C’est l’été. Le temps des séries. Cette année, revenons sur un conflit qui a fait des dommages collatéraux et culturels : la guerre du Golfe (1990-1991). À la BBC ou à la radio française, des chansons furent alors privées d’antennes. Une censure qui en disait long. Des chansons interdites pour une raison impérative ou pour deux cent mille raisons confuses. Voici quelques chroniques d’une censure, le long de la guerre du Golfe pas très claire (avec ses reflets d’argent). Pour chanter, pas pour faire la guerre.

#1 : "Quand t’es dans le désert" de Jean-Patrick Capdevielle
La chanson de Jean-Patrick Capdevielle sort en 1979.
C’est un air composé dans les airs. En avion. Quand t’es dans les airs ? Un titre écrit vite, en chemin pour enregistrer un premier album en Angleterre, dans les Cornouailles, « Les Enfants des ténèbres et les Anges de la rue ».
L’auteur ne voulait pas l’enregistrer. Il n’était pas convaincu par son titre qu’il trouvait un peu pitre. Il trouvait son texte trop simpliste. Trop chansonnier, pas assez Dylan. Juste bon à devenir du Blowing in the Wind par le hublot.
Et puis la maison de disques, l’entourage insistent. « Quand t'es dans le désert » finit en Face B de la chanson «Tout Au Bout De La Ville » qui ne fut pas un tube planétaire.
En radio, c'est un véritable succès. « Quand t’es dans le désert », comme le dit Jean-Patrick Capdevielle,« fait de l’ombre sur tout le reste » de l’album. Un genre de soleil noir de la mélancolie pop. La chanson solaire d’un chanteur ténébreux.
La couverture du 45T représente le chanteur dans une posture springsteenienne à la "Born to Run". La chanson du français est prête à courir sa chance et à vivre de succès pendant quarante ans, à ce jour.
Au détour d’un vers, le chanteur philosophe. « C'est pas très populaire le goût d'la solitude. » Le Sermon sur la montagne ? Non, Kant est dans le désert. Qu’est-ce que le temps ? Qu’est-ce que l’espace ? Un gigantesque sablier s’est renversé et c’est la critique de la raison pure. Devenir incontournable en parlant de l’immensité du désert, voilà le paradoxe, le défi relevé par Capdevielle.
C’est une chanson qui parle de politique. Dans ces années soixante-dix, une importante mobilisation a lieu en Bretagne contre le projet de centrale nucléaire de Plogoff. Trois vers (les plus Verts) y font référence :
« Vendredi tombant nulle part, y'a Robinson solitaire
Qui m'a dit : "J'trouve plus mon île, vous n'auriez pas vu la mer ?"
Va falloir que j'lui parle du thermo-nucléaire ». »
Des îles ? Désillusion nucléaire. Cet ancrage contribuera au succès de la chanson. Le titre galvanisera la lutte bretonne.
C’est une chanson engagée, qui balance bien, à mots pas très couverts. Le piètre accordéoniste, c’est Giscard. Le « gros clown sinistre », c’est Raymond Barre. (Et le poète qui finit trafiquant d’armes ? Rimbaud, bien sûr.)
Lors de la guerre du Golfe, la chanson est frappée par la censure. Elle n’a qu’une dizaine d‘années d’ancienneté et passe régulièrement à la radio.
Ces deux vers tombaient mal :
« Moi je traîne dans le désert depuis plus de vingt-huit jours
Et déjà quelques mirages me disent de faire demi-tour »
Il faut dire que le doute qui habitait l’esprit des soldats français engagés dans la Guerre trouvait un sacré écho dans les paroles de la chanson. Une chanson populaire pouvait rapidement se retrouver le ferment d’une opposition à la guerre. Danger. D’autant plus que ces « mirages », à l’origine ceux générés par le désert, pouvaient bien s’assimiler aux avions déployés par l’armée française.
La bonne vieille Anastasie, comme un « perroquet sonne l’alarme », fit ni une ni deux. Quand les soldats français sont dans le désert, tu sais à quoi ça sert, tous ces yeux bandés et toutes ces oreilles bouchées.
« Quand t’es dans le désert » de Jean-Patrick Capdevielle : interdit de passage en radio.