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Billet de blog 27 octobre 2020

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Perte de la raison commune

La raison commune n'exclut personne parce que le partage des valeurs des uns et des autres repose sur une contradiction reconnue qui n'en reste pas à une opposition guerrière stérile où chacun campe sur ses positions. C'est le bien commun à tous les êtres humains qui se reconnaissent ainsi marchant et se rencontrant sur la planète. Au contraire de la raison d'un seul...

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Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : est-il encore possible de le croire?

Nous sommes débordés par un tsunami d'irrationalités. Je ne pense pas que cet irrationalisme soit dû au hasard. Il est le produit de calculs dans les cabinets secrets du pouvoir qui ne doivent plus rien à la raison mais au souci constant de la préservation d'un pouvoir qui a décidé de ne plus rien laisser au hasard. Il ne s'agit pas pourtant de défendre des thèses complotistes mais de concevoir qu'il y a une cohérence à accéder au pouvoir d'une certaine façon et de le conserver de la même façon. J'entends par irrationalisme tout ce qui échappe à la raison commune.

Je remercie maintenant, trente ans plus tard, certains de mes enseignants au lycée et certains autres après le lycée pour m'avoir découvrir ces immenses auteurs qui ont cru dans les lumières de la raison. Ils ont été décisifs pour moi qui suis issu de générations de petits paysans normands. Ils m'ont permis de croire à la naturelle puissance de ma propre raison, pour dessiner et éclairer mon propre chemin. Ce mouvement que je considère pour moi-même comme un mouvement d'émancipation ne serait plus possible aujourd'hui tant l'ordre est à la ré-assignation sous couvert de ces grands mots dont a perdu le sens libérateur : égalité...

Comment pourrait nommer ces rétrogradations : réactions ; conservatisme ; anti-progressiste ; anti-universel ; anti-rationaliste?

Je pense qu'ils ont perdu, non le sens de la raison, mais le sens de la raison commune, c'est pourquoi je préfère le terme irrationalisme pour décrire ces courants qui continuent pourtant de se réclamer de la raison. Mais en réalité c'est une raison excluante, qui élimine par nécessité car sa survie en tant que raison d'un seul, dépend exclusivement d'une recherche constante des coupables ; des bouc-émissaires ; des terroristes; des anti-sémites ; des violents. tant qu'ils sont désignés et que l'opinion publique acquiesce, aucune alternative ne sera possible à ce néolibéralisme auquel Foucault n'a jamais pensé.

Sinon comment comprendre la complexité des multiples crises que nous sommes en train de vivre : crises, sanitaire, sociale, économique et politique. Nous sommes, je le crois, pour la plupart d'entre nous désemparés devant ce flux constant d'événements, de faits qui nous placent dans une hébétude qui rend impossible ou très compliquée l'analyse. Alors que c'est un  besoin vital de comprendre pour vivre. Avoir soi-même l'intellection de ses propres chaines est la seule possibilité de s'en libérer. On ne peut en appeler à la raison d'en autre pour acquérir cette intellection, cette conscience.

La position néolibérale actuelle qui n'est pas propre à nos gouvernants parce qu'elle est mondiale est, je pense qu'on peut maintenant le dire, jusqu'au boutiste. Nous sommes chez nous au coeur d'une crise républicaine ou démocratique qui se manifeste de plus en plus clairement par une violence affichée, assumée. La raison isolée va jusqu'au bout d'elle-même niant le réel, pensant le construire sans lui. Taxant de complotistes tous ceux qui n'adhèrent pas à la raison d'un seul sans en avoir jamais les moyens. La contradiction est pour eux une erreur absolue, donc ils confisquent le débat puis disent qu'il est impossible de débattre puis ils disent que ceux qui débattent en dehors des lieux institutionnels et légitimes du débat comme l'assemblée nationale déraisonnent. Mais, puisque le débat public n'est plus organisé, puisque toute contradiction est exclue, puisque seule la raison transcendante d'un seul compte, puisque toute alternative rationnelle devient pensée comme cible à abattre, objectivement il devient très difficile de tenir sur cette ligne de crête rationnelle. Et il est vrai que les thèses complotistes se multiplient ce qui semble conforter les pouvoirs en place. Ils ont beau jeu de condamner toute tentative alternative puisque ce sont eux-mêmes qui ont confisqué les clés de la raison commune, puisqu'ils ne croient pas à la raison commune. Ils croient à la raison d'un seul. Cela n'est bon pour personne. 

Et de fait, la question pourrait être posée et elle l'est de plus en plus : qui sont les complotistes, dans la mesure où il est impossible pour la raison d'un seul d'éclairer toutes les consciences? Mais il faut comprendre. En réalité ils ne le sont pas car ils revendiquent un pragmatisme total du présent qui se situe volontairement au-delà ou en deçà de toutes les idéologies qui sont toutes taxées de totalitaires ou dictatoriales. Ce qui pourrait se comprendre au regard de l'histoire.

Ce type de négation du réel est la plus terrible des violences car elle va jusqu'à nier la réalité humaine si fragile. Cette violence se caractérise par l'impossibilité du débat contradictoire, l'impossibilité d'une autre ligne d'interprétation. En réalité l'impossibilité de la pensée car ils ne sont plus depuis longtemps dans la pensée. Ils sont dans un pragmatisme soumis à une raison devenue folle qui n'hésite plus devant rien. Folle parce que seule. Cette violence se caractérise par un dogmatisme qui n'hésite plus à dénoncer et à montrer les coupables qui ne sont rien d'autres que des bouc-émissaires. Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle mais je crois que cette stratégie conforme au dogme néolibéral est une stratégie suicidaire. Car on ne peut pas en appeler à l'irrationalisme c'est à dire à la fin de la raison commune sans risquer en effet la  folie auto-destructrice.

