Petite réflexion concernant l'article paru sur Mediapart : LFI et les retraites : la stratégie du clash peut-elle tourner au crash ?
La question de fond, dans cet article, semble-t-il, se situe là :
"Réduire le nombre d'amendements, c'est risqué de réduire le temps de lutte puisque c'est prendre le risque de voir passer plus vite l'un des articles symboles de la mobilisation et donc de démobiliser le mouvement social."
C'est ce que j'ai compris.
Plusieurs contraintes apparaissent, parfois contradictoires, et nous verrons apparaître plusieurs variantes et constantes :
Il faut bien prendre toutes les contraintes ensemble, les directions syndicales obéissent à des formalités et intérêts "diplomatiques", bureaucratiques, et démagogiques (parfois contraire aux luttes), à l'inverse, sur le terrain des luttes, dans les AG souveraines locales, dans les antennes syndicales locales, et plus généralement, chez tous les salariés mobilisés, beaucoup de militants souhaiteraient en effet gagner du temps pour continuer à mobiliser.
Nous avons des contraintes temporelles contradictoires entre les modalités bureaucratiques et politiques "en haut", et les modalités de mobilisation "en bas", entre une volonté démagogique et une volonté radicale. Nous avons là presque des constantes observables dans chaque lutte.
Donc, les Insoumis ont situé le débat autour de cette contradiction temporelle et nous pourrions dire, idéologique (voire, idéelle).
Les contradictions temporelles :
Le temps de la mobilisation est long et le calendrier imposé par les directions syndicales et par la bureaucratie politique ne sont pas forcément en accord avec celui des salariés, trop souvent même, il est en contradiction.
Il semblerait alors que ce que proposent les Insoumis est d'inscrire le temps de l'Assemblée dans une temporalité de lutte.
Ne plus s'opposer aux textes dans sa globalité sera perçu en bas comme une traîtrise, pensent les insoumis, car c'est risque de ne pas respecter la temporalité des mobilisations sociales. D'autre part, nous pouvons comprendre qu'il y a dans cette logique de la "vitesse accélérée" (en réduisant le nombre d'amendements) une façon de prendre les salariés mobilisés pour des incompétents qui ne comprendraient rien aux contraintes (à la temporalité) démagogiques. Et nous voyons bien en effet les contradictions entre la radicalité de la base et la démagogie politique.
Une accélération de la démagogie est rarement au service des luttes
Étonnamment, habituellement, le temps bureaucratique est plus long que le temps de lutte. Le temps bureaucratique ne s'accélère généralement que pour aller plus vite qu'une mobilisation sociale. Il s'agit souvent de saboter la mobilisation sociale, de la décourager, ce note à juste titre les députés Insoumis.
Historiquement, lorsque nous avons observé un temps bureaucratique se mettre en accord entre bureau national syndical et parlementaire, c'était pour parvenir à un "consensus" souvent en désaccord avec le mouvement social. Nous avons rarement vu le contraire. Nous rentrons alors dans un processus démagogique propre à toute démocratie qui rentre en contradiction avec un autre droit démocratique, le droit à l'insurrection lorsque des citoyens revendiquent, entre autres, plus de justice sociale.
Penser que les directions syndicales sont dans la même temporalité que les mobilisations est une erreur. Elles sont toujours en contradiction avec la temporalité des luttes, comme elles sont toujours plus démagogiques.
En conclusion :
La parole des Insoumis rappelle cette contradiction temporelle et nous pourrions dire, stratégique. Elle trouve là sa légitimité, celle de rappeler la temporalité (et voire de la rationalité) contradictoire des mobilisations sociales avec celle de la démagogie politique.
Voilà pour aller vite, une analyse "sociologique" rapide.
Maintenant, à chacun de voir où il se situe, mais les Insoumis sont dans leur "droit", en représentant à l'assemblée nationale le droit constitutionnel d'insurrection lorsque des citoyens font savoir qu'ils se sentent atteints dans leur capacité de vivre. Cela devrait être le rôle des directions syndicales. Ils jouent, et c'est une constante depuis de nombreuses années, un jeu dangereusement démagogique. Les salariés ne peuvent alors que suspecter dans cette posture démagogique des directions syndicales des conflits d'intérêt entre les bureaucraties syndicales et les forces qu'ils sont censés combattre. Ce mouvement social était une opportunité de se laver de tout soupçon. La critique profitera aux pires.
