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Billet de blog 6 juillet 2025

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« Debout sur des ruines »

ABC’éditions souhaite publier les textes du docteur Ezzideen, médecin à l’hôpital nord de Gaza, qui analyse avec justesse et dignité non seulement le martyre imposé au peuple qu’il côtoie jour après jour depuis très longtemps, mais, de plus, quel type d’“humanité” nous est désormais promis à partir du génocide actuel.

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Du docteur Ezzideen, Nord-Gaza, 6 juillet 2025

Je lis chaque message. Chaque commentaire. Chaque écho tremblant laissé sous mes mots. Je les lis avec les yeux d’un homme debout dans des ruines, et pourtant, j’ose encore espérer. Et je sais, profondément et douloureusement, que je ne peux pas arrêter cette guerre monstrueuse. Je ne peux pas invoquer la pluie pour desserrer l’emprise de la famine. Je ne peux pas protéger le corps d’un enfant de l’acier perçant d’un drone. Quel pouvoir a un stylo contre une bombe ? Quelle force a une larme face à la tyrannie ? Pourtant, je continue à y croire. Même le souffle d’une voix oubliée peut voyager loin. Le plus doux murmure de vérité peut escalader même les murs les plus hauts construits par le silence. On dit que le battement des ailes d’un papillon peut déplacer l’air suffisamment pour provoquer des tempêtes à travers le monde. Si un de mes mots, même un seul, peut éveiller le doute dans le cœur d’un soldat, s’il peut faire hésiter un tyran avant de donner le prochain ordre, s’il peut inspirer quelqu’un, quelque part, à envoyer du pain, de l’eau potable, une couverture, ou simplement un coup de main, et si cet acte sauve ne serait-ce qu’un enfant pendant une journée, alors j’en ai fait assez. C'est ma victoire. Je ne recherche pas les applaudissements. Peu m'importent les chiffres, la notoriété ou la célébrité. Je me soucie uniquement de l’impact, de l’impact réel, humain et durable. C'est la seule chose que je sers. Et donc, j'écris. J'écris à la lueur des bougies quand il n'y a pas d'électricité. J'écris à la lumière du chagrin qui ne s'estompe jamais. J'écris tandis que la ville gémit autour de moi. J'écris avec de la poussière sur ma peau et le sang séché d'étrangers sous mes ongles. J'écris à travers les cris des mères et les gémissements brisés de la terre. Je travaille sur un livre. Mais c'est plus qu'un livre. C'est un témoignage. Un journal de guerre. Un cri venu des profondeurs. C'est un travail lent. Non pas parce que je manque de volonté, mais parce que, comme toute âme à Gaza, je suis accablé par le travail quotidien de survie. Je fais de longues files d’attente pour de l’eau qui, souvent, n’arrive jamais. Je traverse des marchés vidés par le siège et le chagrin. Je prends soin des blessures qui ne se referment pas, non seulement dans les corps, mais aussi dans les cœurs. Mais au milieu de tout cela, je vole des moments de désespoir. Je ramasse les secondes comme des miettes de pain. Et avec elles, j'écris un article, un paragraphe, une vérité. Je découvre un seul éclat de lumière sous les décombres et l'offre au monde. Lorsque les bombardements cessent un instant et que le silence s’installe, je reviens à mon manuscrit. J'écris comme un homme qui construit un monument avec du sable. Je sais que la marée viendra. Mais je construis quand même, car je crois que la mémoire est plus forte que la marée. Je finirai ce livre. Je l'enverrai dans le monde. Car même si nous ne survivons pas, nos mots le feront. Faites savoir au monde que nous étions là. Qu’il soit connu que nous avons souffert, mais nous avons aussi parlé. Que nous étions affamés, mais que nous résistions quand même. Que nous avons été massacrés, mais que nous avons continué à aimer, à vivre et à nous souvenir. Si quelqu’un, quelque part, lit un jour ces mots, et s’il pleure comme nous avons pleuré, et s’il ressent ne serait-ce qu’une fraction de ce que nous avons ressenti, alors nous n’avons pas été effacés. Nous étions éternels. #GazaGenocide‌

Illustration 1
Colombes gravissant le Golgotha © Jean-Jacques M’U / ABC’éditions

I read every message. Every comment. Every trembling echo left beneath the of my words. I read them with the eyes of a man standing in ruins, and yet, I still dare to hope. And I know, deeply and painfully, that I cannot stop this monstrous war. I cannot summon rain to loosen the grip of famine. I cannot shield a child’s body from the piercing steel of a drone. What power does a pen have against a bomb? What strength does a tear hold in the face of tyranny? Still, I continue to believe. Even the breath of a forgotten voice can travel far. The softest murmur of truth can climb even the highest walls built by silence. The fluttering wings of a butterfly, people say, can shift the air enough to move storms across the world. If one of my words, even a single word, can awaken doubt in the heart of a soldier, If it can cause a tyrant to hesitate before issuing the next command, If it can inspire someone, somewhere, to send bread, clean water, a blanket, or simply a helping hand, and if that act saves even one child for one day, then I have done enough. That is my victory. I do not seek applause. I do not care about numbers, reach, or fame. I care only about impact, real, human, lasting impact. That is the only thing I serve. And so, I write. I write by candlelight when there is no electricity. I write in the light of grief that never dims. I write as the city groans around me. I write with dust on my skin and the dried blood of strangers beneath my fingernails. I write through the cries of mothers and the broken moan of the earth. I am working on a book. But it is more than a book. It is a testimony. A war diary. A cry from the depths. It is slow work. Not because I lack the will, but because, like every soul in Gaza, I am burdened by the daily labor of survival. I stand in long lines for water that often never arrives. I walk through markets that have been emptied by siege and sorrow. I care for wounds that do not close, not just in bodies, but in hearts. Yet in the middle of all this, I steal moments from despair. I gather seconds like breadcrumbs. And with them, I write, a post, a paragraph, a truth. I uncover a single shard of light from beneath the rubble and offer it to the world. When the bombings stop for a moment and silence falls, I return to my manuscript. I write like a man building a monument from sand. I know the tide will come. But I build anyway, because I believe memory is stronger than the tide. I will finish this book. I will send it into the world. Because even if we do not survive, our words must. Let the world know that we were here. Let it be known that we suffered, but we also spoke. That we were starved, but we still resisted. That we were slaughtered, but we still loved, still lived, and still remembered. If someone, somewhere, someday reads these words, and if they weep as we wept, and if they feel even a fraction of what we felt, then we were not erased. We were eternal. #GazaGenocide‌

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