La psychiatre psychanalyste Monique Lauret est de ces intellectuelles qui préconisent la création d’une instance posant les bases d'une Éthique de la conscience et du discernement aux niveaux individuel et collectif. Elle transmet la psychanalyse en Chine depuis 2011, et produit plusieurs ouvrages qui, dans une ligne confucéenne, valorisent la transmission de la sagesse des Anciens.
L'expérience de Jean Monod, anthropologue de formation, ne pouvait qu'exacerber cette démarche.
Les conclusions de cet auteur décalent pourtant des philosophies d'accompagnement de nos sociétés, même si, à certains égards, il peut rejoindre çà et là des pensées de type “collapsologues” comme celles de Pablo Servigne, dont, très prudemment, il tient toutefois à se démarquer tout net quand on l'interroge à ce sujet.
Comme Monique Lauret, Jean Monod s'est lui aussi plongé à maintes reprises dans le quotidien de peuples « sans histoire » (sic) ; lui aussi s'inquiète de cette massification galopante qui se fait abusivement appeler “démocratie” ; lui aussi envisage de puiser dans les savoirs de groupes humains qui vivent en nombres restreints, à l'instar de « l'art de ne pas être gouverné » cher au ZOMIA de James C. Scott... cependant, sa pensée est forte d'une prémisse qui est la contestation radicale de l'idée de “civilisation”.

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En fait, la question de la "civilisation", c'est déjà un point qui méritera sans doute qu'on approfondisse le débat ce soir-là, bien au-delà des (pas si simples) déclarations de Levi-Strauss ou de Pierre Clastres.
Depuis son ouvrage co-écrit avec Diane Sabatier, Du pillage au don, aux éditions de L'Harmattan (2014), Jean Monod a consolidé sa critique de la logique des systèmes de pouvoirs. Dans OURANOS, son premier ouvrage chez ABC’éditions, il a d'abord révélé les trois fonctions de la religion dans l'État : – sacraliser le pouvoir, – aliéner les consciences, – mythifier l'histoire.
En cela, il reprend et approfondit dans le détail la démarche engagée avec Wora, la déesse cachée, publiée en 1987 chez Évidant Éditeurs, et qui avait la même année reçu le Prix Louis-Marin de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer. Il a d'ailleurs fait paraître trois ans plus tard chez le même éditeur Raid, un beau récit, très personnel, qui met en mouvements la relation entre plusieurs niveaux d'accès aux cultures, notamment amérindiennes et européennes, avec leurs zones d'ombres qu'il faut nécessairement réfléchir à la fois pour s'en imprégner et pour s'en détacher.
Avec son dernier ouvrage, APRÈS LE DÉLUGE. Le mythe de la catastrophe salvatrice, Jean Monod met totalement de côté cet aspect, sans doute trop illusoire ou incertain, de la liberté individuelle, et il se lance dans une étude dense et.active des grands récits fondateurs de nos « civilisations », mot dont il se méfie toujours autant, dans sa critique, fine et dûment argumentée, de tout ce qui sous-tend (soutient ?) l'État.

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Après le Déluge. Le mythe de la catastrophe salvatrice s'intéresse au pouvoir mystificateur des doctrinaires. Ainsi Jean Monod fait-il apparaître les philosophes du Critias dans le cinquième chapitre de son livre intitulé « Dilemme grec » : les dieux ou la guerre ?... Faut-il en effet traiter auprès des populations des lois divines ou bien au contraire entreprendre de lutter contre les forces armées qui prétendent nous imposer les droits à vivre, circuler et travailler dans les territoires conquis ?

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Jean Monod déduit que tout mythe, notamment celui de l'Atlantide, sert à poser les bases politiques de la Cité : les conquérants d'une terre se présentent aux générations suivantes comme des élus supérieurs sauvés de la catastrophe. Les conquérants présentent les vaincus comme « sauvages » ou « barbares ». S'il conçoit ainsi un double jeu chez les mythographes, Jean Monod établit magistralement comment l'apocalypse de Jean de Patmos joue avec l'annonce de la fin... de Dieu !

