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Billet de blog 26 novembre 2018

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Les raisons de la colère

« Qui sème la misère, récolte la colère. » Cette phrase, affichée le 17 novembre lors des premières manifestations des « gilets jaunes », résume à elle seule l’origine de cette mobilisation populaire.

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Huit jours après le début du mouvement, les « gilets jaunes » expriment la colère de tout un peuple à Paris. Comment ne pas mettre en parallèle les raisons de cette colère, avec cet autre évènement de la semaine écoulée, qui est l’arrestation au Japon du patron de Renault-Nissan pour fraude fiscale.

Tout d’abord, il convient de constater le mépris affiché par le pouvoir, qui répond par la propagande aux revendications de ce mouvement citoyen. Propagande largement relayée par les médias, en particulier dans les commentaires faits sur les violences survenues aux Champs-Élysées au cours de la manifestation du 24 novembre, par des journalistes et commentateurs, porte-voix du pouvoir. Depuis une semaine, la presse évènementielle se livre à relayer le ministère de l’Intérieur pour diffuser des chiffres de participation aux manifestations et aux barrages, exclusivement donnés par la police. Dans cette guerre des images, cette presse se fait l’outil de propagande privilégié du pouvoir. Pour preuve, ces chaînes de télévision, en particulier BFM, ont diffusé en direct et en continu les violences sur les Champs-Elysées, et peu d’images de la province, et pas d’images d’une manifestation à l’Opéra contre la violence faites aux femmes, qui a rassemblé 12 000 personnes selon le ministre de l’Intérieur, et 30 000 selon les organisateurs. Ainsi, cette presse participe aux manœuvres du gouvernement pour diaboliser et discréditer ce mouvement citoyen. À se demander si le pouvoir n’a pas favorisé ces violences causées par quelques centaines d’individus ; car à qui profite le crime ?

Il a fallu regarder l’émission « SEPT À HUIT » de TF1, le lendemain de cette manifestation, pour avoir une information objective de ce qui s’est passé sur les Champs-Élysées. D’abord cette foule bon enfant de quelques milliers de manifestants pacifiques, où hommes, femmes, enfants, personnes âgées, scandent des slogans anti-macron. Puis, les premières charges de police, avec utilisation de gaz lacrymogène, alors que les groupes violents ne sont pas encore passés à l’action. Séquence aussi, de ces manifestants pacifiques fuyant les charges policières, et un enfant à terre victime du gaz. Images d’hommes qui n’ont rien de casseurs, matraqués, et un vieil homme jeté à terre par deux CRS. Il ne s’agit pas, bien entendu, de mettre en cause les forces de police, qui ne font qu’obéir aux ordres. Mais ces images sont bien différentes de celles diffusées à profusion, du matin au soir, par BFM notamment, où les porteurs de micro, cantonnés derrière les forces de police jouent aux reporters de guerre. Comment ne pas souligner le vrai travail journalistique effectué dans ce reportage de TF1, par opposition aux images à sensation servant de support aux discours du pouvoir, assénés par ces chaînes évènementielles.

Si les forces de police ont dû affronter la violence de quelques centaines de casseurs, la responsabilité incombe au pouvoir politique, qui n’a pu, ou pas voulu, les neutraliser avant qu’ils n’occupent les Champs-Élysées. Le refus des « gilets jaunes » de se laisser parquer au Champs de Mars, n’étonne que les politiciens macronistes qui n’ont rien compris, ou qu’ils ne veulent pas entendre la colère qui déferle dans le pays. Ce refus de se laisser dicter le lieu où ils doivent manifester, exprime l’essence même de ce mouvement né en dehors des syndicats et des partis politiques. Mouvement inédit qui libère une profonde colère, retenue depuis le début de l’année, à la suite des mesures sociales scandaleusement injustes prises par Macron. Or, qu’a retenu le président de la République au soir de cette journée d’actions : « Merci à nos forces de l'ordre pour leur courage et leur professionnalisme. Honte à ceux qui les ont agressées. Honte à ceux qui ont violenté d'autres citoyens et des journalistes. Honte à ceux qui ont tenté d'intimider des élus. Pas de place pour ces violences dans la République ». « Honte à Macron ! » pourraient lui répondre ces milliers de manifestants, retraités, agriculteurs, ouvriers, employés, cadres, indépendants, qui dans tout le pays lui crient : « démission ! ».

