
Une enquête réalisée par Libération auprès de plusieurs centaines d’écrivains posait une question simple :
« Pourquoi écrivez-vous ? »
Transformant le "Pourquoi ?" en un "Jusqu'à quand ?", Marguerite Duras répondit :
« Je crois que ça cessera en 2027.
Fini d’un seul coup, personne n’écrira plus. »
Marguerite, tu nous tues mais tu nous fais du bien.
2027, c'est une promesse de six ans. Six belles années à écrire. Et puis nous n’écrirons plus. Six ans pour se déplumer.
Ce n’est pas une lettre de corbeau, ce n’est pas une lettre de menace anonyme. Il y a un nom. Le tien. Un Non. Le tien.
Oracle. Oblique. Féroce. La Fée rosse.
2027 : Scriptus interruptus (« scriptum interruptum », corrige le prof de latin à la langue bien pendue, qui s’offusque que la grammaire s’abaisse à un jeu de mots).
2027, pourquoi ? Tablait-elle sur l'entrée dans le domaine public des œuvres de Brecht (mort en 1956) et un acte d'écrire supplanté par l'urgence d'une lecture gratuite et universelle ?
Nostra Duras Nostradamuse.
Ce jour-là, répondant à une question essentielle, elle fit un premier blanc dans la littérature à venir. Une formule piquante. Jusqu’en 2027. Et après ?
Était-ce sa façon de dire : « Après moi, le déluge » ?
Drôle de déclaration d’amour à l’écriture. Une ruse faite au roman, façon roulette russe. Voilà la fine fleur de la prose métamorphosée en marguerite de l’écriture.
Vous écrirez…
Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie.
Pas du tout.
Plus du tout.
1985, Galaxie Gutenberg glacée en 2027.
2021. On n'écrit déjà plus. On tape. Un nouvel hominidé apparaît : Homo tapens tapens. Une espèce qui se subdivise en deux sous-espèces : Homo tapens tapens azertyforma et Homo tapens tapens qwertyforma.
On n'écrit plus. On tape. On tape pour se faire entendre. On corrige. On retape. On écrit comme on restaure une maison. Avec ses personnages, ses étages, ses vies de passages. Sa déco. Son paysage. Son goût de fenêtre.
"Un homme, un jour, lira. Et puis tout recommencera."