Calendrier de l’Avent 2023. Chaque jour, une chanson. « J’écoute uniquement les chansons parce qu’elles disent la vérité. Plus elles sont bêtes, plus elles sont vraies. D’ailleurs, elles ne sont pas bêtes. » (Fanny Ardant dans La Femme d’à côté de François Truffaut).
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« Comme un lichen aigri sur le flanc d’un rocher » chantait Jean-Louis Murat dans « col de la Croix-Morand » (1991).
Aigri ? Le punk à vaches avait démontré à longueur d’interviews presse ou télé qu’il savait dire Non, en auvergnat contempteur du normand p’têtre ben qu’oui. Punk toujours, dans sa ferme à DIY, il assurait que la chanson française s’empoisonnait d’un No Future tant qu’elle comptait sur des chanteurs belges.
Comme un lichen aigri, la comparaison sert d’incipit à sa chanson « col de la Croix-Morand ». Pas étonnant ce choix lexical de la part du chanteur français le plus en phase avec la nature. Un mot qui fait paysage, avec ses rochers peints de lichen. Dans la Logique et la Nature des choses. De Natura et Murat Rerum. Entre Lucrèce et Dolores. Lichen du De Murat Rerum.
La formule n’a pas toujours été comprise. Les nombreux sites à paroles, à lyrics hésitent : Comme un lichen est gris ? Comme un lichen égaré ? Faut dire que le moulin à paroles mouline depuis qu’on n’achète plus de CD avec le livret contenant le texte officiel, la source authentique. Encore que…il arrivait que les lyrics soient fautifs. Décidément à qui se fier… Après tout, comme le lecteur, l’auditeur est auteur. Il entend ce qu’il veut bien entendre.
Le moulin à paroles et à lyrics.com n’a pas toujours la bonne farine.
Amusante découverte sur le flanc du net et dans des ouvrages anciens à propos du lichen et de son monde. Parions que le poète auvergnat devait le savoir : dans certaines recettes, le lichen réduit en poudre puis aigri (c’est le mot !) était ajouté à la farine employée pour faire le pain azyme.
Divine nature.
Azyme et hostie. Comme un lichen aigri pour atteindre les cieux.
Après l’évocation d’un lichen, le texte de la chanson dévoile un narrateur : « Je sens monter en moi. Un sentiment profond. D’abandon » On pense à un poète aigri qui a envie de tout abandonner. S’attabler sans succès. Sa table est sans succès. Par chance, il sait que le succès c’est tromper. Le tube, cette chose longue et creuse formalisée par Boris Vian.
Le lichen aigri c’est cette force qui s’accroche. Le vent l’a grisé et le temps l’a fait grisonner. Il tient. Et parfois ça marche. Grand succès de l’album « Manteau de pluie » sur lequel figure « Col de la Croix-Morand ».
Être aigrivain n’intéressait sans doute pas Murat. Ses propos fielleux, bilieux n’étaient que provocations de punk à vaches. Être Lichen aigri l’intéressait sans doute davantage. En marge, mais rentable sur le flanc de son rocher auvergnat, industrie oblige.
Avec l’âge, la chevelure aidant, le chanteur s’est visuellement rapproché de ce lichen aigri, imaginé alors qu’il n’avait pas encore quarante ans.
Son public se le disait, à voix basse pour conjurer le sort et la mort : Un jour Jean-Louis Mourra.
Un jeudi de mai 2023, tout est dit. "je sais / Que tous les éperviers / Sur mon âme veilleront"
Lichen aigri ou pas, les mots vous rattrapent toujours. Saleté de dico ouvert à l’article de « La mort ». « Aux gens malheureux, il faut conseiller de lire une page de dictionnaire par jour, afin qu’ils trouvent les mots pour exprimer ce qu’ils ressentent. » conseillait Murat en interview.
Un dictionnaire, ça s’enrichit.
À Carragheen, en Irlande, il y un lichen blanc, Chondrus crispus. Jamais aigri, mais immunostimulant, dit-on, et source de carreghénane (du nom du toponyme irlandais). Peut-être que la découverte, en Auvergne, d’une variété inconnue de lichen donnera l’occasion d’en baptiser un du nom de Murat. Un lichen gris, si possible, pour faire plaisir aux à-peu-près des sites de lyrics.
Thoreau, dans son Walden, écrit que, sous l’effet d’une osmose entre l’homme et la nature, « l’oreille peut, dans l’imagination, passer pour un lichen ». Arcimboldesque ! Murat, après avoir chanté, écouterait alors la voix du vent et du monde comme un lichen aigri, « féroce et enraciné ».