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Billet de blog 2 mars 2023

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OÙ MÈNE L’ÉCONOMIE DE GUERRE ?

Alors que des médias racontent la guerre en Ukraine comme un roman feuilleton, et d’autres la commentent comme un match de football en comptant les points, les tensions militaro-économiques nous mènent vers une Troisième Guerre mondiale.

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La Chine, acteur majeur de ce conflit militaro-économique qui secoue le monde, doit sa forte croissance économique de ces quatre dernières décennies à la course effrénée au profit des capitaux occidentaux, et à la délocalisation massive des entreprises aux dépens des emplois nationaux. Cette facette de la « mondialisation » a eu aussi comme conséquence, une désindustrialisation aux effets socio-économiques dévastateurs. Après trois ans de crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, l’activité de l’économie mondiale a ralenti, et la croissance du PIB en Chine a chuté de 5 points entre 2021 et 2022. Néanmoins, selon le Bureau national des statistiques (BNS), en 2022 son produit intérieur brut a progressé de 3%. Son excédent commercial passe de 101,3 milliards de dollars en août 2022 à 71,9 milliards en janvier 2023, alors que la balance commerciale des États-Unis accuse un déficit de 948,1 milliards de dollars en 2022 (+12,2% de déficit par rapport à 2021). Les ambitions géostratégiques de Pékin en Eurasie – avec la Nouvelle route de la soie et ses 100 milliards de dollars d’investissement depuis 2013 –, se confrontent à l’agressivité d’une Amérique en perte d’influence et une Union Européenne vassalisée. États-Unis et Union européenne annoncent des alternatives à la Nouvelle route de la soie, par des slogans publicitaires exprimés par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen : « Haut niveau de transparence, de bonne gouvernance et de qualité » […] « approche guidée par la démocratie et ses valeurs » […] « conditions justes et favorables, afin de limiter le risque de surendettement ». Des offres auxquelles les pays émergents restent indifférents.

Dans ce contexte de tensions croissantes, alors que l’Occident s’enfonce dans la récession et que la Chine poursuit sa croissance économique, Washington multiplie les provocations et Pékin accuse le coup tout en resserrant ses liens avec Moscou. Dans le Pacifique, quarante-huit heures après la fin des manœuvres militaires conjointes des États-Unis et de la Corée du Sud, la Corée du Nord riposte par le tir de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). En mer de Chine les incidents se multiplient, notamment entre Pékin et Manille. Le dernier en date s’est produit le 9 mars 2023, par l’entrée dans les eaux bordant un récif chinois des îles Spratleys en mer de Chine méridionale, d’un avion des garde-côtes philippins (RFI le 9/03/2023). Les Philippines, archipel situé à 360 kms au sud de Taïwan, est gouverné par le fils de l'ancien dictateur Ferdinand Marcos, qui en 1986 avait fui aux États-Unis après la chute du régime tyrannique de son père. En février 2023, Washington et Manille renforcent leur alliance contre Pékin par l’extension d’un Accord de coopération renforcée en matière de défense. « Washington et Manille sont convenus de l'extension d'un accord existant pour inclure quatre nouveaux sites "dans des régions stratégiques du pays", à l'occasion d'une visite aux Philippines du secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin. » […] « Compte tenu de la proximité de Taïwan, la coopération des Philippines constituerait un élément clé dans l'éventualité d'un conflit avec Pékin. Un général quatre étoiles de l'US Air Force a récemment pronostiqué qu'un tel affrontement pourrait se produire dès 2025. » (Le Point 02/02/2023). Pat Ryder, un porte-parole du Pentagone confirme cette perspective : « Les États-Unis et les Philippines progressent à grands pas vers le renforcement de leur interopérabilité et de leur posture de défense mutuelle ». Les Philippines, ancienne colonie américaine (1898-1946), allumeront elles le détonateur d’une guerre qui ferait de Taïwan l’Ukraine asiatique ?

