La rentrée littéraire 2023 a offert, dans la presse, son lot de papier, de réactions. Je lis. Je consulte. Je compare. Un matin, je tombe sur la présentation d’un roman que je n’ai pas encore repéré.
Je repère un mot. Un nom propre.
Un nom de lieu. Un nom familier. Mal orthographié, d’ailleurs. Ce qui laisse planer un doute. La ville de naissance de l’autrice confirme toutefois mon intuition. Géographiquement c’est plausible. Je me rends sur le site de l’éditeur.
Je suis troublé. Mes yeux se brouillent.
Le nom de lieu désigne bien la ville que je connais. Dans le livre, la ville semble tirer son intérêt narratif d’un commerce qu’elle abrite.
Mieux (pire ?) un personnage de fiction fréquente le même centre commercial que moi. Je vais faire mes courses là où il vit sa vie de papier.
Pour un habitant de Paris, de Lyon, de Marseille, c’est monnaie courante, sans doute. Quand cela concerne une petite commune, c’est moins commun.
Ça fait drôle. Je repense à cette histoire de Woody Allen où un personnage était poursuivi par un verbe irrégulier espagnol. Je repense à La Rose pourpre du Caire. L’esprit s’échauffe. La limite s’estompe. Étrange partage. Faut s’y faire. On fait ses courses là où travaille un personnage de fiction de la rentrée littéraire.
Un personnage de roman a son logement de fiction près de chez moi.
Bien sûr, je comprends, il faut bien qu’il ait un travail. Il risquerait d’être taxé de désincarné. La concurrence avec l'état-civil et tout ça. Comme il n'est qu'un personnage, il n'a pas exercé divers métiers avant de se consacrer à l'écriture, il a laissé la fiction le consacrer commerçant. Il s’occupe d’un rayon dans une surface commerciale. C’est son espace d’évolution dans la fiction.
Comme il a besoin d’être bien incarné, le personnage s’est choisi un rayon où on achète de quoi manger. Fromager, poissonnier, boucher, à vous d’imaginer. « Chers clients, venez découvrir nos promotions ! » On se prend à rêver, par exemple du Capitaine Achab nous vendant du poisson. Mince ! La baleine est un mammifère. Comme quoi, faut faire gaffe même dans la fiction.
Un personnage de fiction vit près de chez moi. Cette renversante nouvelle a rapidement fait peser sur mes épaules une tension pleine d’un potentiel fantastique. Un effet miroir. Et si c’était moi le personnage de fiction ? La prochaine fois que je me rendrai dans cette grande surface, j’aurai le caddie poétique. Et avec ça, ce sera tout ?