En décembre 2021, le Tribunal administratif de Toulouse enjoignait au CHU de la même ville d’effacer une fresque à caractère pornographique présente dans la salle où se restaurent les internes de médecine. Saisi initialement par une plainte évoquant l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre le harcèlement, c’est sur le principe d’atteinte à la dignité humaine que le tribunal a statué. Dignité des personnes représentées, qui même si elles ont consenti à être ainsi peintes dans des positions et situations pornographiques n’ont pas un droit inaliénable à se départir de leur dignité, mais également des personnes ainsi exposées sur leur lieu de travail à des images qu’elles sont en droit de juger offensantes.
Malgré cette décision non contestée par le CHU de Toulouse qui a fait retirer la fresque incriminée, il a fallu attendre janvier 2023 pour qu’une instruction ministérielle enjoigne tous les établissements publics abritant des fresques pornographiques à les supprimer.
Plus d’un an plus tard, la presse nous apprend que non seulement ce travail est loin d’être abouti mais qu’il existe encore dans la communauté médicale des « résistances » à ce qui est vécu comme une « atteinte à la culture carabine ».
En tant que médecin, interne de médecine et ancien représentant syndical, je suis profondément atterré par cette réaction puérile qui consiste à voir dans le droit de peindre des pénis sur des murs un marqueur d’une soi-disant culture carabine. Si celle-ci est suffisamment fragile pour ne pas résister à ce qu’on enlève des murs de nos salles de restauration des scènes pornographiques, alors à quoi bon la faire perdurer ?
La culture carabine justifie de nous exposer à ce type de représentation de la sexualité, se référant majoritairement à l’avilissement des femmes, par le fait que nous, médecins, seraient confronté·e·s très jeunes à des situations éprouvantes émotionnellement (maladie, décès, contraintes organisationnelles liées à la crise perpétuelle que vit l’hôpital public depuis plus d’une décennie). Il s’agirait donc d’exorciser notre mal-être en mettant à nu les corps, en exposant des sexualités violentes et dominatrices.
Si vraiment notre mal-être est suffisamment incurable pour que le « remède » soit d’être exposé·e·s à ce type d’images, ne faudrait-il pas prendre le problème à la racine et lutter contre ce qui nous rend si vulnérables ? Ne faudrait-il pas mis nous préparer à la confrontation à la maladie, à l’annonce de mauvaises nouvelles aux familles ? Ne faudrait-il pas nous mobiliser pour que nos conditions de travail arrêtent de se dégrader continuellement devant l’impressionnante détermination des gouvernements successifs à supprimer des moyens à l’hôpital public coûte que coûte ?
Dès mars 2022, le syndicat dont j’avais l’honneur d’être le président a sollicité l’AP-HP pour que soit initié un travail visant à remplacer les fresques pornographiques par d’autres projets artistiques plus en phase avec nos valeurs. Malheureusement ce travail est loin d’avoir abouti. D’autant que la solution de l’hôpital Beaujon, que nous apprend l’article de Mediapart suscité, de recouvrir en parti les fresques avec des stickers pour en atténuer la nudité est proprement navrante…
A titre personnel, j’ai passé tout mon stage d’été 2023 en service d’anesthésie pédiatrique dans un grand CHU parisien confronté quotidiennement en salle de garde à des scènes pornographiques écœurantes. Après m’être occupé de tous petits bébés gravement malades, après avoir accompagné des familles qui vivaient des épreuves terribles pour leurs enfants, qu’est-ce que la culture carabine me proposait pour me détendre, « décompresser » comme on aime à le dire en médecine ? Des scènes sexuelles laides, violentes où les femmes étaient systématiquement en position d’infériorité et où les personnes racisées étaient représentées avec des têtes de singe…
Alors, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Faut-il considérer qu’en se débarrassant des fresques nous allons tuer la culture carabine ? Deux réponses possibles d’après moi.
Soit la culture carabine ne peut pas se défaire de ces attributs oppressifs et on considère que toute représentation obscène doit forcément passer par l’humiliation des femmes, des homosexuels, des personnes racisées. Dans ce cas, je suis pour que la culture carabine disparaisse et que ceux (et celles) qui la défendent aujourd’hui nous disent clairement qu’ils et elles souhaitent voir perdurer une médecine patriarcale, raciste, homophobe et misogyne.
Autre solution, la culture carabine représente plus que ces mauvaises fresques pornographiques. Elle est une construction sociale élaborée et enrichie par celles et ceux qui la partagent, et dans ces conditions, elle peut évoluer, se saisir des combats d’aujourd’hui, réclamer haut et fort qu’elle est contre, par exemple, le harcèlement sexuel que subissent encore trop de mes collègues malgré une timide libération du carcan qui rend les paroles inaudibles, notamment grâce à de courageuses collègues comme Audrey Bramly.
La culture carabine pourrait enfin sortir de son Moyen âge et revendiquer une autre manière de donner de l’air aux carabins éprouvés par ce qu’ils et elles vivent. Peut-être existe-t-il un obscène qui n’humilie pas ? Peut-être faut-il au contraire que les salles de garde soient couvertes de représentations graphiques positives qui mettent en valeur les métiers hospitaliers – comme cette fresque qu’un collègue avait fait réaliser juste après la première vague du Covid19 dans la salle de garde de l’hôpital de Lariboisière (cf. ci-dessous).

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Quoi qu’il en soit, il est temps de dire stop. Les problèmes de violences morales et sexuelles que les internes vivent sont trop graves pour être parasités par des débats affligeants autour de fresques pornographiques. Laissons-les à la porte du monde de demain, demandons à repeindre nos salles de garde avec de superbes fresques empreintes de positivité et de valorisation de notre rôle indispensable au fonctionnement de l’hôpital public.
Renoncer aux fresques, c’est enfin envoyer un message à toutes les personnes victimes de sexisme, d’homophobie, de racisme : nous, médecins, sommes de votre côté.
Léonard Corti
Docteur junior en Anesthésie-réanimation (AP-HP)
Ancien président du Syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris (SIHP)
Ancien porte-parole de l'Inter-Syndicale Nationale des Internes (ISNI)