Je suis (prof).
Tué.
Ce présent déraille. Pour rompre cet enchaînement fatal, nous n’avons à offrir que nos efforts conjugués.
L’école, c’est la vie, faut-il désormais préciser que c’est un sanctuaire sans tueur ? Faut-il désormais apprendre à nos enfants qui souhaitent devenir professeur qu’un des risques de ce métier est mortel ?
Prof, quel beau métier ! Mais tué parce qu’il enseignait comment l’accepter ?
Le prof est fier d’être désarmé. Armé, il l’est métaphoriquement parlant.
Transmettre. Partager. Apprendre.
Ses armes, il les partage.
Rompre un destin. Donner des cours pour changer le cours de quelques vies. Et puis donner le change. Parfois notre rôle est d’être drôle pour être plus léger que les vies accablées.
La vocation. L’engagement. Langage ment : une vie à apprendre (donner, recevoir) n’est pas une vie à prendre. Un professeur n’est pas dans son établissement pour y laisser sa vie.
Dans l’exercice de la fonction, la page est ensanglantée. Ce n’est pas la première fois. Aucun manuel pour enseignant ne prévoit ce risque-là.
Devoir fait, service rendu, vie sacrifiée.
D’attentat en attentat, le Pourquoi, là ? Finit presque par se transformer en Pourquoi pas. En ce mois d’octobre 2023, dans commémore, il y a comme mort recommencée. Les professeurs sont perdus dans une boucle, un recommencement, comment panser l’impensable quand la plaie se rouvre ?
Il faut savoir tout faire dans ce beau Service Public. Ce métier n’en finit plus de devenir protéiforme. Le prof, ce Protée moderne, doit-il apprendre à se protéger ?
Une enceinte bien fermée ?
Un portique haute-sécurité ?
Ces dispositifs n’ont rien de positif. Le savoir & les barbelés ? Et puis cela ne suffira jamais. L’horreur se nourrit d’une profonde nuit et du moindre interstice. Les promesses, passées, à venir, laissent sceptiques les enseignants qui professent. Ils ont le visage grave et fermé et, surtout - le cœur de leur métier - l’esprit bien ouvert.
Ils savent l’importance d’une entraide de tout instant. De bric et de broc. Apprendre à compter sur soi et sur chacun. S’aider, pas céder.
Et puis ce « Nous », gorge nouée par l’actualité.
Dans la cour de cet établissement d’Arras, dérisoires portables allumés. Réflexes égarés. La peur prise dans les phares. Pas du virtuel, mais une vie tuée.
Et des chaises comme protection de fortune. Aux chaises, citoyens ?
À Arras et ailleurs, le sommeil de la raison nous assomme.
Au loin, la cour réverbère du Verbe être.
Je suis (prof).
Tué.
À nos efforts conjugués.
Au Professeur de l’Être et aux vies qu’il a sauvées.
À tous ses collègues, profs et agents.
On ne s’habituera pas.