            Cette propagande ne doit pas cacher l’origine de cette profonde colère, qui est l’immense injustice fiscale créée par la Macronie. Offrir 5 milliards d’euros aux plus riches par la suppression de l’ISF, et taxer les retraités par la CSG, la réduction des prestations, comme celle des APL, l’augmentation de la taxe sur les carburants, le gel des pensions de retraite et des salaires des fonctionnaires. Aussi, cet autre évènement de la semaine, l’arrestation de Carlos Ghosn au Japon, illustre bien les conséquences de cette mondialisation où les richesses s’accumulent entre les mains d’une minorité de privilégiés, alors que ceux qui créent ces richesses par leur travail s’appauvrissent. Image éloquente de cette mondialisation, que ce patron de Renault-Nissan, accusé par la justice japonaise d’avoir dissimulé ses revenus à hauteur de 62,3 millions d’euros, et de 31,2 millions d’euros de bénéfice sur la vente de ses stock-options.

    Si la hausse de la taxe du carburant (de 3 centimes pour le prix du litre de l’essence, et de 6,5 centimes pour celui du diesel au 1er janvier 2019), a été le détonateur de cette immense colère qui court des campagnes jusqu’aux villes, les causes de ce mécontentement grandissant sont profondes. Aussi, ce soulèvement spontané émergé en dehors des structures syndicales et politiques, s’inscrit néanmoins dans la continuité des mouvements sociaux qui ont ébranlé le quinquennat Hollande, et l’an I du macronisme. Ce qui est inédit dans cette vague protestataire, au-delà de sa spontanéité et de son expression sur les réseaux sociaux, c’est qu’elle a émergé des territoires et des classes moyennes. Elle est l’alliée qui manquait aux luttes ouvrières d’avant l’été, pour infléchir la politique antisociale d’un pouvoir qui ne cesse de favoriser les riches, et de prélever taxes et impôts sur les classes populaires et les classes moyennes. Le slogan « Macron démission » crié sur les barrages par les manifestants, donne aux revendications des « gilets jaunes » une dimension hautement politique que n’exprimaient pas les mouvements sociaux d’avant l’été. Aussi se pose, non pas la question de la structuration de ce mouvement, qui découvre et invente de nouvelles formes d’organisation et d’action démocratiques, mais de comment fédérer ces colères avec celles des retraités, des ouvriers, des personnels hospitaliers, des enseignants, des cheminots, pour que face au mépris affiché par ce pouvoir, elles puissent converger et donner naissance à un puissant mouvement social, susceptible de mettre en échec l’application des mesures antisociale d’un pouvoir sourd à la détresse de millions de Français.

Le président Macron et son gouvernement persistent à faire valoir la transition écologique pour poursuivre l’augmentation des taxes sur le carburant, alors qu’ils épargnent de ces taxes les gros pollueurs que sont les transports aériens et maritimes. Ils tentent de calmer la grogne par la menace, la répression, et des manœuvres dilatoires, dont une série de propositions démagogiques chiffrées à 500 millions d’euros, financées par la suppression de 800 millions d’euros de crédit d’impôt énergétique pour l’isolation des portes et fenêtres. Où manœuvres de diversion pour noyer le poisson, par des propositions de rencontres étalées sur trois mois pour inventorier les besoins des Français. Comme si ceux-ci ne les criaient pas assez fort depuis deux semaines. Cette politique hypocrite de la carotte et du bâton, loin d’apaiser la colère des Français contribue à l’amplifier. Le mépris et le cynisme du chef de l’État et de ses godillots sont à l’image de Carlos Ghosn, rémunéré à hauteur de 13 millions d’euros en 2017, symbole de la mondialisation et de la macronie, aujourd’hui arrêté au Japon pour fraude fiscale.

Si cette révolte a émergé de la fracture des territoires, elle a un dénominateur commun avec les luttes sociales qui ont jalonné le premier semestre de l’année 2018 : la politique antisociale menée par Macron depuis son arrivée au pouvoir. Son émergence hors des structures syndicales et politiques traditionnelles, sa nature, son organisation et son mode d’expression, interrogent sur la confiance qu’accorde aujourd’hui une majorité de Français aux syndicats et aux partis politiques. La défiance affichée sur les lieux de blocage envers ces appareils, mérite que l’on tente d’expliquer son origine.

Défiance envers les syndicats dits réformistes qui comme la CFDT, ont cautionné toutes les mesures antisociales prises par Valls et Macron durant la mandature d’Hollande. Défiance envers les syndicats traditionnellement à la pointe des luttes syndicales, incapables de s’unir pour s’opposer à la casse du Code du travail, au démantèlement des services publics, à la baisse du pouvoir d’achat.

