Le 16 novembre 2019, un nouveau mal émerge officiellement dans la province de Hubei, à Wuhan. Le COVID 19 est né. Le 11 mars 2020, l’épidémie est déclarée pandémie. La séquence génétique de ce virus est similaire à celle du SRAS apparu également en Chine en 2002 à Guangdong. Mais ce dernier est une zoonose. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le COVID 19 ? Il semble bien en effet être à 96% identique au fameux RATG13, le coronavirus de la chauve-souris fer-à-cheval découvert en 2013, dans une grotte minière du Yunnan, au sud de la Chine. La proximité est cependant encore plus grande (97%) avec le BANAL 52 retrouvé récemment au Laos. Comment s’y prend notre COVID 19 pour infecter les humains ? Le virus pénètre par les voies aériennes. Il utilise la région dite RGBD de sa protéine Spike, pour se fixer au récepteur ACE2 exprimé à la surface de nos cellules respiratoires. Dans un communiqué de presse du 5 mai 2022, l’OMS estime le nombre total de décès réels attribués à la pandémie en deux ans à 14, 9 millions.
Si c’est une zoonose, où est l’animal intermédiaire ?
On a longtemps pensé qu’il s’agissait d’un animal du marché de Wuhan, ville située au centre de la Chine. Une telle hypothèse soulevait des objections sérieuses. Comment, en effet, des chauves-souris du Yunnan auraient-elles pu entrer en contact avec des animaux capturés dans la région de Wuhan ? Il y a une distance géographique de 2000 kilomètres qui sépare ces deux zones. Le coupable est pourtant tout trouvé, il s’agit du pangolin. La revue Nature relaye immédiatement une information donnée le 7 février 2020 par l’université d’agronomie de Chine du Sud. Mais à la lecture même des articles de l’époque, on se rend compte que la proximité génétique avec le Sars-Cov-2 ne concerne que la fameuse région RGBD. Le reste du génome viral du pangolin est trop différent (90%)[1]. Pendant toute l’année 2020 cette hypothèse va quand même circuler sans critique sérieuse dans les médias du monde entier. Plus de 80000 animaux des environs de Wuhan ont été collectés depuis deux ans, sans que l’on parvienne à trouver le fameux animal intermédiaire.
Où est-il ? Ce qui est certain, en tout cas, c’est que de nombreux scientifiques dans le monde ont tranché dès le début en faveur de l’hypothèse d’une zoonose, fustigeant de manière véhémente ceux qui leur demandaient simplement sur quels faits ils s’appuyaient pour la présenter. C’est ainsi que dans un article paru au Lancet le 19 février 2020, Charles Calisher et ses amis (parmi lesquels on peut compter Peter Daszak) signent un appel contre les théories du complot suggérant que le Covid-19 n’est pas d’origine naturelle. Le tour rhétorique est joué, et il n’a rien à voir avec la science : l’origine naturelle ne s’appuie sur aucun fait attesté, mais ceux qui demandent qu’on s’appuie sur des faits pour juger sont tous des complotistes.
Le site de clivage à la furine
Revenons à RATG 13 et BANAL 52. Comme déjà souligné, ils ont été découverts bien loin du marché de Wuhan, ville qui accueille par ailleurs plusieurs laboratoires spécialisés dans la recherche sur les coronavirus. Mais malgré leur proximité génétique avec le virus humain, ils ne possèdent pas de site de clivage à la furine. Ce point aurait dû sauter aux yeux de la virologue Zhengli Shi, quand elle a comparé le génome du SARS COV 2 avec celui de RATG13 qui avait été séquencé dès 2018. Ce site de clivage permet à la clé virale d’entrer très facilement dans les cellules humaines. Il existe dans d’autres familles de virus, mais pas chez les coronas de lignage B. Comment est-il arrivé là ? La curiosité intellectuelle d’un chercheur dévoué à la science devrait bien évidemment se focaliser sur cette question.
Résumons : d’un côté un domaine RGBD de Spike proche du pangolin mais pas le reste, de l’autre un site de clivage à la furine qu’on ne retrouve pas chez la chauve-souris. Notons par ailleurs que RGBD est particulièrement bien adapté à ACE2 chez l’humain. Face à un tel faisceau d’indices, pourquoi ne pas former une Commission d’enquête vouée à une investigation sérieuse sur les origines du COVID ?
