Sortir des analyses fantaisistes, des explications parfois ridiculement simplistes et des réactions émotionnelles qui inondent les écrans de télévision pour informer en relatant des faits vérifiés, c’est ce qui déontologiquement devrait guider nos journalistes. L’exemple de ce pont en périphérie de Kiev montré mille fois depuis plusieurs jours, dont sa destruction est tantôt attribuée aux forces ukrainiennes pour empêcher les Russes d’envahir la ville, tantôt aux chars russes pour illustrer les commentaires sur la population évacuant la capitale en dit long sur la rigueur qui anime ces commentateurs d’images. De même que si pratiquer ce métier dans des conflits armés est extrêmement dangereux – la mort du journaliste américain à Irpin et la menace qui a pesé sur la journaliste Maryse Burgot de France Télévisions, mise en joue par des Ukrainiens armés en sont la preuve –, se déguiser en combattant est non seulement risible, mais contraire à la pratique du métier. Ayant moi-même exercé le métier de journaliste caméraman lors de la guerre du Shaba au Zaïre en mai 1978, à Belfast (Irlande du Nord) en juin 1981 et au Liban en juillet 1981, je n’ai jamais – ni aucun des reporters présents – coiffé un casque ou mis un gilet pare-balles. À Kolwezi au Zaïre (l’actuelle république du Congo) où nous suivions les opérations du 2e régiment étranger de parachutistes, nous avons toujours rempli notre mission d’informer habillés en civil, avec un brassard ou un gilet de presse, soucieux de nous différencier des militaires. Aussi, voir aujourd’hui ces reporters casqués et accoutrés de gilets pare-balles interroge sur l’esprit de ces informateurs, sans doute pour beaucoup d’entre eux soucieux de se mettre en scène pour alimenter l’information spectacle de leurs chaînes. Quand, lors d’opérations de guerre les journalistes sont systématiquement pris en charge par les armées (c’est aujourd’hui la doctrine de toutes les armées du monde, quel que soit le pays), leur capacité à informer objectivement se réduit souvent à ce que les belligérants veulent bien montrer. Si dans les rédactions les lignes éditoriales leur imposent de servir la propagande officielle, alors l’information diffusée et les images commentées peuvent prêter à confusion. Dénoncer la barbarie des bombardements russes touchant les populations civiles en Ukraine – ainsi que ceux de l’armée ukrainienne sur les populations civiles du Donbass –, ne peut occulter la barbarie des bombardements américains en 2003 lors de l’invasion de l’Irak sans mandat international, qui d’après l’ONG Iraq Body Count (IBC) basée en Grande-Bretagne ont fait 162 000 morts. De même que condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ne peut nous interdire de relever le rôle joué par l’OTAN dans ce conflit absurde et dangereux pour la paix dans le monde. À moins d’interdire toute opinion divergente ou opposée à la propagande officielle. L’information à sens unique est déjà une atteinte à la liberté de s’exprimer. Interdire des médias c’est une atteinte à la liberté de la presse. Sous prétexte de guerre, allons-nous sombrer dans les dérives que nous condamnons au pays de Poutine ?
