Léo Mira (avatar)

Léo Mira

Abonné·e de Mediapart

272 Billets

0 Édition

Billet de blog 31 octobre 2022

Léo Mira (avatar)

Léo Mira

Abonné·e de Mediapart

MULTINATIONALES : le beurre et l’argent du beurre

Quand le pouvoir politique se met au service des intérêts privés des groupes industriels et financiers.

Léo Mira (avatar)

Léo Mira

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

MULTINATIONALES : le beurre et l’argent du beurre

Quand le pouvoir politique se met au service des intérêts privés des groupes industriels et financiers.

Grace à la flambée des prix, les multinationales augmentent considérablement leurs profits. Dans l’industrie pétrolière, l’américaine ExxonMobil (une des principales multinationales émettrices de gaz à effet de serre dans le secteur des hydrocarbures) réalise 23 milliards de dollars de bénéfice net en 2021 (+57 % en un an), la française TotalEnergies dégage un bénéfice de 16 milliards de dollars en 2021. Pour les six premiers mois de l’année 2022, celle-ci enregistre un bénéfice net de 10,6 milliards de dollars. Fidèle à sa mission de président des riches, dans le conflit qui oppose les travailleurs des raffineries aux directions de TotalEnergies et de Esso ExxonMobil, il prend le parti des multinationales qui grace à la guerre en Ukraine réalisent des profits inédits, et décrète la réquisition des salariés. Le 12 octobre 2022, avec la complicité de la chaîne publique France 2, alors que la grève dans les raffineries s’étend et que d’autres grèves se déclarent dans les centrales nucléaires, le président de la République peu soucieux des difficultés auxquelles sont confrontés les Français se livre à une diversion en participant à une longue interview sur la guerre en Ukraine. Or, jamais les entreprises en France n’avaient bénéficié de tant de cadeaux de la part de l’État que depuis l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République.

Dans cette course effrénée au profit pratiquée par les multinationales – dont les compagnies gazières et pétrolières accumulent aujourd’hui outrancièrement des bénéfices colossaux grace à une guerre entretenue pour qu’elle perdure –, d’autres multinationales ne cessent d’accroître leur enrichissement en surexploitant leurs personnels et les petits producteurs de matière première, et pour certaines en réduisant les coûts de production sur le dos de la santé des consommateurs. Ces pratiques lucratives pour les capitaux se vérifient en particulier dans l’industrie agroalimentaire, dont les groupes Lactalis et Nestlé en sont un exemple cynique et immoral. Lactalis, avec à sa tête un patron de combat, sévit depuis une décennie auprès des producteurs laitiers en les sous-rémunérant et en rompant arbitrairement leur contractualisation. En 1973 Emmanuel Besnier, PDG du numéro un mondial des produits laitiers rompt le contrat avec des producteurs ayant témoigné leur mécontentement lors d’un reportage d’Envoyé spécial intitulé « Lactalis : le beurre et l’argent du beurre ? » diffusé par France 2. Dans un courrier envoyé à ces éleveurs, le PDG de Lactalis écrit : « S’il vous appartient d’être en désaccord avec notre politique d’approvisionnement lait, celle-ci reste cependant de notre ressort et ne peut en toute hypothèse faire l’objet d’un tel dénigrement. Au regard du contexte général ayant entouré vos déclarations, nous avons pris la décision de mettre un terme à nos relations. »

En 2017, le numéro un mondial des produits laitiers est touché par un scandale sanitaire sans précédent dans l’industrie agroalimentaire, en fabriquant du lait en poudre pour bébé contaminé à la salmonelle. Trente-huit bébés sont déclarés malades après avoir consommé des produits fabriqués par Lactalis. Le 3 janvier 2018, le Canard Enchaîné dénonce « le contrôle de routine » effectué par l’inspection sanitaire du ministère de l’Agriculture en septembre, avant que l’affaire des laits infantiles contaminés à la salmonelle n’éclate. Le Canard Enchaîné révèle que Lactalis avait fait l’objet d’un contrôle de routine en septembre, au cours duquel « aucune contamination n’avait été décelée ». L’enquête du Canard Enchaîné affirme également que le géant du lait avait connaissance depuis le mois d’août de la présence de salmonelles dans son usine de Craon. Dans un communiqué de presse, Lactalis affirme que « les deux seules analyses positives, l’une en août et l’autre en novembre, de traces de salmonelle ont été révélées uniquement dans l’environnement et non dans les produits. Cela a donné lieu comme il se doit à l’application d’un programme de nettoyage adapté et à des contrôles renforcés sur les lots fabriqués à ces dates, contrôles qui se sont tous révélés négatifs. Toutes ces analyses ont été transmises aux autorités compétentes dès le début. »

