Une initiative proprement révolutionnaire a pris forme hier à Ibagué, capitale musicale de la Colombie. Et cela ne concerne pas que la Colombie. Nous faisons pari, aux humanités, que la création d'un parti politique d'un genre totalement neuf, le Parti des enfants, conçu par des jeunes de 9 à 14 ans, éclaire enfin notre avenir commun. Nous adhérons d'ores et déjà au Manifeste que ces très jeunes gens ont écrit, dont ils ont eu la grâce de nous confier l'exclusivité, parce que nous pensons que cela peut tout bouleverser, mondialement : en effet, qui saurait s'opposer à l'enfance ?
C'est une première mondiale. En Colombie, un groupe d'enfants, de 9 à 14 ans, s'apprête à lancer un nouveau parti politique ! D'ores et déjà, ils et elles en ont rédigé le manifeste fondateur, confié en exclusivité aux humanités. L'initiative vient d'Ibague, 500.000 habitants, "capitale musicale de la Colombie", où fut organisée, les 7 et 8 avril 2017, la toute première édition d'un "festival des humanités". C'est comme ça, la vie : on sème à tout va, sans savoir si des "graines" vont pousser, ni quand, ni où, ni comment.
Échos du "festival de humanidades", à Ibagué, les 7 et 8 avril 2017.
« El azar hace muy bien las cosas en la historia, lo hace mucho mejor que la lógica » (« Le hasard fait très bien les choses dans l’histoire, bien mieux que la logique »), écrit Julio Cortázar. Le hasard, donc, a voulu que cette année-là, je fasse la connaissance d'un enfant, alors âgé de moins d'un an. Je suis sensible aux prénoms : cette petite fille s'appelait, et s'appelle toujours, Luciana, et oui, c'est une petite luciole. On est restés en contact, on se parle parfois, elle adore lire, et à mois de 10 ans, elle sait déjà ce qu'elle veut faire plus tard : AVOCATE ! Pourquoi avocate ? Parce qu'elle n'aime pas les injustices, me dit sa mère. Et en Colombie, des injustices il y en a à foison, bien plus qu'ici-même on accepterait. En Colombie, les gens acceptent, ils n'ont pas trop le choix. Souvent ils disent « Así es » : « C'est comme ça ».
Luciana (photo ci-contre) ne dit pas « C'est comme ça ». Elle dit plutôt : « ça ne devrait pas être comme ça ». Mine de rien, ça change tout. Elle ne comprend pas encore tout à "la politique", mais elle aime bien l'actuel président colombien de gauche, Gustavo Petro. Et surtout sa vice-présidente, Francia Marquez. Moi aussi : on a au moins ça en commun, Luciana et moi. En Colombie, élection présidentielle en 2026, la prochaine présidente sera sans doute de droite extrême, elle a déjà la bénédiction de Donald Trump. En Colombie, il y a des gens qui sont déçus par Petro, il n'a pas fait tout ce qu'il a promis, notamment en matière d'éducation et de santé. Forcément : comme Boric au Chili, il a beau être président, il n'avait pas la majorité au Congrès. Un jour, j'ai expliqué ça à Luciana, elle a parfaitement compris. Et elle ne veut pas attendre d'avoir la majorité (18 ans, en Colombie) pour changer tout ce qui ne va pas. C'est pour ça qu'avec des ami.e.s à elle, elle a décider de fonder un parti politique : le PARTI DES ENFANTS !
Le « parti des enfants » : utopie ou promesse ?
L’idée pourrait sembler candide : un parti des enfants, un mouvement politique né de ce que le monde des adultes oublie trop souvent — la fragilité, la curiosité, la capacité d’émerveillement. Et pourtant, au fil du 20e siècle, cette utopie a plusieurs fois tenté de prendre corps, entre pédagogie et provocation démocratique. En Inde, dans les années 1990, des enseignants du Kerala créent le Children’s Political Party : pas un parti au sens électoral, mais une école de démocratie. Les élèves y forment un gouvernement fictif, débattent, votent des lois sur leur environnement ou leur école. L’idée : apprendre tôt la responsabilité politique plutôt que la subir plus tard. En Italie, dans les années 2000, un Partito dei Bambini prône la reconnaissance symbolique du vote des mineurs : chaque enfant devrait “compter” dans la représentation, ses parents disposant d’une voix supplémentaire pour exprimer l’intérêt des générations futures. L’expérience resta marginale, mais fit écho à un débat déjà présent en Allemagne, où quelques députés avaient proposé un “vote familial” pondéré par le nombre d’enfants. Ailleurs, la référence demeure satirique, comme en Islande, où le comédien Jón Gnarr fonde en 2009 Le Meilleur Parti, projetant de gouverner Reykjavik “comme une maison d’enfants”, c’est‑à‑dire avec pragmatisme, amusement et responsabilité. Derrière l’humour, un constat sévère : les adultes politiques ne savent plus jouer — ni rêver.