La Russie détient 32 % des stocks mondiaux de gaz, 10 % de la production mondiale de pétrole, la première place des stocks des minerais de fer, la deuxième place des stocks d’étain, la troisième place des stocks de plomb et de charbon, et une position dominante dans l’approvisionnement de bois dans le monde ; Elle produit aussi du nickel, du cuivre, de l’aluminium, du chrome, du tungstène et autres polymétaux, ainsi que de l’or et de l’argent. Après l’effondrement de l’URSS, dans un contexte de laisser-aller de l’État, de braderie des biens publics, d’effondrement de la santé publique et de l’enseignement, d’appauvrissement de la population et d’enrichissement des oligarques – que les Occidentaux désignent comme « les acquis démocratiques des années 1990 » – la convoitise des multinationales américaines envers les richesses de la Russie est encouragée par Boris Eltsine, premier président de la fédération de Russie miné par l’alcool. La déclassification d’archives américaines des années 1990 nous apprend que le 19 novembre 1999 à Istanbul, prenant conscience qu’en 1997 à Helsinki, il avait accepté l’impensable en entérinant l’extension de l’Otan aux pays qui autrefois constituaient le pacte de Varsovie – pacte contre lequel l’OTAN avait été créé et qui venait d’être aboli –, Boris Eltsine met en avant l’humiliation qu’allait subir la Russie pour supplier Bill Clinton de revenir sur les négociations qui l’avaient contraint à accepter l’extension de l’alliance Atlantique en échange d’une place au G7. Ce marché de dupes ouvrait la voie aux États-Unis pour encercler militairement la Russie. L’opposition de Poutine à la colonisation économique de la Russie par les capitalistes américains au profit de ses oligarques, a fait naître les tensions avec la Russie post-communiste. Après l’effondrement de l’URSS et l’humiliation infligée à la Russie par son président alcoolique Eltsine, risée des chefs d’État occidentaux, Poutine a redonné à son pays sa place dans le monde et rendu à son peuple sa fierté. Caricaturer l’autocrate russe en lui attribuant les qualificatifs les plus fantaisistes, permet de falsifier les origines du conflit armé en Ukraine, et aux va-t’en guerre de détourner l’attention de l’opinion des scandaleux profits qu’en tirent les compagnies pétrolières et l’industrie de guerre américaine. Après le camouflet de Biden à Macron en raflant à la France le contrat des sous-marins vendus à l’Australie pour un montant de 34 milliards d’euros, aujourd’hui en pleine crise russo-ukrainienne l’Allemagne va acheter aux États-Unis 35 avions de combat F-35 pour assurer la mission nucléaire dans le cadre de l'OTAN. Ces achats s’ajoutent aux 250 chars Abrams vendus à la Pologne pour 6 milliards de dollars, aux 60 millions de dollars d’armement fourni à l’Ukraine l’automne dernier, aux 200 millions en décembre et aux 350 millions aujourd’hui.
Signé le 31 mai 1997, un traité d'amitié, de coopération et de partenariat entre l'Ukraine et la Fédération de Russie interdit à l'Ukraine et la Russie de s'envahir l'un l'autre et de se déclarer la guerre. En février 2014, « la révolution de Maïdan » orchestrée par les services secrets américains et soutenue de l’Union européenne aboutit le 22 février à la destitution du président en exercice Lanoukovytch – le lendemain de la signature d’un accord de sortie de crise avec les chefs de l’opposition –, par un vote du Parlement de 328 voix sur 450 députés, alors que l'article 111 de la constitution impose un vote de 338 voix, soit de 75 % des députés ; ainsi que l'avis du Conseil constitutionnel dont son président et 5 de ses membres sont renvoyés le lendemain. Un coup d’État qui porte au pouvoir l’oligarque Petro Porochenko. Le 23 février 2014, les pro-Maïdan minoritaires dans le sud-est de l’Ukraine, notamment à Donetsk, à Louhansk et à Kharkiv s’affrontent aux anti-Maïdan. Une partie de l'Est ne reconnaît pas le nouveau pouvoir de Kiev, ainsi que certains députés du Parti des Régions. L'abrogation de la loi sur les langues régionales votée par le Parlement ukrainien retire au russe le statut de langue officielle dans 13 des 27 régions, ce qui va faire lever des brigades d'autodéfense dans le Sud-Est où la population est majoritairement russophone, notamment à Sébastopol où se trouve une importante base navale louée par l'Ukraine à la flotte russe de la mer Noire. Le 16 mars 2014, par un référendum d’autodétermination, sur les 1 274 096 votants, 96,77 % se prononcent pour la réunification de la Crimée à la Russie et 2,51 % contre. Le 18 mars, la Russie et la République de Crimée signent un traité entérinant le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie. En avril 2014, un sondage réalisé en Crimée par l'institut américain Gallup indique que 82,8 % des habitants de Crimée jugent que les résultats du référendum sont conformes à ce que pensent la majorité des habitants. Le 16 novembre 2014, le président ukrainien signe un accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne. En voulant imposer l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, les Américains entretiennent un climat de tension avec la Russie. Le 19 septembre 2018, Porochenko signe un décret afin de ne pas proroger le traité russo-ukrainien. Traité qui fixe le principe de partenariat stratégique, la reconnaissance de l'inviolabilité des frontières et le respect de l’intégrité territoriale et l'engagement mutuel de ne pas utiliser son territoire pour atteinte à la sécurité de l'autre. En novembre 2018, la marine russe s’empare de trois navires militaires ukrainiens dans le détroit de Kertch. Andreï Dratch, officier ukrainien sur la vedette « Nikopol », déclare que son bateau a pénétré dans les eaux territoriales de la Russie et que les Ukrainiens ont été prévenus « plusieurs fois » par les garde-côtes qu'ils devaient revenir dans les eaux internationales, confirmant la version de l'incident donnée par Moscou. Le 3 décembre 2018, le président Porochenko soumet au Parlement un projet de loi pour mettre immédiatement fin au traité de paix russo-ukrainien, et prépare la législation permettant de déclarer la guerre à la Russie avec le soutien des alliés occidentaux.
