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Billet de blog 7 février 2025

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La montagne aux secrets (La République Sauvage)

Je viens de visionner l'ensemble de la série "La montagne aux secrets" (titre original : Wild Republic). Je suis déjà surpris par le titre français "La montagne aux secrets", alors que Wild Republic, titre original (la République sauvage), me semblait beaucoup plus explicite sur les intentions des auteurs. Petit billet modeste sur une critique sociale et politique.

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Je conseille de regarder la série avant de lire cette critique mais lire cette critique auparavant est aussi une entrée pour voir la série autrement. Cette série, selon certains critiques, serait inspirée du roman bien connu "Sa majesté des mouches". Mais cette comparaison me semble réductrice et le récit du "Sa majesté des mouches" ne me semble pas relater les mêmes problématiques que "La République Sauvage". Ce n'est pas la question de "qui prend le leadership" d'un groupe de jeunes gens perdus dans l'immensité de l'océan ou de la montagne, mais beaucoup plus un prétexte pour rentrer dans la profondeur de l'histoire sociale et psychologique de chaque protagoniste en dessinant une série de portrait criminel. J'ai beaucoup plus ressenti cette série comme un écho critique sur la fameuse série "En thérapie". Ici, ce n'est pas simplement la psychologie individuelle de chaque sujet, mais il s'agit plutôt d'aborder des trajectoires sociales et éducatives différenciées qui mènent inexorablement à vivre la violence malgré soi. Mais il y a un personnage étrange, une sorte de serial killer dont le goût du crime serait quasiment inné, ce personnage pervers représente cette partie inexpliquée ou encore mal compris de criminels démoniaques, froids, obsédés par la mort. Avec lui, on est dans un registre de démence précoce et de folie morale. Son cas dépend de la psychiatrie. Cependant il nous questionne sur notre propre moral, sur la folie de notre société, sur le sens même de la justice et de la vie. Ce "monstre" nous met en relief.

J'espère sincèrement qu'il n'y aura pas de saison 2. Car cette première saison se suffit à elle-même et les points d'interrogation finales sont la signature des grandes œuvres. Lorsqu'un film ou une série se termine par des questionnements, que l'on reste à la fin hagard, que l'on n'est pas sure du sens de ce que l'on a vu, qu'on a l'estomac à l'envers et que l'on essaie d'imaginer la suite ou de comprendre la symbolique, c'est que les auteurs ont réussi leur coup.

Ce qui m'a décidé à ouvrir un billet de blog pour parler de "La République sauvage", c'est la pauvreté des rares critiques médiatiques que j'ai pu lire par-ci, par-là, rapidement. "Thriller psychologique", approche "psycho-sociale", "bon suspens"... Prenons la critique de Télérama, j'avoue je n'ai pas tout lu, je n'ai vu que le premier paragraphe, je ne suis pas abonné à ce journal : "Une dizaine de jeunes délinquants intègrent un dispositif pilote conçu par un psychologue, qui veut démontrer l’inefficacité de la répression." dit la critique. Or, le dispositif n'est pas là pour "démontrer l'inefficacité de la répression", mais plus exactement "l'inefficacité de la punition", l'imbécilité de répondre à la violence par la violence. Ce film aborde avant tout le dressage des corps, le dressage des esprits, la violence incorporée depuis la plus tendre enfance et à travers le temps et les expériences négatives, et enfin les effets délétères et même la perversité de la punition. Mais même en disant cela, nous appauvrissons la complexité des thématiques abordés par cette série, peut-être même y a-t-il trop de thèmes, mais c'est aussi la qualité des séries cinématographiques qu'offre la télévision actuellement, nous rentrons dans une dimension romanesque que n'avait pas forcément le cinéma auparavant parce que les auteurs disposent de temps pour développer un récit et donc des réflexions, des concepts, des questionnements.

