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Billet de blog 4 mai 2024

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La Psy dernière servie

Ceci est une lettre morte. Afin de laisser une trace du vécu, de la parole, de celles et ceux qui sont restés sur le côté, dans les sillons du Covid. Pendant et après surtout. Lettre morte de ces oubliés de la crise sanitaire qui disent : « nous sommes toujours là ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mars 2020 le monde s'est mis en "freeze"... 

Gelé, figé, fermé, arrêté, confiné, flippé...

La Psy aussi...et tous ses usagers avec.

L'arrêt de tous les soins ambulatoires, des consultations, des hôpitaux de jour pour enfants comme adultes.

Avec tout ce que ça a entraîné comme traumas sur lesquels se sont rajoutés les ruptures de soins, de traitements, de contacts, la solitude, les deuils, la violence en huis clos, trop souvent, derrière ces portes closes et les drames et décompensations qui en découlent évidemment.

Ce n'est que bien plus tard, lorsque qu'on a ré ouvert les boîtes à misère hermétiques (remplies de souffrances humaines) que l'on a constaté l'ampleur des dégâts psychologiques.

Pas de réa pour ça...

Quelques prises de parole, aux infos et sur quelques chaînes de radio, ont dit sans grande conséquence :" il faut plus de moyens pour la psychiatrie, les gens vont mal, les enfants, les ados, les très jeunes aussi. Avec une nette augmentation des passages à l'acte suicidaires chez les moins de 14 ans... Des troubles anxio dépressifs en masse, du jamais vu..." 

Et puis, les mois, les années ont passé...et on a fini de s'inquiéter, de s'indigner, de s'offusquer.

Du manque de places, du manque de créneaux de consultations, des délais impossibles pour répondre aux urgences psychiatriques vitales.

Le monde est passé à autre chose.

Les regards se sont tournés ailleurs.

Le climat, l'inflation... 

Fini les préoccupations sur la santé mentale de la population...

Circulez y a rien à voir !

On a été assez naïfs , nous tous soignants, pour se dire qu'au creux de cette vague virale, qui a créé un séisme psychologique mondial, on arriverait enfin à réveiller le monde sur les besoins et la reconnaissance de cette spécialité médicale qu'est la psychiatrie.

Naïfs... optimistes...

On ne pourra pas nous enlever que l'espoir ne nous quitte pas... malgré les claques gouvernementales et les promesses non tenues qui se succèdent tous les 5 ans.

Peut-être aussi que les gens ne savent pas réellement ce que nous avons vécu pendant cette période si étrange, nous" les Psy"?

En tout cas pour tous les services d'hospitalisations complètes qui n'ont pas été sommés de fermer comme beaucoup de services d'extra.

En Mars 2020 , on a donc fermé les portes des services sur les hommes et les femmes qui y étaient hospitalisés.

On s'est retrouvés là, patients comme soignants, confinés entre quatre murs, avec des fenêtres qui ne s'ouvrent pas plus de 5 cm.

Les temps de sortie dans le parc autorisées seulement deux fois par jour : une le matin, une l'après midi. 

En roulement avec les autres services, afin que les différents résidents des étages ne se croisent pas.

On a vécu ça comme une sorte de cohabitation étrange dans un vaisseau, où le passager Alien viral pourrait s'introduire à tout moment, en s'installant clandestinement dans la sphère ORL de chacune et chacun d'entre nous.

On a flippé pour les plus âgés, les plus délirants, les moins coopérants aux consignes sanitaires.

Puis on a dû s'adapter à la clinique de ces personnes avec qui l'on vivait désormais en autarcie.

S'adapter à eux, à leur vision de ce monde irréel pour eux, car trop réel justement, trop brutal, trop violent.

S'adapter afin de ne pas imposer encore plus de restrictions de liberté que les soins sans consentement amènent déjà en masse, inévitablement.

Il a fallu jongler et sans cesse se réajuster, comme de fins équilibristes, pour maintenir tout le monde en sécurité sans tomber dans la maltraitance.

Que dire de ces distributions de gel hydro alcoolique...quand précisément on doit accompagner des personnes qui sont en sevrage alcoolique ?

Tous les jours à chaque contact avec un objet, leur balancer cette odeur de liqueur dans les narines... Comme une réactivation de l'addiction, au cas où ils auraient peut-être envisagé de pouvoir l'oublier.

Il a fallu en cacher certains aussi, car au pic de l'angoisse et du "craving", certains les buvaient.

On a dû proposer ces masques chirurgicaux périmés, que l'on gardait 12 heures, à des personnes pour qui l'extérieur n'était qu'une vaste mascarade.

