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Billet de blog 24 décembre 2018

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À LA CROISÉE DES CHEMINS

Après six semaines de lutte, ni les mesures d’enfumage votées par l’Assemblée national et le Sénat, ni la trêve des confiseurs, n’auront éteint la flamme de la révolte des « gilets jaunes ».

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Une presse partisane au service du pouvoir

            De ces six premières semaines de lutte, d’un mouvement inédit par sa spontanéité et ses formes d’expression, comment ne pas relever en premier lieu, le comportement partisan d’une presse au service du pouvoir, animée par des journalistes suffisants et parfois arrogants, dociles serviteurs de leurs employeurs, grands patrons de l’industrie et de la finance. Une presse qui, à l’image de BFM TV, porte-voix du ministre de l’Intérieur, a servi sans retenue le candidat Macron durant la campagne présidentielle de 2017. Faut-il rappeler que c’est Macron, ministre de Hollande en 2016, qui a autorisé Patrick Drahi, homme d’affaires sulfureux, à acheter SFR pour 14 milliards d’euros. Patrick Drahi, troisième fortune de France, propriétaire de SFR, de Libération, de L'Express, de RMC, et de BFM TV. Rappelons aussi que Bernard Mourad, banquier conseil de Patrick Drahi, avait rejoint l’ex-banquier de Rothschild devenu candidat à la présidence, pour organiser son mouvement « En Marche ».

            Une illustration de cette partialité assumée par les chaînes de télévision en continu, la caricature d’émission intitulée « Gilets jaunes, sortir de la crise », diffusée en direct le mercredi 5 décembre par BFM TV. Sur le plateau, deux journalistes, suffisants, et deux ministres, déconnectés, François de Rugy et Marlène Schiappa, font le show. Face à ces quatre élites de la politiques et de la presse, s’expriment, parfois maladroitement, quatre « gilets jaunes ». Au cours de l’émission, l’un des journalistes accule Eric Drouet à déclarer qu’il souhaitait « s’approcher » et « rentrer dans l’Élysée ». Dès le lendemain, il est visé par une enquête pour « provocation à la commission d'un crime ou d'un délit » et « organisation d'une manifestation illicite », à la suite du signalement auprès du parquet par le préfet de police de Paris. Son domicile est perquisitionné, son épouse et lui auditionnés par la police. Mais où est le crime ? A-t-il menacé d’aller chercher le monarque dans son palais ? Non ! Eric Drouet se défend : « J'ai jamais dit que je voulais aller à l'Élysée pour tout casser, mais pour se faire entendre ».

Ce journaliste, sans doute bien-pensant, ne confond-il pas sa mission d’informer avec celle d’auxiliaire de police ? Cette médiocrité dans l’exercice d’une profession aujourd’hui tant décriée, n’a d’égale que la suffisance de ce personnage, valet d’un média propagandiste au service du pouvoir et de l’idéologie qu’il incarne. Quant au préfet de police, si prompt à réagir à une phrase maladroite, sans aucune allusion agressive, faut-il lui rappeler qu’il a été auteur d’un manquement à la loi en ne pas signalant au parquet l’action violente de Benalla, lors des manifestations du 1er mai à Paris. Ce collaborateur de l’Élysée mis en examen pour « violences en réunion n’ayant pas entraîné d’incapacité temporaire de travail »« immixtion dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant des actes réservés à l’autorité publique »« port et complicité de port prohibé et sans droit d’insignes réglementés par l’autorité publique », « recel de violation du secret professionnel » et « recel de détournement d’images issues d’un système de vidéo protection ». Faut-il considérer le zèle du préfet de police comme une tentative d’intimidation à l’encontre de l’un des initiateurs historiques du mouvement des « gilets jaunes » ?

Une police répressive

            Les opérations médiatiques du pouvoir, relayées par des commentaires irresponsables de certains journalistes, comme celui de la « présentatrice de plateau » de LCI le 23 décembre, où cette pseudo-journaliste, sans aucune précaution de langage, parle du « lynchage d’un policier » sur les Champs-Élysées. De tels propos relèvent non seulement de la désinformation, mais aussi d’une volonté d’intoxication idéologique, avec pour objectif de discréditer les « gilets jaunes ». Isoler de tels évènements, autant condamnables que les brutalités policières, du contexte dans lequel s’exprime cette colère profonde des Français, contribue à jeter le trouble dans l’opinion, et à justifier la répression pratiquée par le pouvoir depuis les premières manifestations du 17 novembre.

