HOMMAGE À GÉRARD LEMAIRE (revue Florilège N°177 décembre 2019 (Dijon))
Robert Roman, ami de longue date de Gérard Lemaire (1-11-42/7-10-2016), retrace dans cet ouvrage de 400 pages aux éditions « Le Contentieux » la vie de ce poète « à hauteur d’homme », à l’initiative de son épouse, Marie-Josèphe Lemaire qui ne pouvait accepter que son œuvre disparaisse à son décès et à laquelle le livre est dédicacé, ainsi qu’à leurs enfants, pour la remercier de l’aide apportée. De nombreux témoignages d’une correspondance assidue enrichissent ce portrait singulier et donnent sens à la démarche poétique d’un être passionné par l’écriture et dont la vie même en dépendait, un recours vital pour celui qui voulait « porter la fraternité /entre (ses) bras ouverts » et échapper à « la pire oubliette, la tombe ! »
Robert Roman reprend avec justesse, dans son titre, le thème de la thèse réalisée par Gérard et dédiée à l’écrivain roumain de langue française Panaït Istrati (1884-1935) : « Un poète à hauteur d’homme », en ne craignant pas d’affirmer : « la Poésie que je choisis est celle d’un combat à la fois révolutionnaire et moral » où le poème serait « le lieu originel d’un jardin (que) l’amie du silence entrouvre pour s’y agenouiller » C’est dire toute l’importance de l’acte d’écrire pour celui qui ne fait aucune différence entre écrire et vivre, avec la volonté de « Peindre le monde ! À pleins mots ! Dans le vif ! … saisir au vol sa triste barbarie » ; « C’était Dieu, le poème, son existence… », car « Vivre c’est injurier et blasphémer… » : « Il y a la trogne d’un gueux qui rigole/ Et emmerde les cénacles poétiques/Où des singes licenciés déglutissent/Des cadavres esthétiques aux cils/vernissés. »
Dans son « Journal d’un chômeur », il saura traduire avec force ses expériences douloureuses : « On me tue ! On m’assassine ! On me fout en l’air ! On ne me voit plus ! » « Écoutez le chœur des chômeurs dans le vaste opéra bouffe ! Écoutez leurs trémolos pathétiques !... « C’est pour vous que sonne le glas, fantassins de Lucifer ! » Il témoignera encore : « Ils ont tué le peuple/Je suis la trace d’une voix toujours effacée de son sacrifice obligatoire/Je suis son souvenir abattu par tous les fusils aux aguets… / C’est le peuple qui tient les clefs de la parole/Il est la Poésie même son flux et sa vérité… »
Il poursuivra ainsi son combat : « Ce qui ne peut se nommer/Voilà ce à quoi tu travailles… » en fustigeant les « Écrivains à palmarès/Poètes trop couronnés/Vos plumes tellement larges…/N’ont pas fait reculer d’une semelle/L’injustice et la guerre/Et cette apocalypse des armes… »
Il nous donnera cette définition de la poésie : « Ce serait la poésie ça/La croyance en ce qui n’a lieu nulle part – outre soi… Seul le poème peut répondre/à ce qui te serre si fort la gorge… » avec cette sensibilité empathique « Pour tous ceux qui souffrent/Dans leur chair abîmée d’humiliés et d’exploités… (face au) silence complice des têtes pensantes ». Dans cette époque « d’hyper-superficialité » il répétera sa foi en ces phares méconnus qui ont payé de leur vie leur idéal de justice, « cette fraternité de poètes » (Lorca, Desnos, Sylvia Plath…) dont le cheval de bataille est « la liberté d’expression absolue » pour reconnaître enfin : « Je n’ai pas trouvé d’autre voie sur cette terre que la voix de la poésie…/ Mais la poésie se doit d’être sociale. Sans condescendance, ou elle meurt. Et politique/Plus que jamais »
Il témoignera dans sa riche correspondance de son affection pour le courant prolétaire, les lettres décorées de Pascal Ulrich (1964-2009), la figure internationale de l’art postal Rémy Pénard (né en 1944). Il rendra hommage à Ferrucio Brugnaro pour son engagement, à Louis Delorme dans « Soif de mots », en étant reconnaissant aux nombreux responsables de revues qui ont accepté de publier ses poèmes, malgré des rapports souvent conflictuels. De 1973 à 2016, plus de 200 revues accueillirent « l’homme aux 10 000 poèmes » ! Et parmi ces revues, l’on peut citer Florilège et l’Aéro-page 2002, dans laquelle Gérard Lemaire défend avec passion la cause du prisonnier Abu-Jamal (journaliste, écrivain et militant afro-américain impliqué dans le meurtre d’un policier et qui a toujours clamé son innocence…)
Pour Robert Roman, à travers les témoignages émouvants de ses amis, ses pensées sont à méditer et son œuvre à considérer, avec cette très belle conclusion qu’il nous offre dans ces vers choisis : « Ce serait bien de s’endormir/Avec un long poème dans la bouche/Son sourire défierait le temps… ! »
» (400 pages, éditions le Contentieux, 20 €)
Contact: Robert ROMAN
“le Contentieux”
7, rue des Gardénias 31100 TOULOUSE
Yolaine BLANCHARD
yolaineblanchard@aol.com