L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

381 Billets

2 Éditions

Billet de blog 23 novembre 2025

L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

Ken Bruen dans la brume

Ken Bruen (1951-2025)

L'Épistoléro (avatar)

L'Épistoléro

Prof, surtout, et auteur, un peu (La Ville brûle, Ellipses, Actes Sud Junior, Le Murmure, Densité, Le Boulon, Arléa, Umami, Klincksieck…)

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Ken Bruen, c’est un auteur irlandais, né à Galway. À lui bien des personnages, notamment Jack Taylor. Ce personnage vit à Galway, Irlande (oui, my Taylor is irish ! Et oui ! comme l’auteur). Il fait partie de l’âme de la ville. A soul à rouler par terre. Galway, noire sœur de la Poisonville de Dashiell Hammett. J'avais cité cet auteur dans les lectures qui avaient accompagné l’écriture de mon livre sur les Pogues aux éditions Densité, coll. Discogonie.

Jack Taylor a été viré de la police pour avoir mis son poing dans le visage d’un homme politique. Il ne travaille plus pour la Garda (le nom que porte la police irlandaise), mais il continue à enquêter et en a gardé un attribut, sa veste de fonction (malgré les multiples courriers de son ancienne autorité de tutelle). Flic un jour, flic toujours. Son bureau, c’est le pub. Il n’est pas en quête de rachat. C’est noir comme le café qui suit la cuite. La vie, à la fin, ça s’écrit H-I-É.

Ce Jack Taylor est une créature de roman noir, un être torturé. Il lutte contre ses démons en buvant et en lisant. Les deux abondamment. Il ne boit pas : il se noie. Ne dites pas à sa mère bigote qu’il est au pub, elle le croit avec le Père Malachy.

Le livre abonde en références littéraires et musicales. C’est un vrai plaisir d’intertextualités. L’une des particularités de ce personnage c’est qu’il lit abondamment. Du roman noir. De la mise en abîme.

Le personnage lit. L’auteur cite.
Ses auteurs préférés sont : David Goodis et Horace Mac Coy.
 Parfois la citation sort du roman noir. Ce peut être de la poésie irlandaise, voire, à défaut de trouver Proust on peut croiser soudain Pascal.

Il y a des citations et parfois des digressions. Par exemple une bio express de David Goodis sur deux pages. Quand le roman se fait dictionnaire ou journal intime de lecteur de polars.

La série des Jack Taylor est un chant éraillé et poignant au pouvoir des livres. Il faut lire la description poignante de cette carte de bibliothèque. Et tant pis si ce savoir livresque tombe souvent dans du savoir L’ivresse. Jack Taylor a ses failles. C’est un homme-Livre et un homme-ivre.
 Ces failles, ces fêlures, laissent passer la lumière.

Dans cette série de romans, il y a des intrigues policières, mais elles ont l’importance du MacGuffin chez Hitchcock. C’est Galway vue par Taylor qu’il faut traquer. Chez Bruen, on rit et on pleure. C’est ça qui est important.

Outre la littérature, la musique (et le football), les éléments qui rendent attachante la prose de Ken Bruen, c’est cet usage de la liste. Un truc. Un gimmick. Homère avait son catalogue des vaisseaux dans L’Iliade. Ken Bruen dresse de saisissantes listes, des retours poétiques à la liste, à La Ligne qui n'auront peut-être pas déplu à l'écrivain Joseph Ponthus (1978-2021) :

Deux extraits de Sur ta tombe.

« J’avais juré que plus jamais je n’emprunterais ce noir chemin.
Quel qu’en soit le motif :
occultisme,
malveillance,
Xanax,
hallucination. »

ou

« Cet air me trottait dans la tête pendant que je traversais le Salmon Weir Bridge. J’ai regardé si je voyais un saumon en train de sauter. Peau de balle.
Pas la queue d’un.
Trois ans déjà que la rivière est :
polluée,
contaminée,
létale. »

Des listes le concernant, il y en a sur les sites de ses maisons d'éditions françaises.

https://www.fayard.fr/auteur/ken-bruen/

https://www.gallimard.fr/auteurs/ken-bruen

C’est en ce mois de novembre que j’appris la mort de Ken Bruen. Rien dans les médias nationaux. Bien sûr, le président irlandais de l’époque, Michael Daniel Higgins, comme il l’avait fait pour Shane MacGowan s’est fendu d’un hommage :

"May I join with all those who have expressed their sadness on learning of the death of the writer Ken Bruen.
Ken was an accomplished writer whose work was recognised not only by his fans, but also by his peers, including his receipt of the Shamus Award for Best Crime Novel of the Year. In addition to his own writing, Ken was also of assistance to many in assisting them through workshops.
Sabina and I would like to offer our sympathies to Ken’s wife Philomena, to his daughter Grace, and to all of his family, friends, fellow writers and readers both in Ireland and internationally."

En France, c’est Ken Bruen dans la brume. À part quelques blogs avertis, rien. Une hypothèse, comme une autre. Le silence des médias nationaux est-il lié au fait que les livres de Bruen après être sortis, en nombre, à la série noire, chez Gallimard sont ensuite parus chez Fayard. Serait-il une victime collatérale de la nouvelle politique éditoriale de la maison ? Un auteur maison désormais perdu dans les stocks.

Ah oui, j’oubliais ! lisez Ken Bruen !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.