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Billet de blog 30 mars 2023

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Provocations : leçons à tirer des "années de plomb"

L'extrême droite et la bourgeoisie la plus agressive ont besoin de bouc-émissaires pour exister. Il ne faut pas leur faire ce cadeau en répondant aux provocations : leçons à tirer des "années de plomb". Laissons les se "griller" tout seul.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lorsque j'étais plus jeune, l'ultragauche représentait pour moi des groupes qui n'hésitaient pas à pratiquer la lutte armée, à menacer physiquement la bourgeoisie, à pratiquer des enlèvements, des meurtres, à considérer le syndicalisme comme des "appareils idéologiques d’État" au service de la bourgeoisie. C'est ce que l'on entendait à la radio, à la télévision, nous pouvions le lire et nous avions des barbus aux cheveux longs un peu partout qui nous l'expliquaient. Ces groupuscules faisaient régulièrement la Une des journaux. On disait que ces ultra-gauchistes lisaient Toni Negri et qu'ils avaient de la sympathie pour Guy Debord. Il y avait alors une grande confusion entretenus déjà à l'époque par les médias bourgeois entre des mouvements anarchistes, marxistes, régionalistes, terroristes (parfois soutenus et financés discrètement par l'URSS) et le mouvement social historique classique.

Mais ce concept "ultragauche" utilisée régulièrement par le gouvernement français ne serait-il pas une sorte de retour du refoulé d'une bourgeoisie traumatisée par ce qu'elle a désigné elle-même par "années de plomb" ? Ce concept d'ultragauche ne fausserait-il pas notre perception de ces phénomènes de "mouvement" en marge, plus ou moins violents, souvent sectaires, et qui apparaissent sporadiquement sous des formes différentes selon les contextes socio-historiques distincts ?

Ces mouvements ont été confondus parfois avec les agissements de groupe d'extrêmes droites et parfois même, avec des attentats commandités par certains gouvernements pour discréditer la gauche dans son ensemble via des réseaux mafieux. En Italie, particulièrement, cette dite "ultragauche" parfois issue des événements de 1968, était persuadée qu'un coup d’État organisé par l'extrême droite était en préparation comme cela avait déjà eu lieu en Grèce (la dictature des Colonels) ou au Chili (le coup d’État de Pinochet). Quelques groupuscules se sont alors créés pour rentrer dans une lutte clandestine contre l'extrême droite et ses soutiens. Il s'en est suivi une série de guérillas urbaines, de "bagarres" entre fascistes et militants d'extrême gauche et d'attentats. Or, la majorité des attentats ont été commandités par l'extrême droite alors que très souvent "l'ultragauche" était désignée comme coupable. Dans les deux camps, les théories conspirationnistes allaient bon train et se diffusaient à tout va. Les uns accusant les autres d'être aux mains de l'impérialisme américain ou russe, ce n'était pas toujours faux, mais un climat paranoïaque s'est très rapidement installée justifiant répression d'un côté, violence accrue de l'autre.

La politologue Anne Schimel rapporte que, selon des statistiques établies par le Ministère de l'Intérieur italien, 67,5 % des violences (bagarres, actions de guérilla et destructions de biens) qui ont eu lieu en Italie de 1969 à 1989 sont imputables à l'extrême droite ; 26,5 % à l'extrême-gauche, et les 5,95 % restants à d'autres. De plus, 150 personnes ont été tuées par des actions terroristes imputables à l'extrême droite, durant cette période, en Italie, et 94 morts sont imputables à des attentats d'extrême-gauche. (voir  pour rappel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ann%C3%A9es_de_plomb_(Europe)

On a d'abord attribué la totalité des attentats aux groupes dits gauchistes, avant de se raviser dans les années 1980, lorsque les enquêtes judiciaires en Italie accusaient certains de ces attentats d'avoir été des attaques sous faux drapeau, c'est-à-dire menées sous le couvert du « drapeau adverse ». Pierre Milza précise : « sur les 4 384 actes de violence politique recensés entre 1969 et 1975, 83 % furent le fait des organisations de l'ultra-droite nationaliste et néofasciste (...) (cf. ,https://www.cairn.info/revue-mouvements-2003-3-page-196.htmcontenu=resume et aussi à lire aussi : https://www.gaucheanticapitaliste.org/brigades-rouges-annees-de-plomb-contre-la-falsification-de-lhistoire/)

Dans les années de plomb, le contexte de guerre froide agissait aussi structurellement sur la forme les idéologies et les pratiques de lutte. Mais à partir de la fin des années 80, les mouvements de gauche ont quasiment totalement abandonné ces pratiques violentes qui de toute façon, n'avait été adopté que par une frange très minoritaire de l'extrême gauche. Il faut dire que le bilan était assez dramatique : morts inutiles, emprisonnements, militants assassinés, enfermés, torturés (selon les pays), exils...

