L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

391 Billets

2 Éditions

Billet de blog 10 décembre 2025

L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

Calendrier de l'Avent 10/24 La tique de Rostock

L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans ce calendrier de l’Avent 2025, il y aura des bêtes et des bestioles. Ces animaux crèchent dans notre imaginaire. Ils sont connus, moins connus mais ils sont vivants dans notre esprit et ont marqué notre mémoire. Les sources seront variées : Petites histoires ou Grande Histoire, Nature, Films, Chansons, Livres, etc.

Illustration 1

« Dans le laboratoire de Rostock, une tique a été maintenue en vie pendant dix-huit ans sans nourriture, c’est-à-dire dans des conditions d’isolement absolu par rapport à son milieu. » (L’Ouvert : De l’homme et de l’animal de Giorgio Agamben, 2006, traduction Joël Gayraud).

Aujourd’hui, la tique n’est toujours pas morte.
Cela fait bientôt dix-huit ans que j’observe cette étrangère dans mon laboratoire de Rostock. 18 ans qu’elle n’a pas mangé.
Le temps passe. Tic. Tique. Tic. Tique. Tic.
On n’est pas sérieux quand on a 17 ans ? Mais un jeûne de dix-huit ans, là, ça le devient.
Perdu dans une mécanique Quand?-Tique, cette tique a rendu ma vie ascétique. Du pain et de l’eau. C’est comme si je l’avais dans la peau, sous la peau.
Mon monde s’est limité autant que celui du sujet de mon étude. Elle jeûne et je déjeune, mais si peu. En scientifique rigoureux, je dois passer mon temps à mater ma tique. Elle n’a pas d’yeux. J’en ai pour elle.
Dix-huit ans qu’on la prive de ses trois stimuli préférés : l’acide butyrique, de sang, de peau. La science l’a privée de sa relation au milieu. Elle a les pattes coulées dans le béton d’un centre d’étude expérimentale allemand. Aucun repentir. Elle n’a donné aucun nom. À part le sien, du vieil italien : ixodes ricinus (qui vient du grec, peut-être de Sicile du temps de la Grande Grèce).
Ma tique ne m’a pas quitté. Bientôt dix-huit ans. Elle n’a piqué personne.
Elle attend, je le sais. Aux aguets. Qu’est-ce qu’elle attend ? Le moment propice pour être au-dessus de moi, se laisser tomber et perforer ma peau. Sa balistique à elle, petite stalac-tique forestière. Elle voudrait tant que je glande sudoripare. Moi, je ne laisse pas tomber. Je reste vigilant.
La communauté scientifique me traite de Don Quichotte, de chercheur à la cause perdue, à l’idéal absurde. Parfois on me traite d’âne de m’être laissé emprisonner dans une relation mortifère. On me traîne d’âne, d’animal à Sancho. La tique, elle, a pour moi les yeux de Sang chaud. Miss tique rêve d’une relation exclusive, d’un frère pour la soror d’une profonde nuit qu’elle est.
Elle veut faire de moi son hôte. Mon seul salut est de rester un corps froid, scientifique, et de laisser l’ennemi derrière la glace.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.