Renaud a récemment dit qu’il avait sorti de son répertoire de scène la chanson « Rouge gorge » parce que la chanson ne parle plus trop au public.
Il nous semble qu’en 2023 il faut savoir reconnaître un rouge-gorge et une bonne chanson.
« Rouge-gorge », c’est la sixième chanson de l’album « Putain de camion » sorti en 1988. Un album à destination des couches et Coluche populaires.
Rouge-gorge, ce n’est pas l’oiseau mais le personnage qui parle dans la chanson.
« Rouge-gorge doit son surnom bizarre/ A sa jolie voix et à son foulard / Rouge son foulard autour de son cou ».
La jolie voix peut-être pas, mais le foulard rouge fait immédiatement penser à Renaud. Une métonymie de la chanson française, comme les yeux qui roulent chez Trenet ou la pipe de Brassens.
Ce rouge-gorge-là est accompagné d’un piano et d’un accordéon.
C’est une chanson sur la nostalgie de l’enfance (thème renaldien s’il en est) et sur un Paris perdu. Renaud, est un enfant de Paname qu’il a célébrée dès son premier album, « Amoureux de Paname » (1975). Auprès de Montmartre je vivais heureux.
Il chante « Rouge Gorge » au beau milieu de l’album. Comme un pont. Un Pont avec une drôle d’atmosphère ! Comme une pause entre « Me jette pas » et « Allongés sous les vagues ».
Avec son « Rouge-gorge », le chanteur au foulard rouge fout les poils.
Entre Renaud et le public, ça grésille donc. Les souvenirs d’enfance ne cadrent plus avec les souvenirs d’en face. La salle n’est plus réceptive à ce Paris, ou plutôt à ce Paname.
Renaud dépeint ce Paname que veulent repeindre des urbanisatueurs.
« Prolo ordinaire, peuple de Paris
Quartier populaire, bistrots et bougnats »
La gauche de la salle est sourde ?
Est-ce à dire qu’on oublie le temps des cerises (son gai rossignol et son merle moqueur) (« Rouge-gorge chante "Le Temps des Cerises » »), qu’on oublie Le temps des noyaux poétisé par Prévert (« Le temps des noyaux et des bulldozers »).
Un bel oiseau ne peut plus chanter l’ordinaire ? Et l’insupportable ? Oiseau au poitrail rouge sang comme touché par la répression des Versaillais d’Adolphe Thiers.
Si vous écoutez « Rouge-gorge », un petit oiseau va sortir. Comme au temps des photos d’avant le digitalo-numérique. On le sait. Le spécialiste de ce Paris d’autrefois, c’est l’ornitho Doisneau, à qui la chanson est dédiée.
En remerciement de toutes ses belles photos, Renaud rend la pareille à Doisneau. Il célèbre son humanisme dans une chanson un peu sépia, un peu noir & blanc…& rouge.
Il célèbre ses prises fameuses, de bobines et de Bastille, d’un Paris révolu et dans sa glorification du quotidien (« Chante la mémoire que Doisneau préserve de Paris / Le soir d'avant qu'elle crève »). Renaud dresse le procès-verbal d’une urbanisation néfaste (« Des cages en béton les ont remplacés »), où le beau quartier est laid et sans tendresse.
« Et des vrais salauds en costumes clairs
Quelque sous-ministre a attaché-case
Et mine sinistre l'âme versaillaise
Décrète trop vieux tout ce quartier-là »
« Trop vieux », inutile, les gens qui ne sont rien, etc. Ces gens, chassés du centre, iront là où on leur dit d’aller. (« Les petites gens sont des gens sérieux / Iront gentiment peupler les banlieues »).
Dans ce cher passé chanté par Renaud on trouve un écho local à « La France défigurée » de Dutronc (1975) ou à « La Maison près de la fontaine » de Ferrer (1971).
Là où Nino Ferrer concluait sur « C’n'est pas si mal / Et c'est normal / C’est le progrès », Renaud parle d’un passé qui ne passe pas. Doisneau fixe et fige un temps que Renaud voudrait revoulu.
Ce n’est pas le « Blackbird » de Lennon/McCartney, c’est le « Rouge-gorge » de Renaud. L’un et l’autre sont de beaux oiseaux de la chanson. Des airs politiques qu’on siffle pour les faire revenir en tête… ou en salle.
« Rouge sa mémoire, à jamais debout »