Ces groupuscules ou ces pratiques d'actions directes sont souvent constitués et pratiquées par de jeunes gens pauvres qui ont subi dans leurs corps, dans leurs familles, des "coups". Il y a de la colère et de la rancœur. Ce sont des jeunes hommes et jeunes femmes souvent "blessés" socialement. "Ils ne sont pas irrécupérables si on parvient à les "former" politiquement au bon moment", me disait un militant dont l'analyse de ces phénomènes de groupe dans les quartiers populaires étaient très avisés. "Dès les années 70, les organisations communistes libertaires, les trotskystes et d'autres, nous proposions des rencontres avec ces groupes pour essayer de les faire revenir dans le mouvement social historique et les former (lire George Fontenis et autres auteurs sur l'anarchisme dans les années 70). L'extrême gauche tentait de rationaliser l'ultragauche si je puis dire", "elle offrait à des gens dépassés par leur colère un cadre de pensée, un moyen de rationaliser et d'orienter cette colère et surtout un retour à la raison critique, à une réflexivité." (discours que j'avais noté sur un bout de papier dans les années 90 au cours d'une réunion d'Alternative Libertaire). Cette "ultragauche" croit dans des périodes d'incertitudes structurelles, comme celles que nous traversons actuellement amplifiées par la crise du COVID, par la crise climatique et la crise sociale. Le phénomène "ultragauche" est assez proche des phénomènes sectaires (il en est de même pour les groupuscules d'extrême droite, en pire parce que encore plus irrationnel, plus "émotionnel" et c'est vrai pour toute l'extrême droite en général).

Des mouvements libertaires ou communistes libertaires qui prônent l'autoorganisation des moyens de productions ou des luttes ne sont absolument pas situés dans cette mouvance confusionniste ou/et terroriste identifié un peu trop facilement comme "ultra-gauchiste", au contraire, elles luttent contre ces dérives.  Les mouvements organisés qui reconnaissent l'importance du mouvement ouvrier, syndical, etc.  ne sont pas des "ultra-gauchistes" mais s'inscrivent dans une longue histoire sociale assez classique. En revanche, ceux qui renient toutes institutions existantes, même les organisations ouvrières et syndicales, parfois par ignorance, parfois par dogmatismes, et surtout par colères, ceux-ci représentent ce que l'on nommerait communément "ultra-gauche" (c'est une dénomination essentiellement "bourgeoise" comme l'était aussi la dénomination "années de plomb"). Pour comprendre (plus que "définir") les phénomènes d'ultragauche, il faut plus s'intéresser aux phénomènes sectaires qu'aux pratiques politiques en soi. L'ultragauche est quasiment une dérive socio-psychologique comme l'adhésion à une secte au cours d'une période de faiblesse psychologique et sociale d'une personne. Lorsque dans les années 70, certains groupes d'activistes avaient une véritable fascination pour les textes appelant à la lutte armée, ils étaient bien souvent issus des segments les plus pauvres de la société et provenaient parfois des mêmes quartiers ouvriers. Mais il y avait aussi un modèle en provenance d'Amérique Latine de lutte armée dans des contextes politiques d'extrême droite extrêmement dures (dictatures, arrestations, tortures, assassinats, coups d’État...). Si l'on regarde l'histoire, la plupart des mouvements de gauche "lutte armée" était en réponse à la violence d’État et de l'extrême droite. Elle était d'ailleurs largement critiqué par le mouvement social historique. Ni les syndicats, ni même de nombreuses organisations politiques d'extrême gauche ne se retrouvaient impliquées dans ces actions, sauf lorsque l'extrême droite avait déjà pris le pouvoir et que la répression atteignait tout les contestataires, comme pendant la résistance contre le nazisme. Il y avait au cours des années de plomb une mémoire exacerbée mais très légitime de la montée en puissance du fascisme en Europe jusqu'à ses dramatiques conséquences avec la deuxième guerre mondiale (80 millions de morts).

La bourgeoisie a souvent entretenu une grande confusion dans les définitions de l'ultra-gauchisme ou même plus simplement du "gauchisme" (à d'autres époques, ils désignaient sans distinctions les "anarchistes" pour discréditer toute la gauche et de gauchiste pour désigner de façon péjorative tout progressiste) pour stigmatiser la gauche dans son ensemble. Pour précisément comprendre ce que sont ces mouvements attirés par une action directe violente, il faut vraiment se pencher sur les phénomènes sectaires en période de crise structurelle profonde. L'ultragauche, si l'on doit vraiment conserver ce terme bien flou, serait cette zone confuse entre colère et rationalité politique. Il y avait bien entendu des stratégies mais aussi beaucoup de naïveté et fantasmes, de nombreux anciens acteurs de ces groupuscules admettent facilement aujourd'hui leurs erreurs. La leçon qu'ils en tirent est que ce type de stratégie minoritaire discrédite leurs idées, est récupérée par les gouvernement pour amplifier la répression, et finit par avoir plus d'effets négatifs que positifs jusqu'à parfois devenir les "dindons d'une farce" dramatique. Les fascistes et la droite dure ont toujours besoin d'ennemis désignés pour exister et pour alimente leurs propagandes, justifier leurs actions violentes, ces groupuscules, et l'extrême droite en général, sans bouc-émissaires, ne sont rien.

