lemaitreeric

Abonné·e de Mediapart

6 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 mai 2019

lemaitreeric

Abonné·e de Mediapart

La science politique du vide

Comment comprendre cette étonnante articulation actuelle, inédite selon moi, entre délibération et décision politique, entre horizontalité et verticalité? A vrai dire, et il faut s'en expliquer, un certain concept de vide le permet. Il permet une sorte de fluidité, d'aisance, d'agilité, de liberté absolue du décideur à l'égard de son peuple.

lemaitreeric

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La nouvelle science du politique et son objet divin le vide qui nie toute altérité : Il faut mettre en place un véritable discours politique avec une vraie cohérence interne, une science politique nouvelle de la vérité. L'objet de cette science, certains diront pseudo-science, est donc le vide nouvellement conçu. Dès lors, naturellement, autrui en tant qu'autre se trouve évacué. 

Comment caractériser la pensée de celui qui préside à la destinée politique de notre pays? Il ne faut pas s’y tromper, je crois que ce qui la caractérise, c’est la science de la politique, une science politique renouvelée, quelque chose encore de jamais vu, de proprement extraordinaire. C’est à dire une rigueur, une méthodologie, une analyse, des preuves. Il reste pourtant à définir l’objet de cette science, quel est son objet scientifique? Pour le découvrir, il nous faut la lire attentivement, c’est cela qui est difficile : prendre un peu de temps pour lire de la science politique dans le texte afin de découvrir son objet.

Bien sûr M. Macron n'est pas sans responsabilité mais il est davantage, selon moi, comme un symptôme parmi d'autres du néolibéralisme actuel. Il est simplement un des nombreux représentants de ce qui se présente aujourd'hui comme une science nouvelle du politique. Il s'agit d'un texte de M. Macron assez court à l'occasion d'une interview parue dans la revue "le 1", n° 64 du 8 juillet 2015 :

« Toute la difficulté du politique aujourd’hui réside dans ce paradoxe entre la demande permanente de délibération, qui s’inscrit dans un temps long, et l’urgence de la décision. La seule façon de s’en sortir consiste à articuler une très grande transparence horizontale, nécessaire à la délibération, et à recourir à des rapports plus verticaux, nécessaires à la décision. Sinon, c’est soit l’autoritarisme, soit l’inaction politique ».

Que comprendre de ce court texte? Avant tout, qu’il y a des décisions urgentes à prendre. Mais que demeure un problème qui réside dans cette confrontation de points de vue qui ne cesse jamais, une sorte de démocratie circulaire où le débat peut devenir stérile en raison de son horizontalité , c’est à dire de tout ce qui se passe au niveau du sol, sur le terrain des gens qui y vivent ; de leurs désirs et de leurs besoins. De l’autre côté, face à cela, la décision verticale. Entre les deux le texte indique une articulation. Tout le mystère réside dans la nature de cette articulation, sinon, sans elle, nous sommes, soit dans l’autoritarisme soit dans l’inaction. Articulation qualifiée de paradoxale, c’est  à dire au sens propre du mot « qui va contre la position, l’opinion commune ». Ainsi il est démontré que la décision non autoritaire mais efficace est par nécessité verticale. Mais de quelle verticalité s’agit-il?

Cette science politique qui  revendique s’inscrire d’une façon étonnante dans le champ de la démocratie, pour affirmer de cette façon que la décision est par nature verticale, s’appuie sur le paradoxe conçu comme une science. La demande de délibération permanente ne peut produire d’effet, seule la transcendance de la décision verticale est efficace. C’est ce qui explique que ce pouvoir est un pragmatisme pur. 

Comment la verticalité est-elle possible sans autoritarisme? 

C’est « toute la difficulté » : quelle peut être la nature de l’articulation entre la demande permanente de délibération horizontale, qui est est posée comme légitime, et la décision par nécessité verticale, qui est posée comme seule source d’action? Ces deux dimensions du politique, ne sont pas seulement étrangères dans l’espace, elles le sont aussi dans le temps. L’une s’inscrit dans un temps long (voire infini) et l’autre dans l’urgence. L’une dans l’immanence, l’autre dans la transcendance. L’action serait ainsi par nature toujours imposée par la nécessité, l’urgence, et doit être confiée à ceux qui savent ce qu’il convient de faire. A ceux qui sont oints. Ce qui est donné comme issue, c’est une connexion « magique » entre la délibération horizontale transparente, et l’action verticale légitimée par la nature même de son origine élective/divine. Ainsi ce vecteur vertical ne s’enracine pas dans la délibération mais la transcende. Puisque la verticalité est nécessaire à l’action, la transparence de la délibération horizontale serait une garantie contre l’autoritarisme. Car celui qui est élu ou oint, s’il l’est, c’est parce qu’il voit, qu’il sait mieux que son peuple ce dont il a besoin : il voit en toute transparence dans une sorte de prophétie auto-réalisatrice. Il n’a plus besoin de la représentation ni des corps intermédiaires.

