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Billet de blog 14 juillet 2025

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Jack Nicholson, la star qui vient de Neptune

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je regarde le film Five Easy Pieces réalisé par Bob Rafelson.

17’53 : Deux personnages, Robert Eroica Dupea (Jack Nicholson) et Elton (Billy Green Bush) sont pris dans un embouteillage.


18’46 : Le personnage joué par Nicholson s’énerve et se met à aboyer sur un chien.


19’02 : Il monte sur un camion et joue du piano et rivalise en volume avec le concert dissonant de klaxons de voitures. Un jam en plein trafic jam. Décalage tonitruant que ce type qui pourrait jouer du Chopin ou du Bach, en impro sur l’autoroute. 


20’34 : Fin de l’embouteillage. Un camion de déménagement reprend la route. Sur le véhicule, il est inscrit, en rouge : « When you move, Neptune cares ».

Neptune prend soin de vous.

C’est en 1970 que sort ce film. Jack a 23 ans et, en tant qu’acteur, il est on the road

Le petit Jack naît en 1937 dans une ville nommée Neptune. « Neptune cares » ? On appréciera le clin d’œil, la private joke dans le film de son ami Bob Rafelson.

On a tous une ville natale. Les rapports de Nicholson avec la sienne, Neptune, sont compliqués. 

Neptune prend soin de vous ? Mouais...

Neptune. Un nom de ville qui vient d’en haut, qui sent l’Olympe, qui sent le dieu antique. Un nom à la dimension mythologique. Neptune, le Poséidon des Grecs, est le dieu des Océans est aussi celui qui fait trembler la terre. Neptune est une ville qui sent l’Olympe mais qui n’en a pas l’envergure. C’est à peine une ville-berceau. Celle, quand même, d’un membre du club resserré du Walk of Fame à Hollywood. Cet acteur, une fois sorti des flots gris du New Jersey, connaît une carrière au retentissement international. Au début des années soixante-dix, Hollywood en tremble déjà ! "Wait till They Get A Load Of Me" dirait son Joker. Au début des seventies, Jack attaque, bien avant Mars Attacks.

Neptune, New Jersey. Nord-Est des Etats-Unis, en bordure de l’Atlantique.
 Jack Nicholson fait corps avec le New Jersey. Comme une espièglerie d’initiales à l’immatriculation inversée : JN et NJ.

Le New Jersey. C’est l’État de Danny de Vito, son ami d’enfance, qui lui offrit le rôle-titre dans son film Hoffa (1992). C’est l’État de Meryl Streep avec qui il tourna La Brûlure (1986). C’est enfin (surtout ?) celui du Boss, Bruce Springsteen, sur la chanson duquel, Missing, il marcha le temps d’un générique d’anthologie pour The Crossing Guard (1995).

Du temps de l’enfance de Nicholson, la vedette du coin, c’était Abbott, l’un des membres du célèbre duo comique Abott et Costello. Un genre de Laurel et Hardy. Du comique facile, un peu troupier. De petites étoiles dans le star-system.

Jack Nicholson fait partie de ces gens qui n’aiment pas le lieu où ils sont nés, qui sont ravis de quitter le nid, d’en franchir les bornes pour aller voir plus loin. Être né quelque part, c’est toujours un hasard. Ce hasard ne plaît pas à Nicholson. Il veut pouvoir décider.

« C’est l’état le plus inutile de la Nation » dit-il du New-Jersey. Alors, la petite ville côtière de Neptune, n’en parlons pas.
Une naissance au bord de l’océan n’étanche pas la soif. Peu importe que l’État ait une forme de tonneau. Les lumières de New-York attirent davantage. Un habitant d’une petite ville de la lointaine banlieue de New-York peut avoir soif d’existence sociale. New-York n’est pas si lointaine en kilomètres, mais inaccessible en termes d’horizon, de potentialités, comme une frontière indépassable.

Il lui faut s’extraire de cette grisaille ouvrière. Être roi dans son village ne l’intéresse pas. Tout cela il le ressent plus qu’il ne le formule, même si sa famille compte déjà des aspirants au succès dans le show-business. Ce modeste natif de Neptune s’enthousiasme, un jour, d’avoir conquis le cœur d’une princesse : Anjelica Huston, la fille du Maître John Huston. Petit à Neptune, s’imaginait-il tutoyer les étoiles, voire en épouser une ?