Toutes ces catégories "ultragauches", "extrême gauches", gauchistes, anarchistes-libertaires (dixit sur l'un de leur site internet !) sont très réductrices mais plaisent beaucoup aux fascistes et aux bourgeois les plus réactionnaires car elles peuvent alimenter une propagande performative, simple et efficace.

Darmanin, par exemple lorsqu'il ment en dénonçant à la pelle les ultragauchistes et les gauchistes, est dans une forme de propagande qu'aurait surement apprécié Goebbels. Le propagandiste nazi Goebbels définissait les pratiques de propagande sur la seule émotion que le message pouvait communiquer. Peu importait le sens ou la vérité, désigner un responsable et activer la "colère contre", était  essentiel dans son système de propagande afin de galvaniser les foules.

Il y a dans tout phénomène politique au moins cinq dimensions à prendre : historique, social, idéologique, sociologique, et même psychologique (et aussi conflictuelles).  Bref, il est nécessaire de sortir des catégorisations politiques faciles pour arriver à des compréhensions socio-politiques complexes. Trop souvent, nous catégorisons, nous discriminons sans rien comprendre, nous le faisons tous, c'est une paresse de l'esprit. Et par cette entreprise de catégorisation, les forces sociales offrent elles-mêmes aux classes dominantes des concepts actifs de stigmatisation de l'ensemble du mouvement social.

Mais y'a-t-il aujourd'hui l'équivalent de ce que nous avons connu dans les années 60-80. A gauche, certainement pas, l'époque est différente et le mouvement social a pris d'autres chemins. A l'extrême-droite, en revanche, les groupuscules sont toujours là "prêts à agir quand  l'heure viendra". Dangereux, violents, parfois, armés et militairement entrainés, ils sont minoritaires mais très actifs. La présence du RN à l'Assemblée Nationale leur donne une légitimité supplémentaire et de nouveaux espoirs. La bête immonde peut se réveiller à tout moment.

Ces phénomènes sectaires sont aujourd'hui bien plus présents à l'extrême droite qu'à gauche. Ces processus de conversion de populations vers des idéologies et pratiques sectaires sont plus facilement observables du côté de l'extrême droite, que ce soit à travers des mouvements religieux charismatiques, des groupuscules violents et racistes, des sectes religieuses diverses et variées que du côté de la gauche qui au contraire tente d'offrir une structure de pensée critique. De plus, ces pratiques ont laissé une mémoire amère dans l'inconscient de la gauche : ces méthodes violentes ne font que décupler la répression, et permet à l'extrême droite de profiter de la confusion pour perpétuer des attentats encore plus meurtriers.

Le gouvernement, en ne répondant pas au mouvement social actuel positivement, nourrit cette crise existentielle et favorise des processus de conversion à des mouvements sectaires. Le gouvernement actuel a une forte responsabilité dans ces dérives sectaires contre lesquels les militants de gauche tentent par tous les moyens de lutter. Et dans cette lutte contre les dérives sectaires ce mouvement social contre la réforme des retraites est exemplaire. Mais si son issue est négative alors nous ne pourrons plus répondre de rien. Ce gouvernement agit de manière totalement irresponsable et idiote, voire favorise la montée de l'extrême droite. Et on peut à juste titre se demander si c'est volontaire ou inopiné. Dans tous les cas, la vigilance s'impose et les syndicats ne doivent rien lâcher si l'on ne veut pas risquer le pire.

On ne peut pas s'empêcher de faire des comparaisons avec des situations extrêmement tendues connues dans les années 60-70. Il y a dans le comportement borné du gouvernement le sentiment que nous avons à faire à des "gens" qui ont une feuille de route claire et précise comme s'ils avaient une mission à remplir coûte que coûte. Il est difficile de ne pas succomber à la théorie du complot lorsqu'on les voit agir comme s'ils avaient des comptes à rendre à quelques obscurs commanditaires. Ils subissent sans doute des pressions de leurs partenaires économiques et politiques français et européens, mais surtout, je pense qu'ils ne veulent pas être les premiers avoir perdu la face devant une mobilisation sociale massive. Une chose est certaine est que quelque soit l'issue de ce mouvement social il aura des effets au-delà de nos frontières dans toute l'Europe et ça, Macron et ses amis ne le supportent pas. Cette violence d’État indique aussi qu'ils ont peur d'un redémarrage d'un mouvement social et écologique internationaliste de masse, ils veulent l'étouffer. Ils n'y parviendront pas car c'est clairement aller contre l'histoire.

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