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« The traditions of the Royal Navy ? What are they ? They are rum, sodomy and the lash. » ("Ne me parlez pas de traditions dans la marine ! Quelles traditions ! Le rhum, la sodomie et le fouet" - Winston Churchill (1874-1965) Citation apocryphe)
« Churchill ? Mad, fascist, racist nutter. » Un malade... un facho... un cinglé raciste." (Shane MacGowan, entretien avec Andy Capper pour Vice, 2 mai 200)
Ils sont affreux, sales et bruyants.
The Pogues est, dès l’origine, un groupe habitué aux controverses. D’abord parce qu’une partie de ses membres vient du punk, un genre qui ne connaît ni n’inspire l’indifférence (le mot «punk» selon le dictionnaire Robert, vient de l’argot anglo-américain «voyou, vaurien», lui-même dérivé du sens de « pourri, délabré », 1902). Ensuite parce que le groupe s’inspire du folk irlandais sans que ses membres soient tous des Irlandais. Scandale !
Tout commence, mal, par le nom de baptême irlandais des Pogues : Pogue Mahone, équivalent en anglais de kiss my arse, soit « embrasse mon cul ». Même raccourci en Pogues, pour un anglophone, le nom, joint au titre provocateur de l’album, forme un cinglant cocktail: pogue mahone, rum, sodomy and the lash. De quoi affoler les médias qui n’osent pas alors prononcer le nom du groupe.
Dès la première chanson de leur premier album : « Transmetropolitan» dans Red Roses For Me (1), les mots choquent l’Angleterre. Jusque dans leur hit de Noël « Fairytale of New York », que la très myope et vertueuse BBC entrelarde de bips encore trente-cinq ans après (2). La dernière réédition de Rum, Sodomy and the Lash (2020) est même marquée du sceau enviable de la street credibility, argument de vente imparable sur le marché américain: « Parental advisory : explicit lyrics ».
Rien d’étonnant à ce que le groupe choque, puisqu’il vient de l’univers punk avec sa légende noire: contre-culture et subversion. Ce mouvement conteste le pouvoir, sur fond de désenchantement. Il aime l’anarchie. Dans ce désordre désiré, on trouve des anecdotes pittoresques. Novembre 1976, venu à un concert des Clash, le tout jeune Shane MacGowan est mordu à l’oreille par une fan du groupe qui est sur scène. Son oreille en sang fait la une du New Musical Express. Le titre sent le soufre: « Cannibalism At Clash Gig (3) ». Le punk est alors un territoire underground, méconnu. Influent. Shane MacGowan dira que les Sex Pistols ont changé sa vie (4). Pour ceux qui ne cherchent pas à se frayer un chemin dans ces arcanes musicaux, les punks défraient la chronique et effraient. À trop abuser des provocations, il n’est pas rare qu’un punk se fasse casser la figure. Affreux, sales et bruyants (5). Et pourquoi ne pas aller jusqu’à les imaginer nus, féroces et anthropophages ? Sans parler des débordements sexuels présumés et avérés.
Avec le temps, les textes des Pogues se confronteront au contexte politique et social que l’Angleterre traverse. Il y aura les années Thatcher, critiquées dans Rum, Sodomy and the Lash, et puis l’activisme de l’ira (Irish Republican Army) (6). Les relations conflictuelles entre Irlandais et Anglais sont abordées dans la chanson « Streets of Sorrow/Birmingham Six». Un titre clairement engagé. Écrit par Terry Woods et Shane MacGowan, il prend la défense des Six de Birmingham. Six hommes injustement accusés de crime. En novembre 1974, des attentats sont com- mis dans des pubs de Birmingham. Ils causent la mort de vingt et une personnes. Six hommes d’origine irlandaise sont arrêtés et condamnés à perpétuité. C’est une erreur judiciaire qui va durer seize années.
"There were six men in Birmingham [...] That were picked up and tortured/And framed by the law [...] For being Irish in the wrong place/And at the wrong time"
1. Une chanson écrite par Shane MacGowan qui contient « piss, whores, queers, poofs, bastards, bloody, shite »... James Fearnley estime que cette chanson dit beaucoup sur les Pogues : « In many respects the Pogues’ mission statement. It’s a generous, degenerate song. (À bien des égards la déclaration d’intention des Pogues. Une chanson généreuse et dégénérée). » The Guardian, 23 octobre 2013.
2. La célèbre chanson de Noël, issue de l’album If I Should Fall from Grace with God, est purgée, pas de slut, ni de faggot. en 2020. Nick Cave qualifie publiquement la version qui passe alors sur les ondes de falsifiée, frelatée, aseptisée, stérilisée.
3. Il n’avait été que mordu. La légende avait fait croire à certains qu’il avait perdu tout son lobe d’oreille. Ils s’étonnaient devant MacGowan que son lobe ait repoussé.
4. « Seeing the Sex Pistols changed my life – it changed loads of people’s lives » dans The Pogues : The Lost Decade d’Ann Scanlon (Omnibus Press, 1988).
5. La quintessence de ce bruit peut se trouver dans l’album Red Roses For Me et sa minute de cris collectifs pour clore la chanson « Down in the Ground Where the Deadmen Go ».
6. Dans le documentaire Crock of Gold : A Few Rounds With Shane MacGowan, 2020, Shane MacGowan dit regretter de ne pas s’être engagé : « I was ashamed I didn’t have the guts to join the IRA and the Pogues was my way of overcoming that. »
Ce texte constitue les premières pages de The Pogues - Rum, Sodomy & The Lash que j'ai fait paraître aux éd. Densité, coll. Discogonie, présenté ici : https://www.editionsdensite.fr/pogues.html