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Billet de blog 2 avril 2023

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Entre guerre et paix : retour sur la période "hippie"

Lorsque nous pensons au mouvement anti-guerre, nous avons dans notre imaginaire une image qui nous revient à l’esprit assez couramment parce qu’elle a marqué toute une génération : celle du mouvement dit « hippie ». Mais en réalité, ce mouvement générationnel n'était que les prémices très désordonnées d'une renaissance intellectuelle très critique et contestataire.

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Au source de cette réflexion, se trouvent de nombreux questionnements et un sentiment d'impuissance face aux événements qui ont lieu en Ukraine. Pour ne pas nous laisser enfermer dans une perception uniquement militariste de la guerre en Ukraine, il m'a semblé intéressant de revenir sur cette période de gestation intellectuelle et contestataire que furent les "années hippie". Pourquoi les années hippie ? Déjà parce que personnellement, elles m'ont toujours fasciné, peut-être parce que dans ma jeunesse j'en ai vu quelques "spécimens" intéressants.  D'autre part parce que j'ai toujours été dérangé par l'image figée qu'offraient les médias sur les "hippies", des stéréotypes faciles "peace and love" aux communautés très candides et naïves forcément destinés à l'échec. Or, ce qui a caractérisé le mouvement hippie avant toute chose, c'est qu'il était sans l'avoir véritablement pensé un grand laboratoire d'innovations générationnelles de la pensée critique et de la contestation contre toute forme d'oppression et d'aliénation. C'est en tout cas l'hypothèse que je défends ici librement et sans contraintes. Il me semble que revenir sur ces années prolifiques pourrait beaucoup nous en apprendre sur les formes que nous pourrions adopter pour contester la guerre en Ukraine. Cela va un peu (beaucoup) à contre courant de tous ceux qui défendent l'idée que la seule solution pour arrêter la guerre est de faire la guerre. Ce sont des pistes de réflexion que nous devons, je pense, collectivement abordées.

Le cinéma nous donne souvent une représentation du mouvement hippie assez lacunaire, voire caricaturale, en laissant de côté même les contradictions internes qu’il pouvait y avoir dans ce mouvement pourtant très protéiforme. En réduisant tout un mouvement anti-autoritaire et anti-guerre en une représentation monomorphe, les médias en ont réduit toute la porté critique. C’est un processus de normalisation d’un mouvement contestataire assez classique dans notre civilisation industrielle dominée par de puissantes structures médiatiques privées : les structures médiatiques labellisées et toujours plus contrôlées par les classes dominantes créent une iconographie publicitaire, transforment tout en « mode », nous pourrions même dire, inscrit des images de la contestation dans une série de représentation d’un classicisme très bourgeois toute une période historique de l’histoire populaire. Ainsi, par exemple, il devient très « in », très honorable au regard des classes dominantes, d’aller voir le spectacle « Hair » tout en évitant de rappeler la portée initiale de ce spectacle anti-guerre, très critique vis-à-vis d'une bourgeoisie ronflante et autoritaire. Il en est de même du jazz. Le jazz contestataire, né dans les années 50, est devenu un objet de la culture majeure appropriée par les classes dominantes réduisant la portée politique de ces créations artistiques à un objet de mondanité bourgeoise. Ou encore, nous pouvons observer la « récupération », plus exactement, l’appropriation de l’iconographie hippie : des musiques de Janis Joplin, de Jimmy Hendrix, ou d’autres artistes identifiés peut-être outrancièrement comme « hippie », dans des spots publicitaires. Janis Joplin est même morte d’avoir été exploitée comme icône commerciale d’une génération très révolutionnaire. Manipuler des jeunes gens pour leur faire faire n’importe quoi, c’était déjà une méthode assez répandue dans les grands Labels. C'est encore une réalité aujourd'hui.