Plus de quatre ans après le scandale du lait pour bébés contaminé à la salmonelle, Disclose (ONG et média indépendant d'investigation) épingle plusieurs usines du géant Lactalis pour Hygiène déplorable, recyclage du lait, pratiques commerciales trompeuses. Disclose obtient des documents de contrôles officiels attestant de nombreuses non-conformités. Disclose révèle que diverses usines du groupe Lactalis où sont fabriqués le lait pour bébés « Celia » ou « Picot », l’emmental « Président », le « Saint-Marcellin » et le « Saint-Félicien » de marque « Étoile du Vercors » ont fait l’objet de « remontrances » ces dernières années. D’après les documents que Disclose s’est procurés, des bûches de chèvre « Président » ont dû être rappelées pour risque de présence de morceaux métalliques dans les fromages produits dans l’usine de Riblaire dans les Deux-Sèvres. Disclose indique aussi, qu’un rapport d’inspection de la répression des fraudes (DGCCRF) sur l’usine de Craon daté d’octobre 2018 – soit un mois après l’autorisation de réouverture précipitée de l’usine à la suite du scandale du lait infantile contaminé à la salmonelle –, « a relevé des non-conformités sur des boîtes de lait pour bébé de la marque Celia », et la présence d’additifs alimentaires dans la poudre sans « aucune justification, ni garantie que les limites autorisées aient été respectées, ainsi que des teneurs en vitamines B12 et D supérieures à la valeur réglementaire ». La passivité des pouvoirs publics (la DGCCRF relève du ministère de l’Économie) interroge sur la volonté politique des gouvernements successifs, à intervenir auprès de cette puissante multinationale pour protéger la santé des Français. Geoffrey Livolsi, rédacteur en chef de Disclose explique : « Alors que plusieurs scandales sanitaires ont éclaboussé des entreprises de l’agroalimentaire en 2022, la volonté d’entraver le droit à l’information du public sur les pratiques de Lactalis sème le doute sur la volonté de l’État de renforcer le contrôle sur les industriels. Sans la transmission par une source anonyme de dizaines de rapports d’inspection, notre enquête dévoilant les nombreux manquements à la réglementation du géant laitier n’aurait pas pu exister ». L’ONG Foodwatch, dont l'objectif est de mettre à disposition de tous une alimentation saine et abordable, aux côtés des parents d’enfants victimes a porté plainte dans le scandale du lait infantile contaminé à la salmonelle en décembre 2017.

Le scandale des pizzas Buitoni contaminées par la bactérie Escherichia coli en mars 2022, met à nouveau en lumière l’opacité qui entoure l’activité de ces puissantes multinationales, et de l’impunité dont elles bénéficient pour la mise en danger de la vie des consommateurs. C’est Nestlé, associé depuis 2006 à Lactalis au sein d’une filiale commune « Lactalis-Nestlé Produits frais », qui est cette fois sur la sellette dans cette contamination responsable du décès de 2 enfants et de la maladie de 55 autres. Le 31 mars, RMC dévoile des images montrant des conditions d'hygiène déplorables à l'usine Buitoni de Caudry, envoyées par un ancien salarié de l'usine qui raconte : « Quand on voit des champignons au mur, on sait que ça ne va pas. La peinture des barres en métal s'écaillait. Il y avait des bouts de nourriture qui restaient à certains endroits pendant plusieurs jours, plusieurs semaines. Dans des bacs de rattrapage de sauce, on pouvait retrouver des mégots de cigarettes. Là où la farine est envoyée sur les tapis, pour que la pâte ne colle pas, il y avait des vers de farine. » Le groupe Nestlé reconnaît que ces photos ont bien été prises dans l'usine Buitoni de Caudry, mais que ce n'est « jamais aussi sale habituellement. » Pourtant, selon les documents dont Disclose annonce avoir en sa possession, l’usine de Caudry – contrairement à ce que prétend Buitoni –, a été épinglée par les services de l’État pour de nombreux manquements aux règles d’hygiène dès septembre 2020. Le 27 octobre 2022, un reportage d’Envoyé spécial diffusé sur France 2 confirme les dires de cet ancien ouvrier de l’usine Buitoni. Les témoignages et les images sont accablants. Quand ces scandales sanitaires vont-ils amener le pouvoir politique à faire passer la santé et la vie des Français avant les intérêts financiers des multinationales ?