C'est bien le risque inhérent à l'irrationalisme qui ne se fie qu'à la raison d'un seul selon une logique qui promeut l'individu jusqu'à un sommet où, quittant le réel, il ne peut que chuter.

Tout cela parce que le néolibéralisme  a décidé dorénavant de ne nommer république que tout ce qui ne pouvait plus être hérité d'une raison commune venue des lumières émancipatrices de la raison qui n'existe, elle, que dans son caractère commun , c'est à dire qu'elle n'existe que dans la contradiction qu'elle ne nie pas mais qu'elle reconnait comme une contradiction d'elle-même. Disons une raison égarée en elle-même qui ne voit plus le réel, ou plus précisément qui ne se considère qu'elle-même seule, comme toute puissante. Il n'y a pas d'autre alternative pour une raison seule d'entrer nécessairement dans la folie. Je ne sais pas si c'est le solipsisme qu'évoquait Descartes.

Je crois que la crise sanitaire que nous sommes en train de subir est une bonne illustration de cette défaillance de la raison. Comment peut-on continuer d'appeler démocratie cet espace politique où il n'est plus possible d'éclairer la situation avec sa propre raison. Ou en réalité, on nous appelle sans cesse à la confiance et à la solidarité sans nous en donner jamais les moyens, c'est à dire en nous installant dans un aveuglement qui ne cesse de croître. Cet aveuglement mène évidemment à la docilité, à la servilité attendues comme une définition nouvelle de la citoyenneté. Tout concorde en effet. Les dissensions très pénibles auxquelles nous assistons quotidiennement dans le monde scientifique ou pseudo-scientifique sont pour moi la preuve que la connaissance elle-même est touchée dans ses méthodes d'accès  par l'irrationalisme. 

En réalité, il apparait évident que nous assistons à un phénomène annoncé comme révolutionnaire, qui se vit comme tel,  et qu'il l'est de fait, mais pas du tout dans le sens des Lumières humanistes mais plutôt dans le sens d'un avènement inquiétant du règne de la recherche constante et de la désignation régulière et  arbitraire des coupables, du moment qu'ils sont désignés. Cela suffit à la l'opinion publique non informée et à la vindicte populaire. Cela peut-il durer longtemps?

Cela s'est déjà produit récemment dans l'histoire, à chaque fois en raison de périodes où la république s'est trouvée défaillante sur ses bases, ses valeurs initiales qui ont pour la France cette tendance universaliste qu'il faut bien lui reconnaître et qui font sa grandeur. C'est la perversion de ces valeurs qui provoque les errements actuels que nous connaissons et qui conditionnent la liberté, la fraternité, l'égalité, qui les rendent relatives.

A tel point qu'on continue d'en appeler à ces valeurs, à un modèle républicain alors que les faits jour après jour  montrent que les fractures ne cessent de s'aggraver  : les inégalités ne cessent de croître ; les lois liberticides ne cessent de s'accumuler et la fraternité finit par ne concerner qu'un tout petit nombre, ce qui est une absurdité. Ces gens ne savent pas qu'ils jouent avec le feu, ce n'est pas en faisant de l'oppression la nouvelle règle obsessionnelle, en ciblant, en désignant, voire en excluant chaque jour tel ou tel, ceux-ci ou ceux-là  de la communauté nationale qu'on préserve la fraternité.

Je crois qu'il faut se rendre à l'évidence : nous assistons à l'émergence d'une nouveauté tout à fait inhumaine que le pouvoir est tout à fait prêt à assumer. C'est bien une révolution. On pourrait estimer qu'il s'agit d'une sorte de néofascisme mais il ne s'agit pas de cela. Le fascisme si l'on en croit Mussolini met en place un Etat total, ici il s'agit  d'une ligne malthusianiste absolue que l'économie nouvelle, néolibérale applique avec arrogance, sans pitié, sûr de son fait. Je me demande et cela m'inquiète si nous n'assistons pas à un retournement incroyable à l'émergence d'une toute nouvelle humanité, "inhumaine" au sens de la raison commune qui défendrait comme valeur fondamentale l'exclusion de l'autre, non pas celui qui ne me ressemble pas, cela fut d'un autre temps, mais l'autre c'est à dire celui qui ne m'est pas identique.

Je l'ai entendu : nous sommes trop nombreux sur la planète : la mondialisation en effet met en place un ordre mondial où une sorte de caste supérieure de quelques millions de personnes élues, d'êtres strictement identiques et qui cherchent d'ailleurs à l'être piloterait l'orbite de la planète à leur façon. Encore une fois, ils sont à l'abri de toutes thèses complotistes puisqu'ils se revendiquent de la vérité pragmatique des faits. Les complotistes sont aujourd'hui tout simplement ceux qu'on a placés dans l'aveuglement et qui continuent pourtant de chercher  à comprendre.

Nous n'y pourrons rien tant que la majorité  d'entre nous et c'est largement le cas aujourd'hui estime bonne cette ligne Non seulement ils l'estiment bonne mais ils l'encouragent ne comprenant pas que cette ligne joue contre eux. Il y faudrait davantage qu'un discours sur la servitude volontaire. Il faudrait comprendre que cette dialectique folle est une déconstruction de l'âme humaine qui n'ouvre sur aucun avenir humain parce qu'elle revendique un pragmatisme pur du présent. Comme si tout était contenu en lui. Cette déconstruction est un enfermement de la raison sur elle-même grâce aux clés d'un modèle économique qui n'a plus rien à voir avec le réel et qui revendique cette déconnexion d'avec lui comme une vérité absolue.

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