L’union sobriétique

L’Union sobriétique n’existe pas. J’ai imaginé cette expression pour répondre subtilement (j’espère) aux charges grossières, à la Reductio ad sovieticum lancés pour décrédibiliser ceux qui voudraient faire entendre leurs voix de décroissants ou simplement d’économes en énergie.

Comme les militants pacifistes américains portaient des vêtements militaires en contestation contre la guerre du Vietnam, utilisons une expression qui renvoie à cette vilaine Reductio ad sovieticum. Vieille tactique. S'approprier pour détourner.

Partout on parle de développement durable, d'énergie verte et c’est comme dans le sketch de Fernand Raynaud, ça se finit toujours par : « Et avec ça, vous me donnerez de la croissance."

Du tragique de répétition.

Ces temps-ci, celui qui parle de sobriété est confiné dans un espace spatio-temporel lointain et soviétique.

« Avec toutes les limitations que vous proposez, la France va bientôt devenir l’Union soviétique ». 

La formule « L’union sobriétique » détourne la comparaison disqualifiante avec l’union soviétique tout en rappelant que, oui, l’économie d’énergie est une lutte des classes et qu’il y a quelque chose de gauche là-dedans.

L’union sobriétique. Et n’avoir qu’une seule marque de sucre et d’avion ? Argh. Non, avant tout, l’idée généreusement portée qu’il faut tous s’y mettre pour en faire moins (à commencer par les plus riches). 

Si l’expression Union sobriétique peut passer pour heureuse, elle se heurte à son acronyme : U.S. Hélas. Même en se souvenant des moufles en laine de Bernie Sanders, pas sûr que l’expression tienne au-delà de ce texte. Décidément, sont forts les ricains en soft power.

Il y a une évolution dans les attaques ad hominem decroissantem. Le discours du cornucopien, du béat devant le progrès, évolue. 
Faut dire qu’il y met du cœur. Il est prêt à mourir non pas pour défendre ses idées (faut pas plaisanter) mais pour accuser les autres d’être irresponsables. Pour ce faire, avec le temps il varie ce qu’il pense être des arguments. 

Tout d’abord, on se souvient qu’il reprocha à son adversaire de rêver d’un monde où tous les êtres humains vivraient dans une grotte. Un retour en arrière, à l’âge de pierre.

Puis il reprocha à son adversaire de rêver d’un monde où on s’éclairerait à la bougie. Cela ne manqua pas de sel lorsque la formule fut utilisée par le président du pays des Lumières. (Cela dit, le pays des bougies, cela a un petit côté Amnesty assez déprimant.)

Maintenant, la solution pour faire taire ceux qui veulent être sobres, c’est de les menacer de leur faire voir du pays (pas fous, ils ne les mettent pas sur La touche, Serge de son prénom, private joke à économie d'énergie). Un voyage dans le temps par l’intermédiaire d’une expression : l’union soviétique. Ce pays où on verrait bien s’exiler tous ces rabat-joie. Un dépaysement spatio-temporel. L’union soviétique. C’est-à-dire dans leur esprit, un monde de file d’attente dans les magasins, de ticket de rationnement et surtout, ô scandale, où on ne prendrait l’avion pas plus de cinq fois par an.

Il y a du progrès, de l'ampleur : la grotte, la bougie, l'union soviétique…

Ils ne comprennent pas ce qu’est l’Union sobriétique. Perdus dans leur réflexes anti sociaux, ils perdent leur sang-froid. Horreur. Ils voient rouge. Ils voient vert. Un mur d’incompréhension.

Cette Union sobriétique qu’il cauchemarde doit descendre de ces fameux chars que les gens de droite voyaient déjà remonter les Champs-Élysées après l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir. Il n’en a rien été. Il me semble…

L’Union sobriétique. Sans rire. Back to the USSR. C’est l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’URSS. L’Union sobriétique, c’est l’honneur de ceux qui tournent presque à vide pendant que d’autres avancent avides.