Élu à la présidence de l’Ukraine en 2019 grâce au soutien financier et médiatique de l’oligarque Ihor Kolomoïsky (patron de 6 chaînes télévision en Ukraine et gouverneur de la région de Dnipropetrovsk de 2014 à 2015), Volodymyr Zelensky est aussi le partenaire en affaires de ce milliardaire sulfureux de nationalité ukrainienne, israélienne et chypriote. Allié et financier de l’ex-président Viktor Louchtchenko et de son parti « Notre Ukraine », l’oligarque Kolomoïsky entretient des liens d’amitié avec les dirigeants du parti nationaliste « Pravy Sector ». Connu pour sa russophobie, le milliardaire est au cœur de divers scandales, dont une récompense de 1 million de dollars offert à qui assassinerait Oleg Tsarev, ancien député pro-russe et président du Parlement de l’Union des républiques populaires autoproclamées du Donbass. En 2014, Ihor Kolomoïsky apporte son soutien au mouvement contestataire financé par les États-Unis, et à la « révolution de Maïdan » orchestrée par les services secrets américains et soutenue par l’Union européenne, en collusion avec les nationalistes et l’extrême droite ukrainienne. Le 2 mars 2014, après le coup d’État et la destitution du président en exercice Viktor Lanoukovytch, le président de la Rata (le Parlement ukrainien) Oleksandr Tourtchynov – président de l’Ukraine par intérim –, nomme Ihor Kolomoïsky gouverneur de la région de Dnipropetrovsk. L’oligarque finance plusieurs « bataillons spéciaux », dont le fameux bataillon Azov, pour combattre les séparatistes du Donbass. Mentor du président Zelensky, Ihor Kolomoïsky fait l’objet de poursuites par le Comité d’enquête russe pour avoir organisé des meurtres et avoir eu recours à des moyens de guerre illégaux. Un mandat d’arrêt international demandé par la Russie est rejeté par Interpol, alors que cet oligarque est accusé par Valéria Gontareva, ancienne gouverneure de la Banque nationale d’Ukraine, d’avoir volé avec Hennady Boholiubov (autre oligarque en possession d’un passeport de l’UE) près de 5 % du PIB, « soit 5,5 milliards de dollars […] 33% des dépôts des personnes privées […] et près 40 % de la base monétaire de notre pays » (Valéria Gontareva, mars 2018). C’est à cette Ukraine gangrenée par la corruption et gouvernée par l’oligarchie, que les bureaucrates de Bruxelles ont accordé le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne.
L’imbroglio politico-économico-financier ukrainien est à situer dans le contexte politico-financier européen d’alors, avec la nomination en Grèce le 11 novembre 2011 de Loukas Papadimos, ex-collaborateur de la banque d’investissement Goldman Sachs au poste de Premier ministre ; le 16 novembre 2011 de Mario Monti, lui aussi ex-collaborateur de la Goldman Sachs à la présidence du Conseil des ministres d’Italie ; le 1er novembre 2011 de Mario Draghi, vice-président de la branche européenne de la Goldman Sachs (2 002 à 2005) à la présidence de la Banque centrale européenne. Le président de la Commission européenne est alors le très atlantiste José Manuel Barroso. Ce fidèle serviteur des intérêts américains en Europe rejoint la Goldman Sachs en juillet 2016. C’est dans ce contexte de collusion entre une Union européenne affairiste et expansionniste, et les visées militaires de l’OTAN en Crimée où les États-Unis veulent implanter leurs bases, que l’Ukraine est déstabilisée par un coup d’État ouvrant la voie au conflit russo-ukrainien. Ce conflit armé soutenu par les pays occidentaux vassaux de Washington, est le prolongement d’une guerre économique déclarée à la Russie après la dislocation du bloc soviétique. Les ressources naturelles de la Russie sont convoitées par les multinationales américaines. La Russie détient 32 % des stocks mondiaux de gaz, 10 % de la production mondiale de pétrole, la première place des stocks des minerais de fer, la deuxième place des stocks d’étain, la troisième place des stocks de plomb et de charbon, et une position dominante