Je prolonge et approfondis la réflexion précédente :
Il y a deux temporalités en conflit, la temporalité "démagogique" (démagogie au sens des rationalités démagogiques de Weber), c'est-à-dire au sens vraiment de la démocratie, "institutionnelle", celle de l'assemblée, celle des luttes internes aux institutions, à l'utilisation des réseaux d'influence, aux caractères charismatiques des uns et des autres, aux "astuces institutionnelles",. Nous avons là le rôle des élus avec tous les risques que comporte ce jeu : conciliabules, séduction, syndrome du "petit Seigneur" reconnu par les "Grands", recherche de reconnaissance, coalition incertaine et entente cordiale entre adversaire.
Et par ailleurs, il y a la temporalité de la lutte, la dynamique de lutte, en bas. Temporalité démagogique et temporalité de lutte sont l'un et l'autre interdépendantes, s'écoutent, agissent l'un sur l'autre. Mais les institutions et les mobilisations sociales ont des contraintes différentes, des temporalités différentes, d'un côté une temporalité imposée par les règles institutionnelles et par les batailles d'influence et de l'autre, une temporalité encore plus incertaine liée à des contraintes indiscernables de mobilisation sociale. Les mobilisations, on les "sent", on les "évalue", vont-elles prendre ou pas ? Mais il est certain que pour rappeler à l'ordre ceux qui sont censés défendre les revendications de la base dans les institutions démagogiques, ces mobilisations doivent être radicales car les jeux démagogiques dans lesquels sont empêtrés les représentants du peuple peuvent faire oublier à ceux-ci pourquoi ils sont là.
Les directions syndicales essaient, semble-t-il, de conjuguer ces deux temporalités ensemble en proposant de trouver un consensus. Nous parlons de "temporalité" parce qu'il s'agit véritablement de processus, de mécaniques institutionnelles, que l'on respecte à la lettre ou que l'on peut aussi se permettre parfois de bafouer, de détourner, de contourner, d'enfreindre. Plus exactement, la bureaucratie syndicale représente cette rationalité démagogique qui peut parfois la faire percevoir comme une instance en dehors des "réalités du terrain", car les mobilisations sociales obéissent à d'autres contraintes plus mouvantes, plus incertaines, loin des rationalités bureaucratiques.
Les rationalités démagogiques sont inhérentes à toutes démocraties. Elles se matérialisent en guerre d'influence entre tribuns, en batailles charismatique, en mobilisations de réseaux d'influence et médiatiques. Le moindre signe de faiblesse devient une opportunité pour l'adversaire d'organiser une offensive démagogique. Le message de Mélenchon, dans ce jeu d'influence est l'une de ses opportunités dont se sert l'un des protagonistes pour tenter de déstabiliser l'adversaire, de porter un coup fatal, un uppercut dans sa face, un discrédit démagogique, l'instrumentalisation de la désunion. Aussi toute une armée de communicants se mobilise dans tous les médias et à l'assemblée nationale pour engager une bataille démagogique contre LFI, pour démontrer que leurs rationalités démagogiques doivent s'imposer comme étant la seule légitime et que la force de la mobilisation n'a aucune légitimité. Les rationalités démagogique de la droite tentent de tuer les rationalités démagogiques de la gauche. Rien de bien nouveau sous les cocotiers. Mais la force des uns est d'avoir une grande partie des médias avec eux et donc, la faiblesse les autres, est d'avoir la majorité des médias contre eux. La majorité des médias en France tendent vers les rationalités démagogiques de droite, ce n'est pas une nouveauté.
