LA NUIT ET LA SOUFFRANCE
Cette nuit-là était si sauvage
Cette nuit-là était si étrangère à mes yeux
Qui ne voyaient plus que des étagères à l’infini
Bretelles d’autoroutes
Et pans d’immeubles sur fonds d’aérodromes
Avec bruits et bruitages sur commande
à l’interphone vétuste
Pourtant les suites en jours et en semaines
Adroitement ficelés dans l’implacable
Norme
Je suis rentré par le train d’après minuit
Et la route prise par le hasard filait
dans une campagne rase
De terres brunes et de haies dressant leurs ombres
Et la nuit toute
Dans la lumière étranglée de ces masses de nuages
Violents
La nuit venue d’ailleurs
D’une montagne si autre
La nuit si redoutable
Durcie filtrant de ce ciel glacial
Comme un coup Le rappel de quelque souvenir ou
D’une réalité monstre à force d’avoir été oubliée
Alors j’ai aimé cette nuit si pure
Et je ne pouvais comparer l’âpreté de l’Ébauche
Qu’à la douleur de l’homme
Toute aussi inexprimable et oubliée Toute aussi brutale
Et inconnue
Dans les gestes de ce quotidien
Mais aussi réelle qu’un continent
Cette nuit et cette souffrance étaient tellement semblables
Assourdissantes de silence et de dure beauté
Mais ce n’était que la nuit jouant dans les nuages
Toute trouée de ces nervures de ciel
Une nuit finalement immobile et étrangère
Mais si
Nouée et
Construite de forces
Gérard Lemaire 1978
publié en 1983 dans "Flammes et Hommes", publié par les éditions Caractères, Bruno Durocher (1919-1996) ; éditions continuées par Nicole Gdalia
et publié p117 dans "Gérard Lemaire, un poète à hauteur d'homme", 2019, au Contentieux ; Robert Roman, Toulouse