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Les mythes de catastrophes salvatrices que pose Jean Monod peuvent se décliner sous quatre combinaisons, au moins :
– l'annonce de la catastrophe, notamment écologique (discours effondristes, apocalyptiques, où les propagandes officielles prennent soin devant leurs populations d'ignorer les guerres comme catastrophes, mais insistent au contraire sur le non-directement humain, comme une fatalité universelle ou cosmique à laquelle il serait impossible de résister à la mesure des individus, à laquelle il faudrait nous préparer, s'adapter en anticipant les dégâts et l'éventuelle résilience des survivants, toute une littérature, toute une filmographie abonde dans ce sens prédictif que Jean Monod considère, sinon délirant, du moins très complaisant avec les systèmes en place, responsables eux-mêmes de ce fameux “Effondrement”, provoqué par les descendants des mêmes familles qui avaient déjà fabriqué “la Croissance” ou “les Lumières”) ;
– la conséquence intrinsèque du précédent, c'est que toute catastrophe annoncée prépare les masses à leur propre extermination, massive (les exemples historiques sont inépuisables) ;
– les scénarios politiques des États rivalisant entre eux pour conserver ou s'approprier les ressources vitales : les révolutions sont d'autant plus mythiques qu'elles masquent toujours la permanence des systèmes de gestion de masses, seuls les modes de gouvernances, ou les régimes politiques, peuvent éventuellement changer, sans jamais transformer les modes alimentaires, la façon de cultiver, l'accès au sol, à l'eau, au savoir intergénérationnel, etc. ;
– le fait, intangible, que tout mythe antique pose le principe d'inégalité : aucun des mythes premiers ne s'embarrasse de concepts autour de la démocratie. Les mythographes d'autrefois ont systématiquement (re)présenté les rois et les héros obéissant aux lois divines comme les sujets se trouvaient sommés d'obéir à leurs chefs et à leurs souverains. En revanche, dans les mythes nés avec les siècles de l'ère industrielle, assoyant le progrès et la modernité, il est facile de constater que l'obéissance à l'autorité a progressivement pris la place de la hiérarchie entre prêtres et fidèles.

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Jean Monod, de la sorte, s'inscrit totalement en faux par rapport aux mythes « catastrophistes » actuels et passés. Les actuels, parce qu'ils abondent dans le sens de la propagande des pouvoirs institués, les passés parce que les mythographes n'avaient d'autre vocation que celle de mystifier.
« Telles semblent avoir été les sociétés sans État... », précise Jean Monod, « Sociétés qui ne sont pas des sociétés contre l’État, venues ensuite, des sociétés fuyant les États, comme celles de la Zomia, mais des sociétés d’avant les États. Ce sont les sociétés qui ont eu la durée la plus longue dans les temps préhistoriques.
Sociétés qui avaient pour condition de n’être pas assujetties.
Elles n’ont pas été avec les États dans un rapport d’opposition réciproque, sur fond d’inégalité, les vouant aux alternances périodiques du type éclipses. Leur rapport étant d’incompatibilité et n’étant pas les plus fortes, elles ont été effacées, vaincues, ont disparu, – comme ont disparu les Néandertaliens –, et n’existent plus. L’aventure humaine aujourd’hui se poursuit sans elles. Elles ne sont plus que des objets de science historique, ou des mythes.»
Sans doute quelque chose de l'esprit de Marshall Sahlins planera-t-il autour des réflexions qui se feront jour à cette occasion.

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Informations
Entretien avec Jean Monod à la librairie Ombres blanches samedi 15 septembre de 18 à 20h : https://www.ombres-blanches.fr/les-rencontres/rencontre/event/jean-monod/apres-le-deluge//8/2018.html
Librairie Ombres Blanches Toulouse
50 rue Gambetta, Tél. 05 34 45 53 33
Le livre, chez ABC’editions :
http://www.abceditions.net/nos-parutions/6-nos-parutions/12-apresledeluge
APRÈS LE DÉLUGE. Le mythe de la catastrophe salvatrice
de Jean Monod, illustré par Gwenaëlle d'Azémar
352 pages, Format 14,8 x 21 ; épaisseur 21,5 mm ; poids : 469 gr
Pages intérieures noir et blanc, sur papier bouffant ivoire 80 gr/m²
ISBN 978-2-919539-09-3
Prix indiqué : 21 € TVA 5,5% comprise