L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

379 Billets

2 Éditions

Billet de blog 15 septembre 2024

L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

Pourquoi je ne ferai jamais du canoë en Australie

The Death Roll

L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Dans le parc national de Kakadu, nord de l’Australie, en février 1985, une philosophe rencontre un crocodile marin. Elle est sur un canoé. Lui, il a faim.
Une version australienne du conte de Perrault, rebaptisé Le Petit Canoé Rouge. La rencontre manque de finir tragiquement. Tirée par les jambes jusque dans l’eau, elle est maintenue sous l’eau. Le twist mortel (the death roll) n’est pas complet et elle parvient à réchapper de cette attaque. Elle ne sait pas comment. Elle survit en se traînant en sang dans le parc avant qu’un garde la trouve et la sauve.


Val Plumwood (1939-2008) raconte des années plus tard son aventure en philosophe. Pas de sensationnalisme. Une réflexion. Une méditation. Inachevée, puisque Val Plumwood mourra avant de terminer son essai.
Dans ce paysage minéral, de grotte, de parois ocre, dans ce pays traversé d’ancêtres aborigènes, elle avoue qu’elle ne savait rien.
Lectrice d’Alice, elle vit l’expérience du personnage de Lewis Caroll et disparaît dans un monde parallèle. Un monde héraclitéen, où toute vie est égale à une autre, dans lequel elle est poussée par ce trickster de crocodile.
Une fois son calcul égoïste d’humain tombé en eaux troubles, elle se rend compte que si haut qu’elle soit assise elle ne sera jamais que de la viande pour un crocodile marin.
C’est le prédateur arrosé. Il peut aller se rhabiller avec son statut à part. La phrase servie aux enfants « Mange, tu ne sais pas qui te mangera » n’est pas dénuée de fondements, surtout pour un humain installé dans une fragile embarcation sur l’East Alligator River. L’être pensant peut revoir sa vision du monde avec ce canoé penchant sous l’effort de la mâchoire d’un crocodile qui sait ce qu’il veut. Qu’il soit anthropocentriste ou pas, un humain c’est de la viande (sans sabot, sans fourrure, comme le rappelle un dessin de Gary Larson que la philosophe évoque).
L’œil du crocodile était dans l'ombre et regardait Val Plumwood : « L’œil du crocodile – du crocodile estuarien géant du nord de l’Australie – est pailleté d’or, reptilien, magnifique. Il a trois paupières. Il semble vous soupeser froidement, comme si vous ne l’impressionniez pas et qu’il avait pris la mesure de votre être. Toutefois, une étincelle étonnamment intense peut l’illuminer si vous parvenez à susciter son intérêt. »
Un livre sur la vie, sur la mort, sur la chaîne alimentaire, sur la marche, sur nos relations avec le monde animal (enfin le reste). Oui nous sommes chair aux yeux de certains animaux.
Je ne résiste pas à citer le philosophe Baptiste Morizot dont les propos figurent en 4ème de couverture du livre : « Cette expérience tragique nous fournit un témoignage précieux : celui d’une philosophe à qui un grand prédateur a aimablement rappelé sa condition de biomasse partageable par d’autres. »

Éditions Wildproject

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.