Après avoir visionné un certain nombre d'heures des matchs des équipes féminines de l'OL et du Paris Saint-Germain, je ne m'intéressais guère au football féminin jusque là, j'avoue avoir pris un certain plaisir à découvrir des joueuses d'un talent indéniable. Je ne parle pas des "performances", je me moque bien de ce mot qui pollue aujourd'hui les esprits, mais de la beauté du geste, de la technique inégalable de beaucoup de joueuses, de leur incroyable vélocité et agilité... J'ai du démarrer par les bons matchs, puisqu'au début, je voyais des sourires sur le terrain, peu de fautes commises, une belle et grande solidarité... Puis très vite, ça s'est gâté et j'ai déchanté, mais je n'étais pas étonné. Tout ce que je déteste dans le football dit "moderne" était là aussi : joueuses poussées jusqu'à l'épuisement, au risque de provoquer des graves problèmes de santé comme nous l'avons déjà constaté dans le football masculin, agressivité encouragée, quitte à risquer de blesser gravement une joueuse adverse, adversité exacerbée au point de leur faire oublier à toute d'où elles viennent; ce qu'elles ont traversé ensemble, les manipulations dont elles ont été l'objet pour en faire des "performeuses", des guerrières prêtes à tuer l'adversaire. Le rêve de sortir de l'ombre et de la misère leur fait tout accepter.
Très rapidement, j'ai ressenti une douleur indéfinissable, ça me rassurait sur moi-même, je me disais que j'étais normalement sensible à la douleur des autres. De plus en plus clairement, à force de visionner les uns après les autres, les matchs du championnat, de l'UEFA, et quelques autres "amicaux", une colère est montée en moi. J'ai vu sortir du terrain une jeune joueuse pâle comme un cachet d'aspirine. Je ne saurais dire avec certitude pourquoi, je ne pouvais que supposer qu'elle avait dépassé toutes ces limites au point de s'en rendre malade. Cette joueuse était devenue au fil du temps l'une de mes préférées, j'étais alors d'autant plus touché : une joueuse très technique, très "joueuse", mais à qui, comme trop souvent dans le football dit "moderne", l'on demande sur les ailes beaucoup trop d'effort. Tout à coup, je comprenais mieux pourquoi, elle faisait parti de ces joueuses que l'on remarque tout de suite. Ces "ailiers" donnent tout sans compter jusqu'à s'effondrer, jusqu'à mettre leur santé en danger, rares sont celles et ceux qui jouent à ce poste à ce rythme sans prendre de produits. Donc, forcément, cette joueuse, on la remarque. Et alors là, on se dit "Merde. Mais ils vont la tuer". Et là, on a honte de s'être émerveillé de son talent. Une honte normale si l'on a encore un peu d'empathie.
J'ai eu alors cette vision qui m'est venue à l'esprit du "dressage des corps" des joueuses. Je voyais un dressage dure, accepté parce qu'elles veulent sortir de l'ombre, de l'ornière, de la misère, parce qu'elles veulent briller jusqu'au point d'avoir un agent prêt à passer à l'acte en tentant d'intimider une concurrente directe. Je découvrais alors en vidéo des "méthodologies" de dressage des corps établis par des formateurs sans vergognes. Tout d'abord, "il faut encourager le plaisir de jouer, le "beau jeu" pour ne pas les décourager. Puis, il sera toujours assez tôt, lorsqu'elles auront signé dans les institutions totalitaires que sont les grands clubs de foot, de les dresser à tacler une camarade en lui marchant sur les mains, en lui mettant un coup de crampon dans les chevilles, de leur apprendre à être prêtes à tout pour déstabiliser l'équipe adverse, même aux "coups bas", de leur faire accepter de prendre des produits pour "améliorer leurs performances".
Selon le jargon des journalistes sportifs, il s'agit simplement d'une "domination physique", il serait normal de transformer un terrain de foot en ring de boxe quelque soient les conséquences sur les corps. (Pour moi, la boxe devrait être interdit puisqu'on permet avec ce sport de faire ce qui est normalement pénalement interdit, mais l'argent, toujours l'argent, permet tout...). Le foot est devenu une entreprise de destruction des corps, plus ou moins, selon le poste que vous occupez sur le terrain. On ne dresse pas des joueuses, mais des guerrières et celles qui sont trop fragiles, on les met au panier, on les jette, on les méprise. "On", ce sont les entreprises de foot, ces "grandes institutions du foot que sont les clubs", pour paraphraser un Président de club. Quitte à les dresser les unes contres les autres, les joueuses apprennent à se battre sur le terrain; à trouver normal de faire mal et de souffrir. J'en ai vu, dans ma jeunesse, des jeunes gens quittés le foot pour ces raisons. Ils étaient de bons techniciens, superbe dribleur, souvent plus intelligents tactiquement que leur entraineur mais ils en eurent "ras-le-bol" de se prendre des coups. "L'anti-jeu est encouragé même dans les petits clubs amateurs", me disaient-ils "et au plus jeune âge". Ils me racontaient qu'il rentrait chez lui un pleur, après s'être fait tacler durement de nombreuses fois et qu'en plus "Je savais que lorsque j'avais perdu un match, mon père allait m'engueuler, voire me rouer de coups." Son père était président du club, un tout petit club de province sans ambitions... Un jeu formidable est devenu avec la compétition une machine à briser les corps. Le modèle des pros est un prototype encouragé partout.
Les clubs font même signer des joueuses étrangère pour accentuer la concurrence et leur montrer que là-bas, dans ce pays de la prédation institutionnalisée qu'est l'Amérique, on joue sans compter. Ainsi, on met des jeunes joueuses françaises en compétition avec les joueuses du monde entier. Ainsi se révèlent les lois du "rêve américain". "En Amérique, on trouve ça normal."
Jusqu'au moment où l'on craque... Où l'on se demande ce qu'il s'est passé pour en arriver là. On se demande si c'est normal que l'on se bouffe les unes les autres. Puis on découvre que des joueurs mourraient à l'âge de 55, 56, 58 ans le corps détruit par le dopage. On se demande si "moi aussi" "et s'il me racontait des conneries". "Je prends soin de mon corps...", disait-l'une d'entre-elle. Peut-être... Je lui souhaite sincèrement. Je vous le souhaite à toutes sincèrement.
Prenez le pouvoir les copines et dites leur merde.