Le 6 juin 2014 – jour de la célébration du débarquement de Normandie –, au Château de Bénouville en France se réunissent les chefs d’État français, allemand, russe et ukrainien pour discuter de la paix en Ukraine. Cette réunion diplomatique appelée « le format Normandie » va donner le jour à un accord signé le 5 septembre 2014 par l’Ukraine, la Russie, et les républiques autoproclamées du Donetsk et du Lougansk pour mettre fin à la guerre en Ukraine orientale. Cet accord (Minsk 1) est signé en Biélorussie sous les auspices de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), Le 12 février 2015 à Minsk les présidents, russe, français, allemand et ukrainien signent un accord de cessez-le-feu. Ce second accord (Minsk 2) est aussi appelé « Ensemble de mesures pour l’application des accords de Minsk ». Ces accords n’ont jamais été respectés. Depuis 2014, cette guerre civile au Donbass a fait 13 000 morts, 30 000 blessés et des milliers de réfugiés. L’armée de Kiev, équipée par les États-Unis en avions, hélicoptères, drones, et de son propre aveu en missiles antichar Javelin a largement participé à ce bilan de victimes de guerre, en bombardant notamment les populations civiles, sans que cela émeuve Paris et Berlin – aujourd’hui donneurs de leçon – pourtant parties prenantes de ces accords. Jean de Gliniasty, expert à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), et ex-ambassadeur de France à Moscou déclare à l’AFP : « Le principal problème réside dans le fait que ce format est paralysé depuis huit ans parce que les Ukrainiens n'en veulent pas » (TV5 MONDE du 8 février 2022). C’est l’obstination des États-Unis à vouloir imposer l’extension de l’OTAN aux frontières de la Russie qui le 22 février sur LCI, fait dire à Hubert Védrine ancien ministre des Affaires étrangères de Jospin et historien, parlant « des erreurs des Occidentaux – en particulier des Américains » qui ont voulu imposer l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN : « Le Poutine de 2022 est largement notre création », en précisant que « durant ses deux premiers mandats Poutine était assez ouvert à l’Europe, même demandeur » […] « l’engrenage qui s’est passé en Crimée aurait pu être arrêté ».
