Calendrier de l’Avent 2023. Chaque jour, une chanson. « J’écoute uniquement les chansons parce qu’elles disent la vérité. Plus elles sont bêtes, plus elles sont vraies. D’ailleurs, elles ne sont pas bêtes. » (Fanny Ardant dans La Femme d’à côté de François Truffaut).
Avec Les Innocents, ça avait mal commencé. Dans les années 80, ils passaient chanter dans un lycée du coin et ils proclamaient qu’ils se fichaient des mots, que rien ne comptait plus que la musique. Pris au mot, je leur en avais tenu rigueur, je l’avoue. C’était mal, je sais.
On se souviendra
De ceux qui commettent un crime
Un jour
De tous ces chasseurs de primes
Une belle formule pour parler de ceux dont on connaît les noms pour de mauvaises raisons. Qui ne méritent pas qu’on les connaisse.
Nommer ces gens, ceux qui commettent un crime, c’est ajouter du malheur au monde.
La chanson célèbre l’homme ordinaire (un "gars ben ordinaire", dirait Robert Charlebois qu’on croisera sans doute dans ce calendrier). La banalité du beau.
Hélas, on continue à parler haut et fort de ceux qui commettent des crimes. On montre leurs photos. On les nomme. Jusqu’à leur donner la notoriété dont il rêvait souvent.
Damnatio Memoriae. Condamner à l’oubli. La coutume était romaine.
Elle consistait à couper ce qui dépassait les bornes. Histoire que tous les chemins ne mènent à rien. Il s’agissait d’oublier jusqu’au souvenir des noms. De la nomina rasa. Ne plus commémorer mais considérer comme mort, inexistant, comme n’ayant jamais existé. Qui ça ?
Un souvenir plein d’inanité sonore. Alzheimer pour tout le monde ! De l'effort collectif.
Ne plus se souvenir de ceux qui commettent un crime. Et les autres ?
Que leur dire ?
Qu'ils viennent sur terre juste pour y répandre
Un peu d'amour et quelques cendres
Aujourd’hui, pour ceux qui commettent un crime nous avons les poubelles de l’histoire. C’est plus concret, tendance écolo je trie/je trie pas. Peu importe l’ivresse du récipient (plastique, alu…), les récipiendaires sont toujours nombreux.
Hélas, au lieu d’être oubliés, leur souvenir hante les plateaux télés, les émissions, les articles. Et on fait peu de cas de…
quelqu'un qui a bien réagi/Face à la mort et à l’oubli
Le principe de ces poubelles de la mémoire, c’est de faire comme si rien n’avait jamais existé : un homme, une femme, une loi, un vote, une phrase. Passez-moi le couvercle ! On déboulonne, on abolit, on oublie. La posture ne tient plus, posthume. La corbicula, corbeille latine, se fait corbillard. Un petit coup de CTRL-ZZZZZ pour tout mettre en sommeil à la poubelle. Hélas, dur de repartir à zéro avec tout ce qui part au réseau.
Quand c’est gravé sur le net…
Dans l'Antiquité déjà. Érostrate cherchait la gloire. Dans ce but, il avait incendié le temple d’Artémis à Éphèse, l’une des 7 merveilles du monde. Les Éphésiens interdirent alors que son nom soit prononcé. Hélas, si j’en parle ici…
C’est bien souvent que le citoyen ordinaire est confronté à des intrusions dans sa mémoire auditive ou visuelle. Avant d'éprouver l'envie d'une damnatio, il est soumis à une captatio.
La chanson des Innocents nous rappelle à cet effort de détourner le regard et nous concentrer, avec optimisme, sur
La vie d'un homme sans nom / Un homme extraordinaire