Le mouvement dit « hippie » était contemporain des brigades rouges, des groupuscules d’action directe, des grands mouvements ouvriers plus classiques, des luttes anti-capitalistes et anti-guerres, de l’émergence de l’écologisme social, d’un anarchisme très anti-autoritaire, de l’émergence d’un féminisme populaire très combatif, de la contestation anticoloniale et d’un mouvement ouvrier d’une force inégalée depuis. L’héritage de cette période révolutionnaire est encore très vivant aujourd’hui et très sous-estimé parce que trop souvente réduite à son iconographie. Les grands médias réduisent souvent cet héritage à un contexte de guerre froide et de conflit entre un Est communiste et un Ouest capitaliste alors que les réflexions politiques, sociologiques, philosophiques, critiques, de cette période, embrassaient toutes les dimensions de la vie et surtout faisait une critique radicale de l'autoritarisme politique et patriarcale.

Les mouvements contestataire multi-formes de cette période d’après la seconde guerre mondiale (80 millions de victimes, faut-il le rappeler?) ont été d’une profondeur, d’une créativité et d’une richesse peut-être inégalée dans toute l’histoire des mouvements sociaux. En filigrane, il y avait donc le spectre de la deuxième guerre mondiale et le désir profond des populations de ne plus jamais revivre ça. En réduisant cette période contestataire lumineuse à un conflit entre deux blocs opposés, capitalisme vs communisme autoritaire, les classes dominantes éclipsent la force sociale, solidaire, fraternelle, féministe, transfrontalière, écologique, communiste libertaire, pacifiste, révolutionnaire et joyeuse que représentaient ces années combatives et critiques.

Le mouvement hippie a démarré avant tout sur un conflit générationnel dans un contexte de guerre du Vietnam traumatisant et de menace de guerre nucléaire entre les deux blocs « Est/Ouest ». Une jeune génération s’opposait aux valeurs morales normatives dominantes qu’ils considéraient comme oppressives en proposant à l’opposé de nouvelles formes de socialisations communautaires basés sur une idée de famille moins binaire. Les hippies faisaient souvent référence à Jésus, considéré comme le premier hippie de l’histoire et s’intéressait à toutes les formes de spiritualités. Certaines expériences communautaires, il faut le rappeler, furent très sectaires et débouchèrent sur des échecs cuisants : abus sexuels, manipulations mentales, et destructions des individus. Cette forme assez lacunaire de protestation se structura aussi contre la société de consommation. Le mouvement hippie ne pouvait pas perdurer tellement il était basé sur une réaction très irrationnelle d’une jeunesse en recherche de sens avec de nombreuses dérives vers un sectarisme parfois destructeur. C’est pourquoi, sans faire une rupture directe, nous pouvons penser que la mort du mouvement hippie (annoncée en 1967 par des étudiants dans une Université américaine) était en réalité une renaissance en réaction aux dérives observées. La nécessité d’une autocritique et de produire des pensées plus construites, plus politiques, plus critiques et plus rationnelles émergea alors qu’un mouvement ouvrier internationaliste de protestation était en plein essor, qu’un féminisme renouvelé apparaissait sur la voie publique et que les réflexions sociologiques sur la reproduction des systèmes de domination apportaient de nouveaux éclairages. Nous pourrions dire que le mouvement hippie était en réalité une période intermédiaire de gestation d’innovations sociales, culturelles et des formes de lutte en devenir. Les années 70 furent dans ce sens très prolifiques.

Les mouvements féministes : des hippies ?

Très souvent, lorsque l’on parle des « hippies », les médias font références aux prophètes psychédéliques qui faisaient l’apologie des expériences « psychotropiques ». Il serait faux de dire que ce n’était pas l’une des particularités du mouvement hippie d’avoir fait l’apologie de ces pratiques psychotropiques en expérimentant les effets de champignons hallucinogènes et du LSD. Ces dérives du mouvement hippie firent de nombreux dégâts parmi la jeunesse avec parfois des abus sexuels, des comportements déviants absolument pas défendables. Mais en vérité, si ces dérives étaient particulièrement spectaculaires et ont marqué les esprits, elles furent assez marginales et en filigrane se déroulait une toute autre histoire : une grande renaissance intellectuelle critique et contestataire avec une jeunesse très informée, critique et cultivée. Un féminisme renaissant émergea de ce grand brouhaha « hippie ».