Disqualifié pour pouvoir jouer un rôle constructif dans la recherche d’une solution négociée, le président Macron se contente d’être le porte-voix de Joe Biden dans la campagne de propagande diffusée par les médias sur la guerre que la Russie mène en Ukraine. Insulter et menacer Poutine, et prétendre vouloir négocier avec lui est grotesque. Sa posture relève de l’instrumentalisation d’un conflit douloureux pour le peuple ukrainien, au profit d’une campagne électorale confisquée par une guerre aux conséquences économiques et sociales à ce jour incalculables pour notre pays. En envahissant l’Ukraine, Poutine est tombé dans le piège de la guerre tendu par Washington avec la complicité de Bruxelles. La politique belliqueuse des États-Unis et l’expansion agressive de l’OTAN sont fondées sur la défense des intérêts financiers des multinationales et des industries de guerre, dont les USA sont les plus grands marchands avec 54 % du total des ventes dans le monde. L’escalade dans la guerre économique que les États-Unis et l’Union européenne ont déclarée à la Russie s’inscrit dans une stratégie de tensions pouvant mener à une nouvelle guerre mondiale. Si c’est Poutine qui le 27 février dernier met en alerte la force de dissuasion nucléaire russe, c’est Le Drian qui le 24 février déclare que « l’alliance atlantique est aussi une alliance nucléaire ». De même que c’est notre ministre des finances qui déclare : « Les sanctions infligées à la Russie sont d’une efficacité redoutable. Nous livrons une guerre économique et financière totale à la Russie. Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe ». Et notre président de prévenir : « le pire est à venir ». L’escalade punitive des Européens contre Poutine orchestrée par Washington, nous conduit-elle à une guerre programmée à laquelle nous préparent avec cynisme nos gouvernants ? La tentative d’amener la Chine à condamner l’intervention russe en Ukraine ayant échoué, les Américains provoquent Pékin en affirmant – selon le New York Times –, que le président russe aurait demandé l'aide économique et militaire de Xi Jinping, et son soutien pour contourner les sanctions occidentales. Affirmations démenties par la Chine, qui par la voix de Zhao Lijan porte-parole des Affaires étrangères demande aux Américains « d’apaiser la situation et promouvoir une solution diplomatique plutôt que d'escalader les tensions ». En réponse à Joe Biden qui menace la Chine de devoir subir des « conséquences » si elle aidait Moscou, le 7 mars dernier le ministre chinois des Affaires étrangères rappelle « l’amitié éternelle » entre son pays et la Russie, ainsi que « l’expansion vers l'Est de l'Otan » et la « mentalité de Guerre froide » de Washington. Pékin soutient aussi la thèse russe selon laquelle des laboratoires ukrainiens, partenaires d'un programme américain de « lutte contre les risques biologiques », abriteraient des sites de production d'armes biologiques. En évoquant l’histoire complexe de l’Ukraine, l’élargissement de l’OTAN et le déploiement d’armes aux frontières de la Russie, Pékin opère un tournant et met en garde Washington contre les menaces américaine à l’égard de la Chine. Les initiatives américaines et françaises à l’ONU pour isoler la Russie – où la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Iran, l’Irak, le Pakistan, ont refusé de condamner la Russie en s’abstenant – font partie d’un plan de communication destiné à l’opinion internationale. Les propos de Joe Biden traitant Poutine de « criminel de guerre » sont guignolesques, et d’un cynisme inouï dans la bouche du président d’un pays – les États-Unis – responsable de tant de crimes de guerre dans le monde : Le Viêt-Nam avec une population civile massivement bombardée au napalm : 430 000 morts (dont le massacre de My Lai ordonné par des officiers supérieurs qui a fait : 50 victimes âgées de moins de 3 ans, 69 victimes âgées de 4 à 7 ans, 91 victimes âgées de 8 à 12 ans, 27 victimes âgées de plus de 70 ans) – l’Irak avec 110 000 victimes en 9 ans de guerre – l’Afghanistan avec 165 000 victimes en 20 ans de conflit – et tant d’autres crimes perpétrés avec la complicité ou l’appui militaire US en Amérique du Sud, en Asie, en Afrique. Toutes les guerres sont criminelles, y compris celle que subissent les populations en Ukraine, alors que les oligarques ukrainiens et russes sont eux à l’abri, cueillant les dividendes de la corruption. L’urgence pour l’Ukraine est de mettre fin à cette guerre, si non quel prix le peuple ukrainien – et ceux de l’Union européenne qui vont en subir les conséquences économiques et sociales –, vont-ils payer avant qu’une solution négociée assure la sécurité des frontières en Europe, y compris celles de la Russie ? À moins que par l’escalade, les gouvernants américains et européens ne cherchent à généraliser le conflit. Pour Washington et Bruxelles, ce n’est pas l’Ukraine qui est l’enjeu des tensions auxquelles nous assistons aujourd’hui et que nous subirons douloureusement demain, mais les intérêts égoïstes des multinationales et des pays industrialisés dans une crise créée par les contradictions que génère un ordre économique mondial archaïque. Un système productiviste prédateur des ressources naturelles et humaines, et destructeur de notre planète. Comme l’écrivait Jean Jaurès, le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage.