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Lénaïg Bredoux

Journaliste, codirectrice éditoriale et responsable aux questions de genre

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Billet de blog 27 juillet 2022

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Le « Machoscope » de Mediapart : on continue autrement

« Cot cot cot codec. » C’est le caquètement d’un député de droite contre une élue écologiste qui a suscité la création de notre « Machoscope » en 2013. Depuis, Mediapart, recense le sexisme subi par les femmes en politique. Après une décennie de bons et loyaux services, la formule disparaît. Pour mieux s’imposer dans nos pages.

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Son nom n’est pas resté, mais le bruit qu’il fit, ce soir d’octobre 2013, est devenu un symbole du sexisme en politique. En plein débat sur une réforme des retraites (oui, déjà), le député de droite Philippe Le Ray s’est mis à caqueter : « Cot cot cot codec », retranscrit fidèlement le compte rendu de l’Assemblée nationale. Il se moquait de l’intervention d’une autre élue, l’écologiste Véronique Massonneau. Qui se retourne et lance :  « Arrêtez ! Cela suffit ! Je ne suis pas une poule ! »

Le lendemain, dans un geste collectif inédit, aucune députée de gauche n'est venue s'asseoir dans l'hémicycle à l'heure des questions au gouvernement. Quand les parlementaires femmes sont enfin entrées, elles ont été ovationnées debout par leur camp, et huées par la droite.

« Une nouvelle fois, donc, l'Assemblée nationale a donné le spectacle du sexisme ordinaire, parfois crasse, offert par un parterre d'hommes, blancs, de catégorie socio-professionnelle supérieure et de plus de 50 ans (en grande majorité). Cela fait des décennies que cela dure… Et que rien (ou presque) ne change », écrivions-nous dans Mediapart.

Et parce que la presse a elle aussi trop longtemps minoré ce phénomène, et regardé ailleurs, quand elle ne cédait pas aux mêmes préjugés, nous avons décidé de créer une rubrique dédiée. Ainsi est né le « Machoscope », avec  le concours essentiel de Marine Turchi, Louise Fessard et Donatien Huet, quand Mathieu Magnaudeix couvrait le parlement et racontait la politique comme « une affaire de mâles ».

Nous sommes remonté·es jusqu’en 2011. Tous les partis sont concernés. Toutes les enceintes aussi, du plus petit conseil municipal aux réunions du conseil des ministres. Tous les quinquennats, également.

Illustration 1
© Mediapart

En 2012, nous avions commencé le mandat de François Hollande par Jean Glavany, ex député PS qui visait alors la présidence de l’Assemblée en 2012. Il glisse alors à propos de ses concurrentes qu’il refuse de mesurer la compétence à « la longueur des cheveux ou de la jupe ». Cinq ans plus tard, c’est Christophe Castaner (LREM) qui se lance dans une explication tordue, toujours à propos de l’élection d’un homme au perchoir : « Comme quoi je peux avoir des préférences à titre personnel, et être déçu. Et ça m'arrive souvent dans ma vie privée d'avoir ce genre d'espérances avec les femmes et d'être déçu. »

Le député d’extrême droite Gilbert Collard a été un invité récurrent du Machoscope. On y a croisé un président de la République (Emmanuel Macron), des candidats à la présidentielle (François Fillon, Éric Zemmour), un premier ministre (Manuel Valls), des ministres (Jean-Marie Le Guen, Arnaud Montebourg).

On y lit souvent les mêmes noms : Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet, Cécile Duflot, Anne Hidalgo, Aurélie Filippetti… Certaines sont à la fois la cible d’attaques sexistes et racistes, comme Najat Vallaud-Belkacem.

Dans certains conseils municipaux, les propos sont affligeants. « Vous dites que je vous ai oubliée, je pourrais vous dire que je vous ai sautée », s’entend dire une conseillère à Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales) en 2015. En 2013, à Orange, le maire d’extrême droite Jacques Bompard appelle la police municipale pour faire évacuer une élue d’opposition : « Emportez-la ! » puis, sous les rires d'autres élus : « Ne la déshabillez pas ! »

« En chaque femme, il y a quelque chose de bien mais je dois l’introduire moi-même. » Ces propos de l’adjoint au maire (LR) de Montauban, Philippe Fasan font polémique en 2017. Il s’en expliquera : « Sexiste moi ? À la maison, j’ai une femme, deux filles, deux chattes et 20 poules. Je n’ai que des femelles à la maison. »

Les plateaux télé ne sont pas en reste. « Si le Journal du hard existait encore, peut-être que Mme Schiappa irait, je n’en sais rien », glisse le maire de Nice Christian Estrosi, en 2019 chez Cyril Hanouna.

Toutes nos archives sont à retrouver ici (2011-2017) et là (2017-2022).

La formule s’achève avec le nouveau quinquennat qui s’ouvre. Mais sur la forme seulement. Car il n’est aucunement question de renoncer à ce sujet, ni de cesser de lui donner de la visibilité.

Simplement, en bientôt dix ans, le contexte a changé : le sexisme est toujours là mais le débat est plus fourni. Les féministes sont plus visibles qu’en 2013. Elles se sont organisées, y compris pour évoquer les violences sexistes et sexuelles en politique (comme récemment avec #MeToopolitique et l’Observatoire). Les femmes sont plus nombreuses à l’Assemblée, grâce à LREM et les forces de gauche. La presse, aussi, est (un peu) plus vigilante. Souvenons-nous de la journaliste Apolline de Malherbe sur BFM réagissant vivement au « Calmez-vous madame, ça va bien se passer », lancé par le ministre Gérald Darmanin.

Alors Mediapart va continuer à raconter le sexisme en politique (et ailleurs), à enquêter sur ses effets structurels et ses conséquences, parfois dramatiques. Récemment, nous l’avons fait sous la plume d’Ilyes Ramdani (ici ou ), Mathilde Goanec (ici ou ) ou Mathieu Dejean (ici ou ), journalistes au service politique – la liste n'est pas exhaustive. Nous continuerons.

Toutes les deux semaines, dans la newsletter dédiée aux questions de genre de Mediapart, La Lettre pour tous·tes, nous continuerons aussi à repérer les sorties les plus symptomatiques dans une rubrique dédiée. N’hésitez pas à nous écrire pour nous alerter ! Votre aide est précieuse.