Tous, ou presque, les refusaient, ou ne les mettaient pas plus de 5 minutes, s'en faisant un kleenex, une mentonnière ou un masque de nuit.

D'autres tout simplement ne pouvaient y croire...

Comme ce Monsieur, arrivé en hospitalisation à la demande d'un tiers en urgence...

Je revois son regard posé sur nous durant la période où il a nécessité une chambre sécurisée.

Il n'a cessé de nous répéter qu'il n'avait pas besoin de masque car: 

"c'était lui le COVID, donc il ne pouvait pas l'attraper, c'était lui même ! Et il allait arrêter tout ça d'ailleurs en sortant..."

Ce Monsieur avait précisément décompensé un trouble délirant suite à l'hospitalisation en réanimation de sa mère, atteinte d'une forme grave de COVID.

Réalité trop violente sûrement.

Être le COVID lui permettait peut être d'avoir un semblant d'action sur la terreur de perdre sa mère ?

Être le COVID, c'était pouvoir modifier le cours des choses et sauver sa mère s'il le désirait ?

On a aussi inversé les rôles, nous sommes devenus les "fous" que l'on ne croit pas, lorsqu'on expliquait à nos patients que dehors il n'y avait plus personne.

Que la ville était comme dans le film d'Éric et Ramsy " Seuls two" ,mais sans l'humour, ou la série " Walking dead" , mais sans les zombies.

Il a fallu le leur répéter encore et encore, tant ils ne nous croyaient pas.

Il a fallu que l'un d'entre eux fugue et revienne complètement paniqué, pour propager sa parole et son vécu apocalyptique aux dubitatifs.

Durant ces longs mois, fini le peu de convivialité qui subsistait encore à l'hôpital : plus de repas pris en commun au réfectoire pour les patients, plateau individuel en chambre, à dîner face à un mur...

Soliloquie pour seule compagnie.

Un peu plus de temps pour ruminer angoisses et passés.

Plus de chambre double pour discuter lors des insomnies.

Plus d'atelier thérapeutique ni autre médiation qui aurait pû être un vecteur de charge virale.

Pourtant eux, nos patients, ont résisté.

Il ont décidé de ne pas y croire.

Et à vrai dire on s'est demandé, à posteriori, si pour eux ce virus n'était pas comme le père Noël ou une légende urbaine : il n'y a que ceux qui y croient qui le voient.

Que ceux qui y croient qui le chopent. 

Ils ont continué de partager des clopes à trois, de faire tourner leurs bouteilles de coca en groupe, d'aller discuter ou manger dans les chambres de l'un ou de l'autre.

Ils ont voulut tout simplement garder le peu de chose qui fait qu'au milieu de toute catastrophe on reste humain, le lien.

Et nous, avec nos masques on tentait de rappeler la réalité... 

On se rappelle aussi des premiers " cas suspects" du tout début, où l'on ne savait pas à quoi s'attendre.

De cette patiente qui portait un diagnostic de bipolarité. Arrivée en phase maniaque à l'hôpital en soins sans consentement.

Rapidement son état clinique s'était empiré et avait nécessité un transfert en ambulance pour éliminer une suspicion de phlébite.

Nous voilà parties toutes les deux à l'arrière de cette ambulance, elle allongée et moi assise à côté d'elle.

Elle est logorrhéique évidemment, moi tentant de l'écouter malgré son débit accéléré, et elle se mettant à tousser si fort, elle a froid, elle grelotte, elle a mal à la tête et à l'abdomen. Parle de douleur thoracique... Elle n'a pas de masque, son état psychique ne lui permet pas de le garder en place...

Moi j'ai le mien, périmé, que je porte depuis environ 6h...

Je revois l'affolement dans les yeux des ambulanciers qui nous parlent maintenant à travers la cloison de plexi glasse qu'ils gardent close et qui se demandent comment décontaminer le véhicule.

Je n'oublierai pas les rires de cette patiente avec ce médecin qui prend le temps de réaliser son examen en répondant poliment à toutes ses blagues et ses coq à l'âne, avec une patience et une empathie non feintes.

Je n'oublierai pas non plus, le retour, l'angoisse dans les yeux de l'interne qui réalise son premier test PCR habillé en cosmonaute, les tremblements perceptibles de ses mains lorsqu'il s'apprête à réaliser le geste.

Je n'oublierai pas notre gaucherie, pour savoir par lequel des multiples sachets commencer pour déposer l' écouvillon au labo, dans quel sens est-ce le plus stérile?...tels deux enfants de petite section de maternelle devant un jeu d'assemblage.