Dans cette guerre démagogique, les adversaires cherchent des "agents doubles", des agents influençables. Les meilleurs partenaires de l'opposition sont ceux qui sont à la recherche de reconnaissance institutionnelle ou qui sont dans l'ivresse de cette reconnaissance bureaucratique. Ainsi, il y a toujours quelques "parvenus", des hommes ou des femmes qui ont monté les échelons, se sont faits une place dans le jeu démagogique, ont appris à en jouer, et sont par conséquent, mûres pour être cueillis par leurs propres adversaires théoriques. Ces hommes et ces femmes là ne cessent de se targuer de leurs connaissances du jeu institutionnel, ils s'y sont fondus, ils aiment jouer et leurs adversaires reconnaissent là des alliés potentiels : ils ne manqueront pas de les flatter, de leur faire des offres, de les inviter à la table des Grands, jusqu'à les pousser à l'imposture.
C'est pour cette raison que le "coup de poing" démagogique de Mélenchon semble à la fois malvenu et bienvenu, les réseaux d'influence de la droite sont supérieurs à ceux de la gauche, et donc, son message est repris en cœur par tous les communicants de la droite pour opérer une entreprise de déstabilisation de la gauche avec la complicité de tous les tartuffes qu'ils ont pu "recruter". Donc, d'un point de vu opposé, Mélenchon a fait apparaître sur la place publique les processus de tartufferie en cours.
Les réseaux d'influence des rationalités démagogique de la gauche sont moins visibles, ils se situent dans les acteurs du mouvement social. Les relais sont là, les ressorts sont là. La droite le sait et essaie de démobiliser ces relais. Pour cela, rien n'est plus efficace pour la droite que de briser l'union de la gauche par la discorde en instrumentalisant leurs tartuffes tout honorés de la reconnaissance qu'on leur octroie, et c'est tellement plus rassurant de respecter les règles du jeu institutionnels que de tenter de les déjouer pour faire entendre la parole des salariés en lutte.
Pourtant ces "relais d'en bas", ces réseaux de travailleurs en lutte, devraient être les ressorts de la gauche pour batailler dans les institutions légitimes afin que le temps des mobilisations rejoignent le temps des rationalités institutionnelles. Mais pour cela il faut s'inscrire dans un processus de résistance, se permettre de détourner les règles du jeu institutionnels, oublier les récompenses que le respect de ces règles peuvent apporter aux "bons élèves", prendre des risques, se mettre en danger. C'est le prix à payer pour les élus pour être à la hauteur de celui que paient les grévistes. Le processus de consensus que proposent les directions syndicales se situe au milieu, entre processus de tartufferies et processus de radicalité, la réalité est sans doute déformée par les réseaux médiatiques, mais la recherche du confort, les coups de téléphone, les réunions "entre amis", le besoin d'être rassuré, les promesses de bénéfices institutionnelles, sont autant de risques de voir défaillir un bureau national. Les bureaucraties syndicales ont aussi leurs propres rationalités qui parfois tendent à s'incliner face à l'adversité ou à craindre les réseaux d'influence "d'en bas", de leur propre "base", il y a toujours une crainte que les mobilisations dépassent les rationalités bureaucratiques. Pourtant, c'est "en bas", dans les AG, dans les antennes locales, que se situent leur propres réseaux d'influence face aux réseaux d'influence de la droite.
Mélenchon, est, dans cette bataille entre rationalités démagogiques, un "court-circuiteur" maladroit dans le sens où son coup médiatique ne peut pas fonctionner puisque les réseaux d'influence sur lesquels il peut s'appuyer ne se situe pas au niveau de la sphère médiatique. Il n'a fait que donner un os à ronger. Il a peut-être raison sur le fond, mais c'est sur les réseaux d'influence du mouvement social qu'il faut compter pour relayer ses messages, pas sur les médias et surtout pas au milieu de la guerre démagogique qui a lieu à l'assemblée nationale mal relayée par les médias. Cependant, nous donnerons à son crédit, d'avoir mis sous les projecteurs les tartufferies en cours.
Il n'y a que le mouvement social, la lutte qui peut rappeler les tartuffes à l'ordre, leur rappeler aussi qu'ils seront responsables de la montée du fascisme dans ce pays s'ils ne se comportent pas comme de véritables résistants mais au contraire, comme de véritables agents doubles. La bureaucratie syndicale n'est pas le syndicat, il n'en est qu'un indispensable écueil que le mouvement social doit pousser à aller dans le sens des revendications salariales.
Il est peut-être temps de créer, par en bas, un nouveau Conseil National de la Résistance ?