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Billet de blog 27 avril 2024

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Des livres, l'orage & la loutre et des roses

Pour la Sant Jordi, je conseille un livre.

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Illustration 1

C’est tout d’abord un titre et une couverture qui attirent l’œil. Le profil d’une loutre pour dire la Nature sauvage et l’orage pour dire les phénomènes naturels. On sent le roman ancré. L’auteur s’appelle Lucien. Lucien Ganiayre. Un nom d’auteur nouveau à mes yeux mais qui sent les Lettres Anciennes. Lucien, comme Jean, Guy ou Marcel.
L’auteur est né en 1910 et il est mort en 1966. Un unique roman. Publié en 1973 de façon posthume.
Merci aux éditions du Seuil, puis aux éditions de L’Ogre d’avoir maintenu le flambeau et la publication de ce roman remarquable écrit dans les années quarante.
Quand on aime les boucles temporelles et les bizarreries romanesques construites sur le temps, c’est un livre à lire.
Un roman fantastique dans les deux sens du terme. Fantastique…par ces lieux enchantés, ces ronces, cette fontaine puis par le phénomène qui touche l’humanité. L’irruption glaçante de l’irrationnel. Fantastique… par la qualité de la prose, de la noirceur sans afféterie.
Le narrateur, Jean des Bories, est bloqué dans le temps, un jour de septembre 1935, après une partie de chasse dans le Périgord. On le sait dès l’incipit. Le monde est arrêté. Une fraction de seconde devient une Éternité. L’humanité est paralysée. Comme sous le pouvoir maléfique de Méduse, les êtres vivants sont pétrifiés et il suffit de les toucher pour qu’ils expirent leur dernier souffle. Homme, cheval… Depuis ce jour maudit de 1935, embrasser, c’est donner le baiser de la mort. Cela arrive au narrateur avant de découvrir en quoi son geste est mortel. De ces corps paralysés ne semble sortir que le sable d’un sablier devenu vain.
Notre narrateur n’aura de cesse d’éviter, de se contorsionner pour ne tuer personne peut-être dans l’idée que le Grand Horloger appuie sur Play pour réactiver cette humanité en Pause. On se surprend, à l’idée d’une rue pleine d’une foule immobile, à penser à un flashmob, à un sinistre flashmob. Ou à repenser au temps du covid…
Ce n’est pas du post-apo, mais de l’apo en pause. Le temps ne s’écoule pas comme cette eau courante.
Le narrateur, après avoir tourné un peu en rond et avoir même fini par faire le tour des lectures et des mots, se saisit de l’idée tenace de retrouver la trace d’un ami, d’un très cher ami. C’est à la fois un road movie où le fil d’une rivière puis celui de la Seine vont jouer un rôle. Puis c’est un détournement du voyage immobile cher à Giono : l’immobilité c’est les autres. Jean des Bories est un homme pressé et un homme à contre-temps.
Il y a une Nature silencieuse, un automne muet, avant le printemps silencieux théorisé par Rachel Carson, et une loutre qui survient (et qu’on a attendu), près d’une rivière, près d’un figuier. Une rencontre insolite, pivot du roman. Deux vies qui se croisent au milieu d’un monde mort. Et puis l’obsession, la folie qui guettent et l’humanité qui déçoit, otage sous un ciel d’orage permanent. Je redoute l’homme d’un seul livre ? Pas en ce qui concerne Lucien Ganiayre. Et je n'ai pas tout dit de ce livre que je recommande bien sûr (recommandable, le narrateur l'est moins).

Et si ce livre, écrit dans les orages des guerres, ses brouillards, parlait, en creux, d’engagement, de mobilisation ?

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