Comment comprendre cette proposition de solution (encore une fois présentée comme la seule possible)? Comment cela fonctionne-t-il? Qu’est-ce qui permet de parler « d’articulation »? Où, quand et comment ces deux dimensions spatiales et temporelles se rejoignent-elles?

Car cette articulation est bien l’objet essentiel qui nous intéresse. Dans une articulation physique ou politique démocratique classique, il y a une conservation de l’énergie, du mouvement, des idées, qui se communiquent entre les deux parties qui sont ainsi solidarisées.

Or ce qui apparaît en posant autant de différences entre les deux dimensions, c’est une déconnexion non de degré mais de nature, une absence de communication, d’écoute de l’autre, chacun étant relégué à son champ respectif : la délibération ; la décision. Mais dire cela, « absence d’écoute » reviendrait encore à décrire une forme de violence symbolique, d’autoritarisme. Il faut donc poser une « articulation » d’un autre type, force est de reconnaître qu’elle est simplement affirmée sans être ni expliquée ni démontrée. Elle est une sorte de dogme, plus précisément une révélation, une épiphanie. Ainsi on ne peut sortir du paradoxe que par l’acceptation de cette affirmation non démontrable, d’une autorité qui se justifie elle-même, une tautologie : je sais parce que je sais que je sais.

Cette articulation est donc constituée d’un vide parfait au sens de magique. Elle dépasse toute causalité physique ou naturelle. Elle provient d’un concept sans contenu et sans structure autre que l’affirmation répétée de sa nécessité. Ce divin vide est l’objet de la science politique actuelle capable de justifier la décision verticale nécessaire comme respectueuse des principes démocratiques dont elle se réclame. Evénement politique majeur : le logos est efficace : « j’ai dit qu’il y avait articulation, c’est donc qu’il y a articulation ». Allons jusqu’à dire qu’il puise sa source dans l’amour qui n' a pas besoin de preuve.

Cette science politique est capable dans sa rhétorique, pendant des heures de faire briller ce vide comme un joyau dans des explications qui ne peuvent finir. C’est cette brillance du vide, ce tournoiement qui fascine qui attire et qui permet l’élévation de cette science politique jusqu’au ciel. De même que la parole de Dieu ne revient pas au ciel sans avoir été féconde sur terre, la décision verticale est efficace sans avoir à s’argumenter d’en haut ni à s’enraciner dans la délibération d’en bas.

C’est alors que cette parousie de la science divine du vide provoque autant d’agenouillements et de prosternations chez ceux qui sont dans la révérence car ils reconnaissent la révélation. Ne souriez pas, cette science paraît d’autant plus pure que son vide approche la perfection. Il ne s’agit donc pas d’autoritarisme comme le précise l’extrait cité, mais plutôt d’un totalitarisme inédit, quelque chose de nouveau, une sorte de nouvelle religion qui se présente comme un absolu. Car l’altérité se trouve absolument niée, elle est devenue elle-même transparente, c’est à dire non autre. Dans un dialogue impossible, un débat permanent,  cela donnerait la chose suivante :

- Je sais ce qui est bon pour vous, j’en ai la connaissance.

- Non ce n’est pas cela.

- Vous n’avez pas bien compris je vais vous expliquer.

- Non, ce n’est pas cela, vous ne comprenez pas bien.

- Si, j’ai parfaitement compris, n’interrompez pas mon explication.

- Mais votre explication ne s’achève jamais. Nous ne pouvons pas parler.

- Bien sûr que si, exprimez-vous, délibérez entre-vous, mais faites le sans violence.

- Mais ce n’est pas cela, vous n’écoutez pas.

- Si, je vous écoute et je vous comprends mieux que vous-mêmes.

- Cela n’est pas possible, vous n’êtes pas nous.

- Certes, mais vous m’êtes transparents, je sais ce qui est bon pour vous.

- Comment cela est-il possible?

- Je n'ai pas besoin de vous entendre car vous m’avez élu et vous ne vous êtes pas trompés.

- Comment cela?

- Je sais ce qui est bon pour vous, laissez moi vous expliquer.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.