L’obstination du président des riches à vouloir imposer une réforme destinée à livrer l’assurance vieillesse aux fonds spéculatifs finit par allumer la mèche d’un cocktail détonnant, composé de trois comburants : l’inflation galopante et la baisse du pouvoir d’achat ; la dégradation du système de santé et l’agonie de l’hôpital public ; la réforme des retraites rejetée par une très large majorité des Français. Conseillée au président français dès 2017 par Larry Fink, PDG du géant américain des fonds de pension BlackRock, cette réforme est au menu d’une réunion tenue le 25 octobre 2017 à l’Élysée. Participent à cette réception clôturée le soir par un dîner en présence d’Emmanuel Macron : Larry Fink accompagné de dirigeants de BlackRock, de 21 gestionnaires de ces fonds de pension, de Bruno Le Maire, de Muriel Pénicaud, de Benjamin Griveaux, et d’Élisabeth Borne alors ministre chargée des Transports, qui promue Première ministre nous ressert aujourd’hui ce plat réchauffé, emballé dans un coffret d’enfumage.
Cette réforme, comme le déclare le patron du syndicat des cadres CFE-CGC, est « non seulement inutile mais honteuse ». François Hommeril fustige « un gouvernement qui s'intéresse de très près aux 163 milliards d'euros de réserves nettes des caisses de retraite, tout en préparant une réforme qui, elle non plus, (après celle du chômage), ne s'impose pas. » Elle s’impose d’autant moins, qu’elle inflige aux futurs retraités une double peine en portant l’âge de la retraite à 64 ans, et la durée de cotisation à 43 annuités. Elle est injuste, car comme le dit Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, à 62 ans, 25 % des hommes les plus pauvres sont déjà morts, contre 6 % des plus riches (France Inter, le 11 janvier 2023). Comme l’indique l’étude de l’Insee publiée par Libération : « À l’âge légal de départ à la retraite (62 ans), un quart des hommes les plus pauvres sont déjà morts (75 % ont survécu), alors que le taux de survie des plus riches est de 95 %. Ce n’est qu’à 80 ans, soit dix-huit ans plus tard, que le taux de survie des plus riches atteint ce niveau de 75 %. Sachant qu’à cet âge, moins de 40 % des plus pauvres ont survécu ». C’est ce que déclare aussi Philippe Martinez à Mediapart : « Après le travail, ce sera la cimetière ». Le secrétaire général de la CGT dénonce « une réforme pour faire peur » et « un démantèlement de l’esprit de solidarité ». Des considérations dont cette classe politique néo-libérale, occupée à défendre les intérêts spéculatifs des fonds de pension n’a que faire. Ce n'est pas la pérennité de notre système des retraites qui préoccupe les macronistes et la droite LR, mais les intérêts des fonds de pensions américains qu’en 2017, Larry Fink et BlackRock sont venus défendre à Paris auprès du président français et de sa ministre Élisabeth Borne, transfuge socialiste convertie à l’idéologie capitaliste. L’infamie de ceux qui portent cette réforme témoigne du mépris que ces politiciens, issus pour la plupart de couches sociales aisées, exerçant des activités peu préjudiciables pour leur condition matérielle et leur santé, montrent envers ceux qui triment en produisant les richesses du pays.
Après une inflation boostée par la crise énergétique, conséquence d’une guerre en Ukraine entretenue par l’escalade dans la fourniture d’armes à Kiev – alors que cette guerre s’enlise, accroissant les risques d’un conflit généralisé –, le pouvoir d’achat des Français se dégrade tandis que la rémunération des patrons du CAC 40 atteint un niveau historique (+ 52% en 2021). À ces soucis de fin de mois difficiles, s’ajoute les préoccupations sur la santé, avec des patients allongés sur des brancards pendant parfois plus de 24 heures dans les hôpitaux ; des soignants épuisés et en colère ; des soins de plus en plus dégradés par manque de personnels et de lits disponibles, et une médecine de ville en crise. Une enquête diffusée le 11/01/2023 par Le Mag de la Santé de France TV révèle qu’un patient sur deux rencontre des difficultés pour accéder aux soins ; qu’un patient sur trois estime que la prise en charge s’est dégradée, avec un impact sur la santé physique pour 62%, et psychologique pour 81% d’entre eux. L’enquête nous apprend aussi, que 75% des soignants estiment qu’il y a une perte de chance pour les patients ; que 30% des soignants ont dû refuser des soins ; que 15% de ces soins étaient des soins urgents. En Ile de France, dans les services de médecine neuro-vasculaire, 30% à 40% des lits en urgence sont fermés. Dans certains services 50% des lits sont fermés faute de personnel. Ce bilan honteux est la conséquence de la politique de marchandisation de la santé menée par Sarkozy, Hollande et Macron, et du dessein de l’actuel président d’imposer à la France un modèle de santé à la Thatcher. C’est dans ce contexte que le président Macron tente d’enfumer les Français, et déclenche un conflit social susceptible de canaliser le mécontentement des couches sociales victimes de la baisse du pouvoir d’achat ; de la dégradation de leur condition de vie ; des difficultés croissantes à accéder aux soins de santé ; et de l’obligation de travailler plus longtemps dans un monde où l’innovation et le progrès technologique sont mis au service du productivisme et des profits financiers.
Les colères exprimées par la révolte des Gilets jaunes et les frustrations accumulées sous la première mandature d’Emmanuel Macron, refoulées durant la crise sanitaire et ajoutées aux souffrances causées par la dégradation du pouvoir d’achat et les conséquences économiques de la guerre en Ukraine, créent aujourd’hui un terreau propice à une explosion sociale. Aussi, l’unité syndicale retrouvée – douze ans après la mobilisation contre la réforme d’Éric Woerth en 2010 –, portée par une puissante mobilisation des mouvements de jeunesse et de toutes les couches sociales du pays ; déclenchant une révolte d’une ampleur inédite depuis le mouvement des Gilets jaunes, sera-t-elle l’œuvre la plus réussie d’Emmanuel Macron ? La réforme des retraites sera-t-elle la réforme de trop ?