Ces tensions en Asie comme en Europe, symptômes de la crise cyclique du capitalisme – accélérée par la pandémie de Covid –, vont s’accroitre avec l’entrée des pays dits riches dans des économies de guerre, comme l’a acté Macron avec sa loi de programmation militaire, qui lors de sa visite à Eurosatory, le 13 juin 2022 déclare : « Il faudra aller plus vite, réfléchir différemment sur les rythmes, les montées en charge, les marges, pour pouvoir reconstituer plus rapidement ce qui est indispensable pour nos forces armées, pour nos alliés ou pour celles et ceux que nous voulons aider ». L’entrée dans l’économie de guerre est une constante de la crise cyclique du capitalisme. Elle répond aux demandes de l’industrie de l’armement et des capitaux financiers en quête de nouveaux profits, et s’inscrit dans la perspective d’un conflit armé pour sortir du chaos et de l’impasse dans lesquels l’économie mondiale a été précipitée.

Surexploitation des ressources naturels, désordre économique, production anarchique des biens de consommation, récession économique, inflation, chômage, crise sociale, un processus qui a précédé les deux guerres mondiales et qui se répète aujourd’hui. En 1914, après un siècle de domination de l’économie mondiale, l'Empire britannique affronte les deux puissances montantes que sont les Etats-Unis et l’Allemagne. Alors que la croissance britannique n’est que de 1,9% par an, celle des États-Unis atteint 3,94% et celle de l'Allemagne 2,81%. La crise financière mondiale de 1907-1908 est suivie d’une reprise économique ralentie en 1912 par les tensions internationales. L’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE), dans une publication consacrée à l’inflation en Allemagne de 1914 à 1923 écrit : « L’année 1913 était placée sous le signe de la pénurie de capitaux et d’une surproduction croissante. » […] « qu’avant la guerre l’économie allemande se trouvait en situation de marasme » […] « Le raidissement de la situation économique correspond presque exactement à la montée des tensions politiques dans le monde. Les petits signes de reprise [...] qui se faisaient jour au début de 1914 et en mai de la même année sont immédiatement réduits à néant par les événements politiques » (F. Hesse, Deutsche Wirtschaftslage..., op. cit., p. 13).

Une décennie a séparé le krach boursier de Wall Street en 1929 de la Deuxième Guerre mondiale. En 2008, avec la « Crise des Subprimes », le monde connait le plus grand krach boursier de tous les temps. Sur la périodicité de ces krachs boursiers, le site Andlil Trader Insid écrit : « Il est indispensable de bien comprendre l'histoire de la finance pour la comprendre et ainsi voir que ces krachs ne sont qu'un éternel recommencement d’enchaînement de cycles haussier et baissier. Néanmoins, accompagnée par le développement de nos technologies allié au phénomène de globalisation, la fréquence des krachs boursier s'accélère de plus en plus, ainsi que leur impact sur l'économie mondiale ». La faillite de la Silicon Valley Bank annoncée le 10 mars 2023, (provoquant la panique dans le système bancaire américain), oblige la banque centrale américaine (la Fed) à intervenir à hauteur de 25 milliards de dollars. C’est la plus grande faillite bancaire aux Etats-Unis depuis la crise financière de 2008. La Silicon Valley Bank est classée au seizième rang des banques américaines, avec 209 milliards de dollars d'actifs et 175,4 milliards de dépôts.

Le krach boursier est un des symptômes de la crise du capitalisme financier. Comme dans les années 1930, la récession économique et l’inflation galopante s’installent ; la montée des nationalismes et le repli sur soi gagnent du terrain ; l’entrée dans l’économie de guerre s’amplifie et l’accroissement des tensions internationales se multiplient. Investi d’une mission propagandiste, le discours réducteur diffusé quotidiennement par les médias sur la guerre en Ukraine cherche à masquer les orientations guerrières de nos gouvernants, et à dissimuler les véritables causes d’un conflit généralisé annoncé. Anatole France écrivait « On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. » Idéal, patrie, démocratie, liberté, des mots souillés lorsqu’ils sont prononcés par les gouvernants de pouvoirs politiques – régimes libéraux, autocraties, dictatures ou capitalisme d’État –, serviteurs des puissances financières et industrielles. Impostures destinées à chloroformer les consciences et à mobiliser les forces actives qui, en temps de paix sont exploitées pour enrichir les classes possédantes, et en temps de crise envoyées mourir dans des guerres économico-financières, déclenchées par « des gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. »

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