            Au-delà des actions des casseurs de l’ultra-droite, ou de l’ultra-gauche, (une constante depuis des décennies), l’explosion spontanée de cette colère est naturellement violente. Elle répond à la violence sociale que ces trois derniers quinquennats ont à ce jour, fait subir aux classes populaires et aux classes moyennes. Elle répond à cette violence qu’est l’enrichissement insolent d’une minorité de possédants, et l’appauvrissement de la majorité de la population ; celle qui produit les richesses. Elle répond aux violences que sont les trahisons et le mépris des gouvernants à l’égard des citoyens qui les ont élus. Elle répond à la pauvreté et à la misère qui humilie et qui avilie des millions d’hommes, de femmes, de jeunes, exclus du partage des richesses. Ces violences-là, seraient-elles plus légitimes que celle exprimée par des manifestants en colère face aux forces de répression ? Assez d’hypocrisie. Oui, cette colère est légitime, et son expression ne peut être que violente, parce qu’elle répond aux violence sociales et répressives du pouvoir. Au nom de quel principe, les médias se permettent-ils de diffuser, en boucle et en direct sur les écrans de télévision, les agressions envers les forces de police, et de censurer les images de manifestants grièvement blessés aux mains ou aux visages, par des tirs de grenades explosives, ou de tirs tendus de flash-ball ? Ou encore, l’agression par des policiers de journalistes, dont deux photographes du « Parisien » et « Aujourd’hui en France, touchés par des tirs de flash-ball sur les Champs-Elysées, l’un à la nuque et l’autre au genoux » ? Yann Foreix, le plus sévèrement atteint, raconte sur son compte Twitter, avoir reçu un « tir dans le dos à 2 mètres de distance, à bout portant ». Censure aussi par France 3 d’une photo de l’AFP, retouchée, montrant un manifestant avec un panneau sur lequel était inscrit : « Macron », alors que l’image originale portait l’inscription : « Macron dégage ». Au nom de quel principe, des policiers humilient une centaine de lycéens, parqués, mis à genoux, les mains sur la tête ? Au nom de quel principe, le pouvoir aurait le droit de violenter un peuple, et le peuple l’obligation de baisser l’échine ? Au nom de quel principe, un président élu par défaut, aujourd’hui rejeté par la grande majorité des Français, rend hommage aux policiers violentés, et méprise par son silence les deux milliers de manifestants blessés, parfois grièvement, et les dix morts survenues en marge des blocages ? Rendre hommage à la police qui protège les citoyens, oui ; elle est payée pour cela. Mais pas à celle qui obéit aux ordres pour sauver le soldat Macron, en violant ses propres règles, et en se défoulant sur des jeunes, des femmes, des hommes qui crient leur colère. Les brutalités de ces forces chargées du maintien de l’ordre déshonorent autant notre démocratie, que celles faites à leur encontre. Non, la République n’est pas en danger. Les « gilets jaunes » ne menacent pas la République. Aujourd’hui, le danger, c’est ce pouvoir qui en répondant par le mépris et la violence à la colère des Français, et en se réfugiant derrière son dernier rempart, la police, prend le risque de conduire le pays à l’insurrection.

À la croisée des chemins

            Avec l’année qui se finit, le mouvement des « gilets jaunes » arrive à la croisée des chemins. Ce qui à ce jour a fait sa force (sa spontanéité, son autonomie, sa liberté d’action), peut aussi devenir une fragilité s’il ne parvient pas à s’organiser. Les premières tentatives de récupération, par une extrême droite et une droite libérale opportunistes, préoccupées par les prochaines échéances électorales des européennes ; et démagogiques, feignant d’adhérer aux revendications sociales, mais soucieuses de préserver ce système productiviste et inégalitaire, se sont manifesté avec l’apparition de représentants auto-proclamés, promus par les médias. Tels, Jacline Mouraud, une opportuniste poujadiste, ou Benjamin Cauchy, interlocuteur privilégié des médias, ancien conseiller municipal UMP, écarté du mouvement de Haute Garonne. Si le risque de récupération par des opportunistes, ou par des éléments infiltrés et pilotés est réel, un autre danger menace ce mouvement émergé de la fracture des territoires et de la paupérisation des classes moyennes, celui de son isolation à laquelle s’emploie le pouvoir.

Rejoint par les retraités et les couches pauvres des villes et des campagnes, cette contestation est inédite dans l’histoire récente des luttes sociales en France. Elle traduit l’expression d’une majorité de Français exaspérés par la trahison et l’hypocrisie des politiciens, en particulier durant ces trois dernières mandatures. C’est cette réserve croissante d’abstentionnistes aux élections, qui aujourd’hui s’exprime. La hausse du prix des carburants, détonateur de cette explosion de colère, n’a fait que mettre en exergue cette fracture territoriale, et les difficultés grandissantes rencontrées par les classes moyennes. La surdité du pouvoir à la colère des « gilets jaunes », et le mépris d’un président des riches, indifférent aux difficultés que ses concitoyens ont à boucler leur fin de mois, ont accéléré la prise de conscience par une majorité de Français, que ce pouvoir ne pouvait pas apporter des réponses satisfaisantes et durables aux revendications sociales exprimées par la rue. D’où, la subordination de ces revendications à des réformes institutionnelles, aujourd’hui demandées sur les lieux de blocage et dans les manifestations.

Les luttes sociales de ces deux derniers quinquennats, orchestrées et canalisées par les syndicats, se sont toutes soldées par des échecs. Échecs qui ont conduit les ouvriers et les employés du public, comme du privé, à la résignation. La compromission des syndicats réformistes avec le pouvoir et le patronat, a permis à Hollande et à Macron d’imposer les mesures les plus anti-sociales de ces dernières décennies. Aux luttes ouvrières menées contre les réformes exigées par Bruxelles, il a manqué l’allié qu’est aujourd’hui la composante sociologique du mouvement des « gilets jaunes ». C’est de cette croisée des chemins entre le monde ouvrier et les classes moyennes, que dépend l’issue de la lutte des « gilets jaunes ». Les frustrations brûlent sur les braises des luttes passées. Il faudra à ce mouvement inédit, d’avoir la capacité de rallier à lui, dans l’action, cette majorité de Français en colère qui le soutiennent. Cela ne pourra se faire, que par la grève dans les entreprises et dans la fonction publique. Seule cette alliance pourra faire reculer le pouvoir, et ouvrir des perspectives à des réformes institutionnelles permettant une redistribution plus équitable des richesses, et un renouveau démocratique. Le pouvoir serait irresponsable de croire que l’incendie est éteint. L’été fut chaud et l’automne brûlant. Après cette trêve des confiseurs, la flamme de la révolte pourrait rendre l’hiver, ou le printemps, explosif.

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