Défiance envers les partis politiques, qui comme le Parti socialiste, ont trahi leurs engagements électoraux et voté à Bruxelles, tous les textes exigeant de la France la réforme du Code du travail, la privatisation des aéroports, le démantèlement des services publics, les politiques d’austérité pratiquées par Sarkozy, Hollande et Macron. D’où est issue la majorité des ministres macronistes, si non du Parti socialiste et de la droite libérale ? Une droite aujourd’hui déchirée, mais qui au cours de la campagne électorale de 2017, disputait à la REM les mesures antisociales proposées dans son programme. Quant à la France insoumise, principal parti d’opposition à la macronie, le manque de discernement de Jean-Luc Mélenchon, tombé dans le piège tendu par le pouvoir lors des perquisitions, hors norme, effectuées dans le cadre d’une simple procédure judiciaire, crée un profond malaise et des doutes chez un grand nombre d’électeurs de gauche. Reste le Rassemblement national, ex-FN, dont les perspectives d’une France xénophobe, repliée sur elle-même, rebutent la grande majorité des Français.

Ce constat fait, demeure cette réalité où aujourd’hui une caste de privilégiés, président et ministres millionnaires, ou commis zélés du patronat et de la finance, gouvernent la France en servant sans scrupule les intérêts des riches (12 ministres millionnaires en 2017, dont la secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie, Delphine Gény-Stephann, possédant un patrimoine de plus de 16 millions d'euros, ou la ministre du travail, Muriel Pénicaud avec 7,5 millions d'euros). Alors que grandit la misère des plus démunis, que les classes moyennes s’appauvrissent, que la grande majorité de la population se paupérise, les revenus des grands patrons de l’industrie et de la finance progressent d’année en année. En 2017, les patrons du CAC 40 ont gagné en moyenne 5,07 millions de d’euros, soit 70 fois plus que le revenu moyen des Français. Cet enrichissement sans vergogne d’une haute bourgeoisie est gratifié par de somptueux cadeaux fiscaux, accordés par un président déconnecté des difficultés et des attentes des Français. Cadeaux aux riches financés par l’augmentation de la CSG, des taxes sur les carburants, le gel des pensions des retraités et des salaires des fonctionnaires. C’est cette réalité qui est à l’origine de ces colères.

Si la fédération FO des transports appelle à rejoindre l’action des « gilets jaunes », l’attitude hypocrite de la confédération, prétextant du slogan politique « Macron démission » entendu sur les barrages, pour ne pas se solidariser ; ou celle de la CGT arguant de comportements racistes isolés, témoigne de la méfiance des appareils à l’égard de ce mouvement. Quant à l’attitude de la CFDT, soucieuse de louvoyer avec le pouvoir pour tenter de désamorcer ce mécontentement populaire grandissant, en proposant « un pacte de la conversion écologique », ne trompe personne. Ce n’est qu’une diversion pour venir au secours du pouvoir. L’écologie n’a nul besoin d’un pacte de conversion, mais d’une réelle volonté politique de nos gouvernant à vouloir financer la transition écologique, que les « gilets jaunes » aussi souhaitent, autrement qu’en taxant les classes populaires et les classes moyennes, bien moins pollueuses que les 10% des plus riches que l’on gratifie par des cadeaux fiscaux, et qui à eux seuls produisent 50% de la pollution mondiale.

La méfiance du pouvoir à l’égard de ce mouvement, l’amène à vouloir le discréditer, d’abord en traitant les manifestants d’anarchistes, puis en agitant l’épouvantail de la radicalisation. Aussi, il est urgent que les syndicats non réformistes prennent la mesure de cette colère d’une grande majorité de Français, exprimée par ce mouvement citoyen, et qu’ils appréhendent et admettent sa spécificité. Il est urgent qu’ils contribuent, en dehors de toute tentative de récupération, à fédérer toutes ces colères pour répondre à l’appel du peuple. De leur capacité à surmonter les intérêts d’appareil et leur différences idéologiques, dépend l’issue de cette révolte, mais aussi leur crédibilité dans les actions futures qu’ouvriers et employés devront mener face à ce pouvoir. Ils sont condamnés, soit à accompagner ce mouvement protestataire citoyen, soit à être, par leur inaction, complices de ce gouvernement macroniste. Quant aux partis politiques, nul doute qu’ils ne pourront en aucun cas récupérer un mécontentement, dont certains d’entre eux sont à l’origine du mal profond qui frappe notre société.

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