Les questionnements sur le féminisme dont était porteur de nombreuses femmes inclues dans ces mouvements anti-guerres firent éruption sur la voie publique comme jamais auparavant. L’une des personnalité phare aux États-Unis du féminisme était Kate millet. Contemporaine de nombreuses autres personnalités qui ont influencé la jeunesse dans les années 60 et 70, cette anthropologue publia un ouvrage qui devint très rapidement la feuille de route d’un féminisme très combatif : « La politique du mâle » (« Sexual Politic », 1969).

Elle eut une grande influence sur la Révolution Queer. Elle-même victime lorsqu’elle était jeune d’un père alcoolique et violent, elle consacra une bonne partie de sa vie à la critique du patriarcat.

Le mouvement hippie fut aussi très influencé par l’histoire des communautés utopistes du XIXe siècle, dont, entre autres, les fameux phalanstères. Ces communautés utopiques inspirées du socialiste utopiste français Charles Fourier furent nombreuses à s’installer en Amérique pour tenter des expériences sociales novatrices. Le mouvement hippie fut très inspiré par ses expériences utopistes passées et beaucoup tentèrent des expériences communautaires similaires très souvent avec une forte critique contre l’autoritarisme patriarcal et selon des préceptes du socialisme utopiste : jardins communautaires, partages, critiques des schémas amoureux classiques imposés par une morale religieuse sclérosée, anti-militarisme, autogestion.

Écologiste avant l’heure, artiste, réalisatrice, anti-guerre et pacifiste, précurseur d’une révolution Queer, Kate Millet créa sa propre communauté dans une ferme rénovée collectivement avec d’autres femmes. Cette communauté de femmes artiste fut baptisée « Women's Art Colony Farm ».

(voir ici : https://www.editionslibertalia.com/catalogue/poche/kate-millett-pour-une-revolution-queer-et-pacifiste)

Ces expériences utopistes se multiplièrent dans toute l’Amérique et en Europe.

Kate Millet fut aussi une grande critique des institutions totalitaires qu’étaient les institutions psychiatriques dont elle a été elle-même victime.

Trop souvent oubliée, Kate Millet fut l’une des figures majeures des années post 68 et surement l’une des personnalités les plus représentatives de ce qu’était cette période dite « hippie », une période de critique radicale, anti-fasciste et sans concessions d’une société autoritaire et mortifère dont surgirent de nombreuses nouvelles formes de contestation et de grandes innovations en termes de lutte, de perspectives sociales et culturelles.

Elle ne fut pas la seule à avoir une grande influence sur la jeunesse dans les années 60-70. Adrienne Rich fut une autre femme, lesbienne, poète, et grande penseuse du mouvement de libération des femmes, qui eut une grande influence sur les mouvement sociaux et communautaires de cette période. Elle remit radicalement en question le modèle hégémonique de l’hétérosexualité abordant ainsi des sujets extrêmement tabous dans une Amérique fortement ancré dans un christianisme très conservateur. Elle fut l’une des principales défenseuses de la notion de «  Libération des femmes » qu’elle considérait comme un processus de libération des facteurs sociaux, économiques et culturels oppressant les femmes. (https://journals.openedition.org/gss/1938)

Adrienne Rich and Dionne Brand in Conversation © feminist vhs archive

Voir à propos des mouvements de libération des femmes des années 70 aux Etats-Unis l’excellent article publié ici par « étudiant-e-s socialistes » sur le site ecosocialiste :

https://esocialistes.org/2018/10/16/usa-les-lecons-du-mouvement-de-masse-des-femmes-des-annees-60-et-70/

Voir aussi sur le site Cairn : https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2012-2-page-25.htm

(à suivre)

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