Lors d’une passe d’armes à l’Assemblée nationale le 3 octobre 2023, entre Gérald Darmanin ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer et Sandrine Rousseau, la députée écologiste lui lance : « Imaginez la ville de Strasbourg, 270 000 habitants à peu près, privée d’eau deux jours sur trois. Imaginez que lorsque l’eau coule enfin du robinet, elle soit marronnasse et donne la diarrhée. Imaginez que des enfants n’aillent plus à l’école faute d’eau » […] « cette situation nous ne l’accepterions pas une seconde dans l’Hexagone. Pourquoi l’accepterions-nous à Mayotte ? » […] « Pour le gouvernement, les Mahorais sont-ils des Français comme les autres ? » […] « Ce dont il s’agit ici, c’est bien d’une crise de l’abandon par l’État ».
Il s’agit bien d’abandon par l’État du plus pauvre département de France – 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté – dont souffrent les Mahorais. Une habitante de l’île raconte à BFMTV.com le 9 septembre 2023 : « On n'a aucune vision à long-terme de comment ça va se passer, sans parler des bruits de couloirs... Sur le manque de moyens à l'hôpital, les possibles fermetures de services publics, des écoles, des entreprises... Il y a constamment des rumeurs qui courent et on ne sait plus ce que l'on doit croire ou pas ». Elle dénonce « un manque criant d'informations parce que les autorités prennent peu la parole. On n'a pas de discours clair auquel se fier donc on reste un peu à l'aveugle... Et à force les gens n'ont plus confiance ».
Au-delà de la crise de l’eau, la Ligue des droits de l’homme s’inquiète que « la France place ainsi des mineurs dans des situations de vulnérabilité et de danger intolérables ». En avril 2023 à Mayotte, la violation des libertés fondamentales a été dénoncée par un rapport du Cabinet Fidès Avocats de 50 pages, adressé le 18 juin 2023 au président de la République ; à la défenseure des Droits ; à la contrôleuse générale des lieux de Privation de liberté ; au président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme ; au président du Conseil national des barreaux ; au président de la Conférence des bâtonniers ; au Bâtonnier de Mayotte ; et à la présidente de l’Association des avocats pour la défense des droits des étrangers. L’intitulé du document étant : « La France est-elle véritablement un Etat de droit ? Bref état des lieux du contentieux de l’éloignement à Mayotte. » La note précise : « Notre Cabinet intervient en droit des étrangers à Mayotte et notamment, en matière de contentieux de l’éloignement. Effarés par les violations répétées des libertés individuelles dont font l’objet nos clients dans ce cadre, nous nous sommes rendus, au mois de décembre 2022, à un colloque sur le thème “un dialogue à trois voix sur la défense des libertés en France" » […] « Le contenu qui suit est principalement basé sur les dossiers que notre Cabinet a été amené à traiter et sur notre analyse juridique des faits constatés. La question des étrangers en situation irrégulière à Mayotte est une question sensible et très controversée. Aussi, à titre liminaire, nous tenons à préciser que la présente note ne revêt aucun caractère politique. En notre qualité d’avocats, nous entendons rendre compte des faits que nous avons pu constater, d’un point de vue strictement factuel et juridique ».
Ce rapport constate que « Les libertés individuelles et les droits les plus fondamentaux de ces personnes sont régulièrement violés : Droit à la sûreté, droit à un procès équitable, droit à un recours effectif, droits de la défense, droit de ne pas subir un traitement inhumain et dégradant, droit au respect de sa vie privée et familiale, et pire, les violations portent également sur les droits fondamentaux des enfants. »
« Ces pratiques qui permettent à la Préfecture de Mayotte de réaliser des chiffres d’éloignements annuels conséquents avec des moyens et des effectifs limités, sont malheureusement peu contestées en justice en proportion de leur nombre, et ce, principalement en raison des difficultés d’accès au droit pour les personnes concernées. »
« Par ailleurs, les décisions prises en première instance font rarement l’objet de recours devant les juridictions d’appel et les juridictions suprêmes en raison du peu d’avocats intervenants dans la matière à Mayotte, et ce, d’autant que les Cabinets concernés sont souvent déjà débordés par le contentieux de première instance. »
« Il en va d’ailleurs de même pour les services du JLD et du Tribunal administratif, lesquels sont saturés par ce contentieux, du fait d’effectifs très insuffisants en proportion du nombre d’éloignements annuels. »
« En définitive, à Mayotte, les valeurs les plus élémentaires de l’État de droit cèdent le pas à des considérations budgétaires. »
Le rapport conclut : « Si de telles pratiques peuvent avoir cours dans un certain département, pour une certaine catégorie de personnes, cette gangrène n’a-t-elle pas cours ailleurs, pour d’autres ? S’étendra-t-elle ailleurs ? et pour qui ? A cet égard, nous tenons à rappeler qu’il ne s’agit pas ici d’être pour ou contre l’immigration clandestine à Mayotte, ou encore, pour ou contre les éloignements. Il s’agit des Droits et des Libertés fondamentales de toute personne humaine. Accepter qu’un Etat puisse dénier ces droits à certaines personnes, c’est accepter que ce même Etat puisse, tôt ou tard, en faire de même pour nous. Sur ce point, nous tenons à saluer l’éthique et le courage de nombre de magistrates et magistrats à Mayotte qui sont actuellement le seul rempart contre l’arbitraire de l’Etat. La rédaction de la présente note nous a mobilisé, nous et notre équipe pendant près de 2 mois. Nous avons beaucoup hésité pendant la rédaction et même à l’heure où nous écrivons ces dernières lignes, nous sommes quelque peu fébriles tant les faits sont graves et le sujet polémique. Toutefois, nous avons choisi, nous aussi, de faire preuve de “courage et d’éthique” ». Et de conclure par une citation de Nelson MANDELA « Que vos choix reflètent vos espoirs et non vos peurs ».
(Extraits publiés avec l’autorisation des auteurs du rapport, lequel m’a été transmis par le Cabinet Fidès Avocats à Mayotte)