dans l’approvisionnement de bois dans le monde. Elle produit aussi de l’or, de l’argent, du nickel, du cuivre, de l’aluminium, du chrome, du tungstène et autres polymétaux. Après l’effondrement de l’URSS, dans un contexte de laisser-aller de l’État, de braderie des biens publics, d’effondrement de la santé publique et de l’enseignement, d’appauvrissement de la population et d’enrichissement des oligarques – que les Occidentaux désignent comme « les acquis démocratiques des années 1990 » –, l’appétit de la finance américaine est aiguisé par la bienveillance à son égard de Boris Eltsine, premier président de la fédération de Russie. La déclassification d’archives américaines des années 1990 nous apprend que le 19 novembre 1999 à Istanbul, prenant conscience qu’en 1997 à Helsinki il avait accepté l’impensable en entérinant l’extension de l’OTAN aux pays qui autrefois constituaient le pacte de Varsovie, Boris Eltsine met en avant l’humiliation qu’allait subir la Russie pour supplier Bill Clinton de revenir sur les négociations qui l’avaient contraint à accepter l’extension de l’alliance Atlantique en échange d’une place au G7. Ce marché de dupes ouvrait la voie à l’encerclement militaire la Russie. Après la fin de l’ère Eltsine – marquée par le déclin du pays au profit d’oligarques sans scrupule et la corruption –, la volonté de Poutine de redonner à la Russie sa puissance, et de ne pas laisser son pays sous la dépendance économique de États-Unis fait naître les tensions avec la Russie post-communiste. La guerre économique à laquelle se livrent aujourd’hui les États-Unis, la Chine et la Russie pour le contrôle des marchés de l’énergie (gaz, pétrole et nucléaire) se fait sur le dos d’une Europe vassalisée par l’Amérique. Le camouflet infligé par Biden à Macron – donc à la France – dans l’affaire du contrat des sous-marins vendus à l’Australie pour un montant de 34 milliards d’euros ; l’achat massif d’armes aux États-Unis, dont les 35 avions de combat F-35 par l’Allemagne pour assurer la mission nucléaire de l'OTAN ; le doublement de l’exportation du gaz de schiste américain vers l’Europe (un impact carbone 2,5 fois plus important que le gaz russe) au profit des producteurs outre-Atlantique, grands gagnants de la crise gazière ; l’offensive commerciale américaine en Europe dans le nucléaire civil, avec une entente entre Washington et Séoul pour affaiblir EDF et fournir des réacteurs à la Pologne ; la vente de la branche Énergie d’Alstom au géant américain General Electric, signée par Macron lorsqu’il était à Bercy ; la présence sur le sol européen de plus de 100 000 soldats US (20 000 de plus en quelques semaines) ; autant d’exemples qui révèlent l’image cachée de cette Europe vassalisée.
Dans cette guerre russo-américaine en Ukraine, l’Europe a perdu son âme, et la France – puissance nucléaire membre du Conseil de sécurité de l’ONU –, sa capacité à peser sur la scène internationale. Au lendemain de la présentation par Bruxelles d’un plan visant à diminuer de 15 % la demande européenne de gaz pour surmonter la chute des livraisons russes, le chef de la diplomatie hongroise Peter Szijjarto en visite à Moscou, annonce l’achat de 700 millions de mètres cubes de gaz supplémentaires à la Russie (Libération, 21 juillet 2022). La Chine et l’Inde achètent davantage de charbon, de gaz et de pétrole à Moscou. La guerre économique que livre l’Occident à la Russie se retourne contre l’Europe, et redessine la géopolitique avec de nouveaux rapports de force militaro-économiques dangereux pour la paix dans le monde. Les Ukrainiens sont les sacrifiés de cette aventure guerrière dans laquelle nous entraînent les puissances de l’argent et les marchands de canons. Le choix des Américains et des Russes de s’équiper en armes nucléaires tactiques pouvant être utilisées sur le champ de bataille augmente le risque d’une escalade aux conséquences imprévisibles, dont l’Europe est déjà en première ligne.