Je ne vais pas vous raconter l'histoire, mais vous parlez du fond. Dans cette série, certes, nous découvrons la trajectoire de différents personnages clés : une jeune femme de quartier défavorisée exploitée par son "copain" impliqué dans des réseaux de prostitution, une jeune femme née dans une famille d'agriculteur très "traditionnel" avec un père nationaliste, fasciste, ses proches poursuivent les migrants pour les rouer de coups, un jeune homme issu de la haute bourgeoisie traumatisé par la mort de sa mère dans des circonstances étranges,  révolté contre sa classe et contre son père à l'autorité abusive, militant anarcho-écolo,  une jeune femme lesbienne dont les auteurs n'ont pas trop développé la trajectoire mais on devine des stigmates "parce qu'elle a deux mères", un jeune homme enfant d'immigrés dont le père vit chichement (il assiste à sa mort en direct pendant son enfance, tué par une mafia locale parce qu'il ne pouvait pas payer leur "protection") et qui a voulu se sortir de la misère en participant à des combats clandestins, une autre jeune femme avec une mère catholique intégriste abusive et violente, cette fille a dévié vers les réseaux sociaux à la recherche éperdue de reconnaissance, elle devient addict aux réseaux comme à la drogue, un jeune homme perdu dans une banlieue avec des problèmes relationnels et affectifs... Puis, il y a ce personnage hors du commun, celui qui est réellement irrécupérable, une sorte de monstre dont on ne comprend pas trop comment on a pu donner naissance à un tel prototype de criminel, il incarne d'une certaine manière le dirigeant d'un camp de concentration qui jouirait à la vue des souffrances de ses victimes brûlés, gazés, martyrisés, violentés... Il est malade, gravement malade et dangereux pour la société. Il a clandestinement intégré le groupe. Quel groupe ? Ce groupe a été créé par un professeur pour tenter une expérience inédite avec de jeunes "délinquants" en partant à l'aventure dans la montagne afin de tenter de provoquer une rupture, une petite révolution dans la perception que ces jeunes gens ont de la vie, pour briser, finalement, des trajectoires sombres et essayer de trouver une lumière quelque part, "un nouveau départ".

Vous commencez à comprendre l'ampleur de l'entreprise romanesque des auteurs. Beaucoup de sujets sont abordés, peut-être trop, ce qui fait qu'à la fin, on ne sait plus trop de quoi il s'agit. Mais c'est aussi la richesse de cette série. On ne peut pas tout dire dans un film, dans un roman, ou dans une série, on ne peut que donner quelques clés, quelques entrées, quelques indices.

Il y a un (beaucoup de !) sujet (s) politique (s) : la série aborde le problème du fascisme, de la violence d'extrême droite et la superpose avec la violence incorporée, avec plus ou moins d'intensité, par chacun d'entre-nous au cours de notre éducation et dans notre milieu social. Cette série intègre les problématiques de classe sociale en abordant le récit d'un jeune personnage issu de la haute-bourgeoisie, ce choix donne du relief à l'histoire et questionne le spectateur. Cette série nous rappelle finalement que chacun d'entre-nous avons pu incorporer des schémas violents à notre insu par les effets de notre éducation, de notre trajectoire, de nos "mauvaises rencontres", de notre environnement social et de notre entourage.

Il y a un (beaucoup de !) sujet (s) sociologique (s) : la justice ne peut pas opérer correctement s'il n'y a pas de dispositifs variés et efficients pour répondre aux condamnations de la façon la plus appropriée possible : éducatif, isolement, suivi psychologique, thérapeutique, socialisation, compréhension sociologique... La série pose la question sur la responsabilité de la société sur la génération de violence, sur les dérives violentes, sur toute la criminalité dans sa complexité : du fanatisme religieux au fascisme en passant par la société de consommation et d'hypermédiatisation avec toutes les dérives possibles que nous connaissons aujourd'hui sur les réseaux sociaux (l'un des personnages symbolisent ces questions), la violence patriarcale et le capitalisme, la prostitution et les violences sexuelles. Tous les sujets y passent.

Les sujets psychologiques ne sont pas aussi centraux que certains l'auront compris, mais ils sont là aussi, et "Justin", le personnage le plus chaotique du groupe me semble nous dire des intentions des auteurs : "non, nous n'avons pas oublié qu'il y a des personnages dangereux pour la société et que nous ne pouvons pas "guérir" leur folie meurtrière parce qu'ils sont atteints d'une maladie mentale incurable dont on ne connaît pas toujours les causes. Dans le même temps, ce personnage nous rappelle que nous avons tous au fond de nous une violence prête à surgir selon les circonstances, notre histoire et notre situation. Le comportement démoniaque de ce jeune homme nous met face à nous mêmes, à nos colères, à nos barrières morales, à nos pulsions, à nos "pétages de plomb". Cependant ce qui nous intéressait beaucoup plus, c'est la folie de la société dans laquelle on vit auxquels tous ces jeunes gens aimeraient échappés. Ainsi leur fuite dans la montagne symbolise une quête éperdue d'un autre monde, une utopie pour rompre avec un monde devenu fou. Un rêve..." Je crois qu'ils diraient quelque chose comme ça...

La série touche, impressionne, surprend, fait mal, dérange, questionne, retourne l'estomac.

Je ne dis pas que je détiens la vérité sur les intentions des auteurs. Certainement que beaucoup de gens auront vu des choses qui m'ont échappées ou que j'aurai mal comprises. Je n'ai pas envi non plus d'aller plus loin dans ce billet. Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire sur les qualités narratives, sur l'intrigue, sur les qualités et les références cinématographiques, etc. Mais ce n'est pas le sujet de ce billet.

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