Dans ces affaires de scandale sanitaire – comme durant la crise du Covid, et aujourd’hui la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine –, le président Macron sert les intérêts des oligarchies financières et industrielles. De même qu’il sacrifie les intérêts collectifs dans les territoires au profit de minorités économiques, comme dans les Deux-Sèvres où l’État finance le chantier d'une nouvelle réserve d'eau destinée à l'irrigation agricole. Ces « bassines » – cratères à ciel ouvert recouverts d'une bâche en plastique pouvant contenir 650 000 m3 d’eau, soit 260 piscines olympiques, – sont remplies par pompage de l'eau des nappes phréatiques superficielles l'hiver, et stockée pour irriguer l'été. La signature du projet, conditionné par des changements de pratiques de la part des cultivateurs de maïs, implique la réduction des pesticides, la plantation de haies, la conversion à l'agroécologie. Or, aucun des dix agriculteurs utilisant la première retenue « n'a souscrit de réduction de pesticides » selon Vincent Bretagnolle, membre du comité scientifique et technique de suivi du projet (CST). Depuis la signature du projet il y a quatre ans, plusieurs associations se sont retirées du protocole. Dans ce projet destiné à détourner un bien commun – l’eau – pour le privatiser au profit d’une poignée de gros agriculteurs, le gouvernement et le syndicat agricole FNSEA – qui pilote le ministère de l’Agriculture, comme la Fédération Nationale des Chasseurs a piloté l’Élysée lors de la démission de Nicolas Hulot – s’accordent pour défendre un modèle agricole productiviste contesté par des chercheurs. Dans ce projet destiné à détourner un bien commun – l’eau – pour le privatiser au profit d’une poignée de gros agriculteurs, le gouvernement et le syndicat agricole FNSEA – qui pilote le ministère de l’Agriculture, comme la Fédération Nationale des Chasseurs a piloté l’Élysée lors de la démission de Nicolas Hulot – s’accordent pour défendre un modèle agricole productiviste contesté par des chercheurs cités par la Confédération paysanne.

  • Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS, spécialiste de l'eau et des systèmes hydro biologiques : « Cette idée des retenues d'eau est un non-sens ». (…) « pour avoir une bonne gestion de la ressource en eau, il faut tout faire pour qu'elle s'infiltre dans le sol »
  • Emma Haziza, docteure de l'Ecole des Mines de Paris (1) : « Le premier utilisateur de l'eau reste le milieu naturel. Les zones humides comme le Marais poitevin sont nécessaires, elles génèrent à leur tour de nouvelles pluies, de nouvelles boucles du cycle de l'eau. »L'hydrologue se dit « favorable aux petites retenues collinaires qui récupèrent les eaux de pluie par ruissellement, mais opposée au captage dans les nappes, un modèle californien de la gestion de l'eau qui ne profite qu'à quelques-uns. » Et de compléter : « À force de pomper dans les nappes, celles-ci se fragilisent, leur niveau d'équilibre baisse jusqu'à leur tarissement » quand « il faut compter près de 10 ans pour qu'une nappe se reconstitue, à condition de lui en laisser l'occasion… »
  • Face à la cupidité d’une minorité d'agriculteurs dans sa volonté de construire des méga-bassines, Magali Reghezza, géographe, membre du Haut Conseil pour le climat, et Florence Habets, hydrométéorologue, directrice de recherche au CNRS, expliquent :«  Pour désigner le recours systématique à des ajustements techniques, dont le but n'est pas d'adapter le système à la disponibilité de la ressource de plus en plus variable, voire, dans certains cas, de plus en plus réduite, mais de maintenir une trajectoire de développement fondée sur l'augmentation de la disponibilité de la ressource en eau, les  chercheurs utilisent la notion de « fix hydrosocial », en référence aux drogues. La tendance à investir dans de nouvelles constructions consiste en effet à fixer (réparer) un dysfonctionnement (ici le manque d'eau), en immobilisant du capital dans une infrastructure, au lieu d'investir pour soutenir la transition vers des pratiques moins gourmandes en eau. »

  Alors qu’une sécheresse historique sévit dans le pays, l’État persiste à défendre l’intérêt privé d’un groupe d’agriculteurs, et envoie 1 500 gendarmes le samedi 29 octobre 2022 à Sainte-Soline – où se déroule une manifestation (interdite par la préfecture) pour protester contre ce projet. Au cours de cette journée de manifestation, une soixantaine de gendarmes et une trentaine de manifestants ont été blessés. Durant le conflit social des Gilets jaunes, le pouvoir macroniste a élaboré une méthode de dialogue pratiqué avec ceux qui s’opposent aux décisions du Palais de l’Élysée : interdiction, matraque, gaz lacrymogène ! 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.