourquoi l’on verra par exemple des dirigeants broyer la main d’un concurrent afin de l’écraser symboliquement. D’autres feront durer le geste en regardant l'adversaire dans les yeux jusqu’à ce que celui-ci lâche le premier… On dira d’un homme qui serre la main trop fort qu’il cherche à compenser un manque de virilité, mais dans le même temps la poigne doit rester un geste vigoureux et viril. Il est attendu que la poignée soit franche, ferme et surtout pas « molle », afin de correspondre à l’imagerie phallique, laquelle est elle-même un attribut du pouvoir. 


Dans le monde politique bien souvent, le dirigeant du pays le plus « puissant » aura sa main par-dessus celle de son homologue pour montrer sa prééminence. Il pourra également tapoter l’épaule de l’individu, recouvrir la poignée de son autre main ou tapoter celle-ci pour manifester une attitude paternaliste de supériorité. On qualifie même de duel politique les poignées de mains entre chefs d'État. Par exemple, en 2017, le New York Times consacrait un article à ce geste diplomatique entre Trump et Macron. L’éditorialiste commente : « Mâchoires serrées, visage alternant entre sourires et grimaces, ils se sont serré la main jusqu’à ce que les jointures de monsieur Trump pâlissent. Il a essayé de retirer sa main, mais monsieur Macron a agrippé sa main encore plus fort et a continué à la serrer. Finalement, la seconde fois, Donald Trump s’est retiré et Emmanuel Macron l’a laissé partir. ». Les experts sont alors unanimes, Macron « a gagné le duel ».

Nous l’avons déjà dit, mais il est nécessaire de le rappeler, traditionnellement la poignée de main est un jeu viril entre hommes. Angela Merkel, n’a par exemple pas eu le droit à la fameuse poignée de main de Donald Trump et l'histoire diplomatique regorge de politiciennes et diplomates s'étant vu refuser ce geste parce qu'elles sont femmes. Cela s’explique, car le serrage de main est plus qu’un simple geste de politesse, il s’agit symboliquement de reconnaître l’autre comme un futur partenaire à qui on laisse une porte ouverte dans son clan. Une porte ouverte au sein du cercle de pouvoir usuellement masculin, que l’autrice et professeur de littérature Martine Delvaux nomme Le Boy's club. Ainsi, le serrage de main provoque autant d'émules dans la presse précisément parce que l’on y voit un signe important qui signifie : « bienvenue au club ». Pour reprendre l’expression de Mathilde Viot dans son livre Les hommes politiques, moi j’en fais du compost, ce geste signifie à l’autre qu’il fait officiellement partie de « la ligue des frères ». 

En bref, la poignée de main atteste d'une certaine forme de fraternité, se voulant plus forte que les petites querelles politiques : l’homme à qui l’on serre la main fait publiquement et officiellement partie de la famille. En déclinant la main des député•es du RN, Louis Boyard refuse le compromis et d’identifier une filiation avec les députés RN. Pour Boyard l'extrême droite ne peut-être des pairs appartenant à la fratrie politique. C’est une façon d’affirmer ostensiblement : « À mes yeux vous ne valez même pas la poigne, le rapport de force et le duel politique, car je ne sympathise pas avec l’extrême droite, je la combats ». Je remarque également que la couverture médiatique autour de cette affaire n'a que peu relevé le fait que la députée Danièle Obono a elle aussi a refusée de serrer la main au RN. Et ce, car pour eux l'enjeu est moindre puisqu'elle n'appartient pas directement au Boy's club.

Cette polémique renvoie donc aux rapports de pouvoirs existants au sein de l’hémicycle dans un contexte où l’extrême droite cherche à faire sa place dans la grande famille politique française. Le RN — et ses 89 députés — tentent ici de s’intégrer dans les formes, mais aussi unanimement à la ligue des frères. L'enjeu pour l'extrême droite est bien de sortir du statut de fils illégitimes, afin de s’imposer comme une force politique ordinaire, acceptable et même familière. Un pari qui semble bien fonctionner à l’exception de quelques voix dissonantes que leurs partisans (pour ne pas dire les chiens de garde) s’empressent de dénoncer bruyamment…

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