Bouffées de stress, le cerveau paralysé par l'adrénaline.

Et puis l'attente des résultats... Pour elle qui a d'autres problèmes somatiques qui pourraient être des facteurs aggravants, et puis pour nous, car il va falloir rentrer chez nous... Et que faire si...?

Se doucher à la Javel ? 

Dormir sur le palier ?

La peur de contaminer les siens, qui eux, sont restés confinés comme indiqué et n'ont rien demandé...

Dans tout ça on se rappelle aussi les premières " livraisons" de sucreries et paniers garnis dans les services somatiques: urgences, réanimation, chirurgie, maternité etc...

Comme geste de soutien et de solidarité de la population.

Comme un grand merci et surtout un grand encouragement.

On se rappelle qu'en Psy, en salle de pause, on en riait ( un peu jaune) car chez nous aucune livraison... Aucun soutien...

On devait être nous aussi " non essentiels" il faut croire !

On a pris le parti de l'humour, car il traine souvent dans les couloirs de la psychiatrie, il sauve même des vies celui-là !

On s'est dit qu'on était sûrement cet élève du fond de la classe, près du radiateur, celui qui rêvasse et ne fait pas de bruit, celui que l'on prend pour le cancre.

On s'est dit qu'on était celui de la récré qui n'avait pas de goûter, ou alors celui qui regarde les copains manger leurs barres chocolatées alors que lui est devant sa Cracotte éventée.

Le soir à 20h, on applaudissait aux balcons, là aussi on s'est dit que ces applaudissements c'était peut- être pour les premiers rangs ? 

Car qui sait ce qu'on a fait de tous ces gens, qu'il a fallut protéger, rassurer, limiter, faire patienter, empêcher de craquer, tenter d'apaiser dans les moments les plus sombres avec nos visages amputés d'expression ?

Tout ça en essayant de conserver les contacts avec leurs familles.

Qui sait ce que ça a été de ré-ouvrir le nombre de lits, d'entrées, de reprendre contact, de découvrir l'ampleur du désastre, l'étendue des dégâts chez les plus jeunes comme les plus âgés ?

Qui sait ce que ça a été de se dire un an après, on ne va pas y arriver, on ne sera jamais assez nombreux pour répondre à toutes ces demandes de soins, cette détresse psychologique, cette urgence psychiatrique qui gronde, qui enfle comme une vague, un tsunami qui vient s'écraser aux portes des urgences ou même directement devant les services d'hospitalisations ?

Qui sait ce que c'est que de voir ces internes et médecins psychiatres de garde les weekends au bord des larmes, écrasés sous le poids des cas cliniques, des deuils qui n'ont pû être fait, de ces gens qui n'ont pû accompagner leurs proches, désemparés devant les tentatives de suicides d'enfants de plus en plus jeunes qui ne trouvent plus la porte du retour à la vie.

Nous avons toutes et tous été traumatisés par les conséquences désastreuses de cette épidémie virale mondiale.

Mais qui se soucie encore de la pandémie psychique qui continue chaque jour de contaminer toutes les couches sociales, de tuer à petit feu tous les âges de la vie, de s'immiscer dans les peaux et les âmes, qui se transmet de génération en génération...?

Qui s'en soucie encore, à part celles et ceux qui la vivent au quotidien, d'un côté ou de l'autre de la fine limite de textile poreux que constitue :

 la blouse blanche des soignants, le badge d'assistants sociaux, le blouson d'éducateur spécialisé ou de référent ASE, le gilet de maraudeur de rue, l'uniforme bleu foncé des surveillants pénitentiaires...?

Car toutes ces souffrances psychiques sont là, prennent racine là, dans les manques de postes, de moyens humains et financiers, les manques de lits, de places :

 à l'ASE, à l'hôpital psy, en foyer d'hébergement d'urgence, en prison, en CHRS, en appartement thérapeutique, dans la rue...

Cette souffrance psychique est comme la vitrine du monde que certains veulent reléguer à l'arrière boutique.

Qu'on ne la voit pas surtout, cachons la, ignorons la, et peut être qu'en fermant les yeux très fort elle disparaîtra...

Nous seuls, soignants , travailleurs sociaux, familles, accompagnateurs de ces vies amochées, sommes les témoins médusés, mais encore mobilisés, de cet effroyable et grandissant naufrage humain...

Nous seuls pouvons crier encore que tout ça ne s'effacera pas, qu'il n'y a pas de vaccin pour ça, pas de contenant assez grand.

Alors que reste-t-il après le COVID dans les prérogatives de nos gouvernements ?

Rien...

Des oubliés...

Les Aboyeurs de Voix 

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