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Billet de blog 1 mars 2024

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« The Boys From The County Hell » des Pogues

Pas de 1er mars sans les Pogues. "On the first day of March it was raining" (« Boys from the County Hell », 1984)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Ce 1er mars, il pleuvait. C’est le début de « Boys from the County Hell », une chanson extraite de l’album « Red Roses for Me » (1984), track 5, et qui deviendra même, par la volonté de Stiff records, un 45T. À l’étoffe des Pogues, du stuff for Stiff. En octobre 1984, le deuxième seveninches tiré de leur premier album (après « Dark Streets of London »).

Face A, « Boys From The County Hell », paroles et musique de Shane MacGowan. Parfois l’intitulé de la chanson est sous-titré « Lend me ten pounds and I’ll Buy you a drink ». Une phrase, une formule macgowanesque souvent reprise et même tee-shirtisée, les tout premiers à la gloire du groupe. La face A comporte une mention, l’invitation écrite à acheter l’album : « Now by the album « Red Roses for Me » ». Business, business. En 1984, les Pogues n’en sont qu’à leur premier. Leur carrière ne fait que débuter. « Lend me ten pounds and I’ll Buy you an album ».

Face B, « Repeal of the licensing Law », œuvre de Spider Stacy. Un titre absent de l’album. Un inédit. Légendaire instrumental, si l’on excepte le tout aussi légendaire snarl punk (1mn24), hurlement bestial de circonstance. « Repeal of the licensing Law ». Sorte d’Il est interdit d’interdire. Spider Stacy transfigure ces interdits qui pipeautent une société policée en une tin whistle sans complexe.

Cette même tin whistle qui accompagne, Face A, des textes qui donnent froid aux yeux d’une BBC pudibonde. « I recall that we took care of him one Sunday/We got him out the back and we broke his fucking balls/ And maybe that was dreaming, and maybe that was real/ But all I know is I left the place without a penny or fuck all »
F-word (et B-words, « And he was a miserable bollocks and a bitch’s bastard’s whore »). F-World pour dire la Frilosité d’un Monde engoncé. Assis dans la plus confortable véranda à faire semblant de ne pas voir « the junkies, the drunks, the pimps, the whores ».
Pire, encore plus politique et incorrect, les crimes de guerre rapportent des médailles : « My brother earned his medals at Mai Lei in Vietnam » (à l’origine la formule employée par Shane MacGowan est sans détour et désigne les viols commis par l’armée américaine). Le 45T modère un bout urticant des lyrics. « Repeal of the licensing Law » ! MacGowan, en concert et en provocateur qu’il est, s’en tiendra à sa première version. Mais toutes sortes d’abus et le manque de dents couvriront assez vite les paroles qu’une BBC ne saurait entendre.

Sur la pochette, les Pogues ont mis leurs longs manteaux. Une idée de Spider Stacy. Comme ceux que portaient les personnages du western de Walter Hill, Le Gang des frères James (The Long Riders, 1980). Lui et MacGowan étaient de gros fans du film, prompts à en balancer les bonnes répliques.

Une intro de 14 secondes, le banjo de Jem Finer, digne d’un western spaghetti, genre apprécié par les membres des Pogues jusqu’à en biberonner sur l’écran de télé du bus qui les rassemblait pour partir en tournée. L’esprit de Leone est déjà là. On le retrouvera quelques années plus tard dans un thème morriconnien emprunté le temps d’une autre intro, celle de leur « Fairytale Of New York».

La voix de Shane Macgowan survient au terme de cette dizaine de secondes. Ses lyrics s’appuient sur la tin whistle de Spider Stacy. Le banjo de Jem Finer revient et c’est au tour de l’accordéon de James Fearnley et de la batterie d’Andrew Ranken d’entrer en piste. Sans oublier Cait O’Riordan à la basse.

Ce 1er mars, que dit la météo ? Les Pogues sèment le tempo.
« On the first day of March it was raining
It was raining worse than anything that I have ever seen »
Plus que jamais, pas qu’un peu, pas qu’un Pogues de Crachin.

La chanson parle de Boys. Des ouvriers d’origine irlandaise. À l’instar de Churchill, bientôt iconisé avec son Rum, Sodomy & the Lash, ces gars n’ont à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. Oui, cette pluie qui tombe le 1er mars est un flot de métaphores. De quoi passer pudiquement sur cette ivresse qui fait qu’il y a toujours un dernier verre après le dernier, faut bien s’amuser, profiter de la vie. On pense à leurs collègues ouvriers évoqués sur l’album suivant « RS&L » : « Sally MacLennane » et « Navigator ».

Il se pourrait bien que « March » ne désigne pas que le mois de l’année. Pourquoi pas une marche ? Irish. Pas une marche au sens musical (la chanson n’en est pas une), mais au sens métaphorique, politique. Une démonstration, une manifestation. Du folk entraînant, rassembleur, galvanisant. Comme un air familier rassemblant les membres du groupe, ces gars (and girl) assoiffés, ces petits démons venus punkiser le folk. « we’ve a thirst like a gang of devils/we’re the boys of the county hell ».

Le narrateur MacGowanesque, au terme de ses dix pintes, en disciple de Brendan Behan, un alcoolique avec des problèmes d’écriture, s’en prend à tout le monde et maudit cette pluie qui le rince. Rêvant sans doute de ces flots de whiskey promis par le poète irlandais (cf track 8 du même album, « Streams of Whiskey »).

Le refrain a marqué les esprits. Jusqu’aux tee-shirts des fans des Pogues.
« And lend me ten pounds, I’ll buy you a drink » Sorte de devise de sans-le-sou qui se font payer à boire en échange de leurs prestations folk-punk-rock.


Sláinte Mhaith. Le calendrier des Pogues titube, il est bourré de dates symboliques. De quoi boire jusqu’au bout de la nuit et de la pluie. Le 1er mars, à la santé des « Boys from County Hell » : « It’s raining cats of Kilkenny and dogs of Cuchulain ». Le 17 mars, pour la Saint-Patrick. Et puis le 25 décembre, pour la naissance de Shane MacGowan.
Pour ce qui est de cette chanson, peu importe la date, elle est d’actualité.

En 2020 sort sur les écrans le film Boys From County Hell de Chris Baugh. Il est question d’Irlande, de vampires, sur le ton de la comédie qui fait peur (mais pas trop). Il est présenté au festival de Gérardmer. Lend me ten pounds, I’ll show you the movie.

Pour les amateurs des Pogues, je rappelle ces lectures, productions maison.

https://www.editionsdensite.fr/Discogonie/18/Rum,_Sodomy_&_The_Lash.html

https://leboulon.net/produit/pogues-fairytale/

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