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Billet de blog 30 juillet 2023

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LE « COUP D’ÉTAT ILLÉGITIME »

Après avoir banalisé les mutineries policières, Macron invente le concept de « coup d’État illégitime ».

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Au Niger où la France a dû se replier avec 1 500 soldats après son éviction du Mali en août 2022, et du Burkina Faso en janvier 2023, la mise à l’écart le 26 juillet 2023 du président Mohamed Bazoum par le général Abdourahamane Tchiani, commandant la garde présidentielle depuis douze ans, amène le président Macron à déclarer : « Le coup d'État militaire contre le président du Niger, Mohamed Barzoum est parfaitement illégitime ». Ainsi, pour le palais de l’Élysée, il y a des coups d’État illégitimes dès lors qu’ils menacent les intérêts mercantiles de l’Occident, et des coups d’État légitimes, comme celui de Mahamat Idriss Déby au Tchad, qu’il a cautionné en avril 2021.

L’assassinat du président Idriss Déby Itno au Tchad le 19 avril 2021, dénoncé par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, interroge sur le rôle joué par la France. La présence du président Macron le 23 avril aux obsèques du maréchal président défunt, aux côtés du fils adoptif Mahamat Idriss Déby, auteur dès le lendemain de la mort de son père d’un coup d’État le portant au pouvoir pour dix-huit mois, acte un soutien de fait de la France à cette prise illégitime du pouvoir. Or, la constitution tchadienne prévoit que c’est le président de l’Assemblée nationale qui doit assurer la transition jusqu’à l’organisation de nouvelles élections. L’assassinat de ce président en exercice au lendemain de sa réélection est hâtivement attribué aux rebelles du FACT, un groupe d’opposants dirigé par Mahamat Mahdi Ali, réfugié politique en France pendant plus de vingt ans et ancien militant du Parti socialiste français. En déclarant lors de la cérémonie funèbre : « La France ne laissera jamais personne remettre en cause, ne laissera jamais personne menacer, ni aujourd’hui ni demain, la stabilité et l’intégralité du Tchad », le président français donne raison aux opposants tchadiens qui l’accusent de cautionner le coup d’État, et de vouloir pérenniser, au nom des intérêts de la France, le système légué par le dictateur tchadien.

En Afrique, la présence armée de la France est discutable. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, cette présence militaire répond essentiellement aux attentes des entreprises françaises présentes sur ce continent : Total, Orano (ex Areva), Bolloré, Vivendi, Orange, Bel, etc. Une présence militaire au service de groupes financiers et de multinationales qui engendrent d’énormes profits par l’exploitation des terres, du pétrole et des mines d’uranium. Bolloré possède en Afrique 42 ports et 17 concessions de terminaux-conteneurs, et 2 700 kilomètres de voies ferrées. Principal actionnaire du groupe Socfin, il possède 2 000 km2 de terres affectées à la culture de l’hévéa et du palmier à huile. Total détient 25% de sa production de pétrole et 18% de ses réserves. Orano exploite les mines d’uranium au Niger où 140 000 tonnes ont été extraites en un demi-siècle.

Pour les populations africaines, cette présence militaire française est considérée comme une force d’occupation, garante des intérêts français et européens, mais aussi protégeant des pouvoirs africains corrompus. Le 3 janvier 2021, ce rôle de gendarme en Afrique conduit la France à procéder – avec la complicité des États-Unis – à une frappe aérienne sur le village de Bounti au centre du Mali par deux Mirage 2000 D. Selon des habitants, des organisations de défense des droits de l’Homme et la Minusma (la mission de l’ONU au Mali), les militaires français ont bombardé un mariage tuant 9 civils, la plupart des victimes étant des hommes âgés de plus de 40 ans. Une bavure qui amène la ministre des Armées et le ministre des Affaires étrangères à mentir. Rendu public le 30 mars 2021, un rapport de l’ONU confirme l’accusation portée contre la France d’avoir tué vingt-deux personnes (dix-neuf morts sur le coup et trois durant leur évacuation) au cours de l’attaque aérienne sur le village où se tenait une cérémonie de mariage rassemblant une centaine de personnes. Révélés par plusieurs médias français, Florence Parly ministre des Armées, et Jean-Yves Le Drian ministre des Affaires étrangères s’obstinent à nier les faits en déclarant : « qu’il n’y avait pas de mariage ce jour-là. Que tous les hommes tués lors de cette frappe étaient des combattants appartenant à un groupe djihadiste. Que toutes les précautions d’usage avaient été prises afin de s’assurer qu’il n’y avait pas de civils dans le lot» Or, le rapport de l’ONU dit : « Au moins 22 personnes, dont trois des membres présumés de la Katiba Serma présents sur le lieu du rassemblement, ont été tuées par la frappe de la Force Barkhane survenue le 3 janvier 2021 à Bounty. Sur les 22 personnes tuées, 19 l’ont été directement par la frappe dont 16 civils tandis que les trois autres civils ont succombé des suites de leurs blessures au cours de leur transfèrement pour des soins d’urgence. Au moins huit autres civils ont été blessés lors de la frappe. Les victimes sont tous des hommes âgés de 23 à 71 ans dont la majorité habitait le village de Bounty. L’équipe n’a constaté sur le lieu de l’incident aucun élément matériel qui aurait pu attester la présence d’armes ou de motos tel qu’établi par le rapport des experts de la police scientifique des Nations unies. Le groupe touché par la frappe était très majoritairement composé de civils qui sont des personnes protégées contre les attaques au regard du droit international humanitaire. Cette frappe soulève des préoccupations importantes quant au respect des principes de la conduite des hostilités, notamment le principe de précaution dont l’obligation de faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les cibles sont bien des objectifs militaires»

Que le président Macron, défenseur des intérêts d’un néo-colonialisme européen en Afrique, s’émeuve de la perte d’influence de la France sur ce continent est légitime. De même qu’il serait légitime que le président de la République française, s’émeuve des mutineries policières illégitimes contre la justice, et condamne ces atteintes à l’ordre républicain. Et de s’interroger, pourquoi les populations africaines expriment autant de rancœur à l’égard de la France ?

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