Je suis la petite phrase des débats. Celle qu’on attend. Celle qu’on reprendra en soirée. T'as vu quand il/elle a dit ? La phrase des titres du lendemain. Celle qu’on n’oubliera pas. Celle dont on gardera le souvenir. Celle qui résumera le débat. Voire celle qui sera citée dans un débat futur, une petite phrase devenue citation.
On me voue un culte.
Le moment marquant du débat.
Le moment.
Mais…
Le mot ment…l'autre ment aussi.
Les mots manquent…
Parmi tous ces mots, l’embarras. Et si on ne m'entendait pas ? Non, je disais : vous n'avez pas le monopole du cœur !! Je suis celle qui n’existe pas encore. Je suis celle qui ne sera pas ?
Un jour, j'ai demandé à la mère des petites phrases : "Will I be pretty ? Will I be rich ?" Elle m'a répondu : "Que sera, sera / What will be, will be"
La petite phrase sera ou le débat ne sera pas ?
Pas sûr.
Les Grands Débattent, la petite phrase écoute et elle oublie de prendre sa place. Esprit sentencieux es-tu là ? En phrase. Emphase.
Les dictionnaires frémissent. Ils aimeraient savoir qui de leurs enfants participera à la phrase choc, à la phrase show. Celle qui servira plus tard peut-être de phrase-exemple. À l’article « Monopole ». À l’article « Passif ». À l’article « Anaphore ».
Depuis le débat Chirac-Jospin j’avais senti le vent passer, le vide s’installer. La petite phrase ne tenait plus qu’à un grand mystère. La langue de bois avait pris ses quartiers. Depuis, c’est pire. La langue s’est relâché, sur fond de mediatraining. Casse-toi pauvre phrase ! L’heure est à l’invective, aux gestes, aux mots (adjectifs, expression) plus qu’aux phrases. Une phrase, c’est long. Cela demande quelques secondes pour exister. Cliquez sur la petite phrase pour prouver que vous n'êtes pas un robot.
Bon, il y avait eu l’anaphore d’un ancien président. Mais ce n’était pas une phrase, plutôt une succession, une matrice de phrases.
À l’heure des tweets en escadrille, difficile de marquer les esprits. La petite phrase tue la petite phrase. La figure de style défigure les discours. On court l’anaphore, l’antithèse, l’énumération, la gradation,…
La rhétorique, ça se prépare. "Vous ne me faites pas peur avec votre petite phrase."
Allez, on se claque une petite phrase sur la joute et on en reste là.
Viser, marquer, c’est courir le risque de rater, de manquer sa cible. Les débats ont perdu en spontanéité. Le sparring-partner laisse peu de place à la surprise. On veut abolir le hasard. La petite phrase que je suis a laissé place à la punchline. Tiens, pourrais-je être anglaise ? Winter is coming ? Du latin ? Non, déjà fait.
Le réseau social veille. Il arbitre. Il peut faire ou défaire la petite phrase en temps réel.
Belles et Buzz.
On calibre, on teste en soufflerie. La phrase est reprise, retweetée ? Très bon, coco, on la garde.Tiens, ils pourraient arrêter le débat, lorsque la phrase du soir aura été trouvée, labellisée. Coupez ! C’est bon, on l’a !
Ce qui est sûr, c'est qu'il y aura des phrases.