Une Commission d’enquête ?
Il n’y aura pas de Commission d’enquête sérieuse[2], et les indices politiques viennent s’ajouter aux indices scientifiques pour montrer qu’un problème épais est bien là, un problème que nous allons essayer modestement de qualifier dans cet article, sans prétendre lui donner une solution.
En 2018 Peter Daszak rédige le projet « Defuse » en collaboration avec l’Institut de virologie de Wuhan. L’objectif était d’étudier « le risque d’émergence des coronavirus chez la chauve-souris ». Il était, précisément, explicitement question d’insérer le site de clivage à la furine dans des coronavirus pour augmenter leur pathogénicité et ce afin d’étudier leur comportement dans des souris transgénique exprimant l’ACE2 humain. Ce projet trop sulfureux sera refusé par le Darpa (le bras scientifique de l’armée américaine). Mais l’ONG Ecohealth Alliance présidée par Daszak va recevoir un financement du NIH, qui elle collabore avec Wuhan[3]. Depuis 2013 des chimères de virus Sars-Cov génétiquement modifiés étaient déjà rendues capables d’infecter des souris humanisées[4].
Enfin, le même Peter Daszak va aussi faire partie de l’équipe scientifique chargée par l’OMS en janvier 2021 d’enquêter sur les origines du COVID en Chine. Notons que la Chine a refusé catégoriquement qu’on puisse avoir accès à la banque de données dont disposait les laboratoires de Wuhan sur les génomes des coronavirus.
Quel problème ?
Les normes de recherche d’un philosophe ne sont pas les mêmes que celles d’un savant expérimentaliste. L’objectif de ce dernier est d’explorer toutes les hypothèses, et de privilégier celles qui sont en relations avec des faits expérimentaux susceptibles de les falsifier. L’objectif d’un philosophe en l’espèce serait plutôt de mettre en avant l’exigence d’un contrôle démocratique du développement techno-scientifique quand des problèmes sérieux apparaissent, et qu’ils ne sont pas véritablement pris en charge par la communauté scientifique elle-même.
Un faisceau d’indices convergents montre que la question des origines du Covid reste une énigme scientifique aujourd’hui. Un faisceau d’indices convergents montre que l’exigence de prendre au sérieux cette question a été étouffée politiquement depuis deux ans en de multiples lieux et de multiples manières. Il est temps que ça cesse.
Il faut demander d’abord à des instances politiques comme la Commission européenne de faire pression sur la Chine, mais aussi de réactiver et de financer de façon substantielle les recherches sur les origines du Covid. Il faut également ouvrir un débat sur les expériences de gain de fonction, qui permettent de fabriquer artificiellement des virus pathogènes, sans contrôle absolu des accidents susceptibles de se produire.
Paul-Antoine Miquel
Université de Toulouse 2
[1] The genetic structure of SARS-CoV-2 does not rule out a laboratory origin SARS-COV-2 chimeric structure and furin cleavage site might be the result of genetic manipulation, Rossana Segreto, Yuri Deigin, Bioessays, First published: 17 November 2020. DOI https://doi.org/10.1002/bies.202000240.
[2] Journal Le Monde, Tribune du 4 mars 2021 : « Nous souhaitons une enquête sur les origines de la pandémie de Covid-19 approfondie et crédible »/
[3] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/01/14/que-disent-les-nouveaux-courriels-rendus-publics-sur-l-origine-du-sarc-cov-2_6109472_4355770.html.
[4] Ge, XY., Li, JL., Yang, XL. et al. Isolation and characterization of a bat SARS-like coronavirus that uses the ACE2 receptor. Nature 503, 535–538 (2013). https://doi.org/10.1038/nature12711
Paul-Antoine Miquel a également signé ces deux lettres en anglais : la première appelle la commission européenne à avoir un rôle décisif dans l'enquête sur les origines du COVID-19 ; la deuxième est une déclaration signée par des scientifiques du monde entier et pour un moratoire global sur les expérimentations dites 'gains de fonctions'.
Lettre à la commission Européenne Déclaration de Hamburg