L’histoire d'un “parti des enfants” est donc celle d’un renversement symbolique : donner droit de cité à ceux qu’on dit trop jeunes pour comprendre, alors même qu’ils supportent les conséquences des choix faits en leur nom — climatiques, économiques, existentiels. Cette idée ressurgit aujourd’hui : parlements de jeunes, conseils citoyens juniors, plaidoyers à l’ONU pour un ombudsman mondial de l’enfance. Ce n’est plus une blague ni une utopie, mais une nécessité démocratique : intégrer dans la décision le regard de ceux qui n’ont pas encore voix au chapitre.
Mais un Parti des enfants, cela n'a encore jamais existé en tant que tel. Et voilà que ça arrive. En Colombie, avant sans doute d'essaimer partout. Ce n'est même pas la "Gen Z" : après la lettre "Z", il n'y a plus rien, dans l'alphabet. Il faut tout reprendre, du début. / Jean-Marc Adolphe
Le manifeste fondateur du Parti des enfants
(Ibagué, 27 décembre 2025)
Nous, enfants d’aujourd’hui, parlons au nom du monde que nous habitons et de celui que nous laisserons à d’autres enfants. Nous ne sommes pas un jeu, ni une décoration. Nous sommes déjà des citoyens du vivant.
Nous voulons que notre parole soit écoutée quand il s’agit de décider de l’école, de la nature, du logement, de la santé, mais aussi de la paix, du travail et de la dignité. Tout cela nous concerne, même si nous n’avons pas encore de carte d’électeur.
Nous voulons un monde où vivre bien ne veut pas dire posséder beaucoup, mais prendre soin – des autres, de la terre, des animaux, du ciel. Nous croyons que la terre n’appartient à personne, mais que chacun lui appartient.
Nous demandons :
que la voix des enfants soit reconnue dans les conseils municipaux, les écoles et les médias ;
que chaque décision publique prenne en compte ce qu’elle change pour l’avenir des enfants et de la planète ;
que les filles et les garçons aient les mêmes droits, les mêmes rêves possibles ;
qu’on mette fin à la pauvreté et à la honte qu’elle impose ;
qu’on protège les forêts, l’eau, les oiseaux, comme on protégerait un ami.
Nous ne cherchons pas le pouvoir, mais la justice. Nous ne voulons pas dominer, mais participer. Nous voulons inventer, avec les adultes de bonne volonté, un "bien vivre" partagé : une manière douce et courageuse d’habiter le monde.
Notre parti n’a ni chef, ni drapeau, mais une promesse : faire entendre la voix de ceux qui ont encore le temps de rêver — et l'intelligence, même sio on est encore petits, de voir que tout commence maintenant.
EN ESPAGNOL
Nosotros, los niños de hoy, hablamos en nombre del mundo en el que vivimos y del que dejaremos a otros niños. No somos un juego ni una decoración. Ya somos ciudadanos del mundo.
Queremos que se escuche nuestra voz cuando se trate de decidir sobre la escuela, la naturaleza, la vivienda, la salud, pero también sobre la paz, el trabajo y la dignidad. Todo esto nos concierne, aunque todavía no tengamos carné de votante.
Queremos un mundo en el que vivir bien no signifique poseer mucho, sino cuidar: a los demás, la tierra, los animales, el cielo.
Creemos que la tierra no pertenece a nadie, sino que todos le pertenecemos.
Pedimos:
que se reconozca la voz de los niños en los ayuntamientos, las escuelas y los medios de comunicación;
que cada decisión pública tenga en cuenta lo que supone para el futuro de los niños y del planeta;
que las niñas y los niños tengan los mismos derechos, los mismos sueños posibles;
que se ponga fin a la pobreza y a la vergüenza que impone;
que se protejan los bosques, el agua y las aves, como se protegería a un amigo.
No buscamos el poder, sino la justicia. No queremos dominar, sino participar. Queremos inventar, junto con los adultos de buena voluntad, un buen vivir compartido: una forma amable y valiente de habitar el mundo.
Nuestro partido no tiene líder ni bandera, pero sí una promesa: hacer oír la voz de aquellos que aún tienen tiempo para soñar y la inteligencia, aunque sean pequeños, para ver que todo comienza ahora.
Ibagué, 27 de diciembre de 2025
Agrandissement : Illustration 4