L’enfance, c’est un lieu. Ce sont aussi des personnes. Des adultes qui vous entourent, vous écoutent, guident vos premiers pas.
 Le jeune Jack Nicholson grandit dans un milieu catholique. Particularité notable, il est élevé par des femmes. Il n’y a pas de figure paternelle. Son père ne l’a pas reconnu et son père adoptif disparait peu de temps après sa naissance. De quoi interroger la figure du père dans l’œuvre cinématographique de Nicholson. 

Malgré cette éducation protectrice, qui protège jusqu’à dissimuler, grandit un secret de famille de plus en plus encombrant. Born to be wild.
Une histoire de famille compliquée. Sur les photos toutes les légendes doivent être changées. Le petit Jack attend 37 ans pour découvrir que sa mère est en réalité sa grand-mère et que sa vraie mère n’est autre que sa sœur.


Jack Nicholson qui aime bien les secrets - et pas seulement pour dissimuler des nuits trop courtes derrière des lunettes noires - est bien servi. La découverte est extravagante : c’est un journaliste du Time qui rompt le silence. Il l’annonce d’abord à Jack Nicholson qui téléphone alors à sa tante, Lorraine Nicholson. Elle lui confirme.
 C’est le 12 août 1974 que paraît l’article du Time qui dévoile ce secret de famille. En titre : « The Star with the killer smile ».

L’information, donnée au public, fait trembler, intimement, le natif de Neptune. Un séisme intime. Un secret bien gardé dont il a pu avoir in extremis la confirmation, sa mère et sa grand-mère étant décédées sans n’avoir jamais rien dit.

Un acteur n’a jamais fini de jouer. La fiction s’amuse à faire des clins d’œil à la réalité. Ce secret de famille est révélé au public en même temps que le film Chinatown sort sur les écrans. Une scène du film de Polanski prend un tout autre sens. Celle où le personnage de Jake Gittes, en furie, dévoile le sinistre secret de la famille Mulwray : Evelyne (Faye Dunaway) a une fille qui est aussi sa sœur…
Tragédie.

Les vents de Neptune soufflent à tout va. D’autant plus que la sœur mère de Jack se prénomme June. Un prénom qui vient du nom de la déesse romaine Junon, la femme de Jupiter qui était aussi sa sœur. Chez les dieux de l’Olympe, la promiscuité divine conduit à des situations sidérantes, que les étoiles ne parviennent pas à cacher au regard des mortels. Endogamie, fratricide, crimes en tous genres rien de tel, dans un livre, sur une scène, à l’écran, qu’une bonne catharsis. Ça purge les passions, ça apaise, ça soulage.

À Hollywood, il n’est pas rare qu’une histoire de famille tourne à la tragédie. 

Cette vérité, dissimulée à Neptune, dans les replis d’une petite ville côtière, Jack Nicholson aura attendu l’âge de 37 ans pour la découvrir. Est-ce que cela prépare à la découverte ou bien est-ce que cela la rend encore plus douloureuse du fait de l’impossibilité de parler du sujet avec les membres de la famille qui ont disparu.

À bien y réfléchir, cette révélation n’est pas si extraordinaire. À cette époque, il n’était pas rare, dans les familles soucieuses des convenances, de cacher une naissance survenue trop tôt dans la vie d’une jeune femme. On craignait la descente aux enfers sociale, la déconsidération. L’enfant était alors pris en charge par les grands-parents, par une tante.
Certains critiques, portés par une interprétation psychanalytique, verront là le germe de l’évolution des rôles de Nicholson : pour eux, pas de surprise à ce que, dans les cinq années qui suivent cette révélation, l’acteur joue dans Vol au-dessus d’un nid de coucous et Shining

L’avantage avec les fêlures c’est qu’elles laissent passer la lumière.

Honking made Jack Nicholson crazy | Five Easy Pieces | CLIP © Boxoffice Movie Scenes

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