
Alors qu’est disponible en replay encore quelques jours un documentaire que je vous recommande sur l’acteur Robert Le Vigan, Robert Le Vigan, la cavale d’un maudit (lien au bas de la page), j’ai eu envie de vous partager un court extrait de mon livre Juste le temps de vivre qui ravive le souvenir de l’acteur Robert Lynen (que je tutoie dans mon texte), mort fusillé par les nazis en 1944.
« En 1935, Le Vigan joue, sous la direction de Julien Duvivier, un homme bien sous tous rapports : Jésus. Manifestement, l’amour de son prochain exigé par le rôle dut se perdre dans les coulisses car, tandis que tu refusais tout compromis et offrais ta carrière à une cause plus grande que toi, Robert Le Vigan non seulement continuait à travailler dans le cinéma mais exprimait ouvertement sa sympathie pour Vichy et les nazis.
Vous étiez tous deux de grands acteurs. Vous portiez le même prénom, celui d’une époque. Jekyll et Hyde ? Robert Lynen et Robert La Haine ?
Tu es mort à 24 ans. Lui à 72 ans.
Il y a ceux qui s’enrôlent. Et ceux qui tournent mal.
Sa couronne d’épines était en toc. Elle ne le faisait pas souffrir.
En 1944, alors qu’on te torturait puis te fusillait, Le Vigan était à Sigmaringen avec Céline et le maréchal Pétain. Une colocation sulfureuse.
Après la guerre, Le Vigan est condamné à la dégradation nationale et à dix ans de travaux forcés. Il est libéré en 1948. Il quitte la France pour l’Espagne puis l’Argentine. C’est à un âge avancé qu’il finit par connaître quelque chose de la frugalité de ta jeunesse. Quelque chose seulement.
Toi, tu es mort dans la force de l’âge. L’horizon, tu le portais en toi.
Exilé en Argentine, celui qu’on surnommait « Le Français » a vécu une petite vie de vieux tranquille. Épargné par le souffle nauséabond de Céline et de Pétain, il a acquis, faisant mystère de son passé, une réputation d’homme honorable pour les gens de ce coin d’Amérique du Sud.
Honorable à l’évidence, n’y donnait-il pas des cours de français ? Le brave homme. Les femmes qui suivaient ses cours se souviennent d’un homme pointilleux sur la grammaire.
[…]
Bien après ta mort, la silhouette de Le Vigan empruntait encore les chemins de cet arrière-pays. Aérien. Léger. Dans ce pays où il résidait avec sa femme. Silhouette sinueuse, sous une cape. Noire. L’acteur bien connu en France vivait incognito là-bas. Personne n’y aurait vu la cape d’un vampire. Quelle idée. Éventuellement un vampire de cinéma, sans le moindre sang sur les mains.
Le Vigan avait choisi son exil. Loin des tempêtes d’après-guerre, suave mari magno. Loin des vents mauvais qui pouvaient le renvoyer devant ses responsabilités, comme tous ceux qui avaient pris le mauvais bateau.
Dans cette cape volant au vent, tu aurais pu voir le noir de ces corbeaux évoqués par Le Chant des partisans.
[…]
Au début des années 1970, terré en Argentine, petit vieux avec sa femme, il garda le deuil quelques jours après la mort de leur chien. Pauvre chien. »
Depuis que j’ai écrit ce livre, j’ai découvert que la paranoïa de Le Vigan, au moment de son procès, était telle qu’il dormait, rassuré par la présence à son chevet d’un vélo et d’une hache (un autre de mes sujets d’écriture). On trouve cette savoureuse anecdote dans les mémoires de l’actrice Madeleine Renaud.
Pour en savoir plus sur mon livre « Juste le temps de vivre », sur le site de la maison d’édition Arléa : https://www.arlea.fr/Juste-le-temps-de-vivre
Pour voir le documentaire (jusqu’au 13 août !) https://www.tv5monde.com/tv/video/69796-robert-le-vigan-la-cavale-d-un-maudit-robert-le-vigan-la-cavale-d-un-maudit