Convivialisme et égalité
par Marc Humbert
Marc Humbert expose ici ce qu’il a répondu quand on lui a demandé pourquoi dans les Manifestes convivialiustes n’était pas énoncé un principe d’égalité.
La palette de principes approuvée par les signataires des manifestes convivialistes constitue l’affirmation d’une posture humaniste qu’on peut qualifier d’humanisme vert, affirmé non violent. Pourquoi, m’a-t-il été demandé, alors que nous nous disons tous républicains, ne nous sommes-nous pas référés au triptyque « Liberté Egalité Fraternité » et au principe démocratique ?
Bien que parfois affirmé comme philosophie politique, le convivialisme énonce des principes qui sont en amont d’une telle philosophie et qui définissent très simplement une posture qui est une posture humaniste. Le principe de commune humanité rejette toute discrimination, celui de commune socialité rejette l’individualisme au bénéfice de l’association et, ensemble, ces deux principes évoquent un monde de fraternité humaine. Le principe de commune naturalité, ajouté dans le second manifeste, insiste sur notre inclusion dans, et notre souci de, la nature, affirmant ainsi la dimension écologique ou verte de notre humanisme. Un humanisme qui, avec le principe de légitime individuation, tient à la perspective d’une égale liberté. Ce principe suggère qu’il est indispensable que chacun ait la même liberté. Mais de fait ce n’est pas là expliciter un principe d’égalité entre tous. Enfin, le principe d’opposition maîtrisée, reformulé comme principe d’opposition créatrice dans le second manifeste, constitue un principe de non recours à la violence en cas de conflit– écartant même la violence légitime wéberienne ? – d’inspiration maussienne. Il n’explicite pas l’idéal démocratique qui est bien le nôtre. L’ensemble, complété par l’impératif de contrôle de l’hubris, apporte une sorte de principe de modération. Du modérantisme certainement radical.
Les principes revendiqués définissent une posture humaniste, écolo-maussienne, afin de préciser les fondamentaux d’où nous allons envisager de construire une réponse aux périls qui menacent l’humanité. Dans leur quatrième de couverture respectif, le premier manifeste souligne qu’il est urgent de penser un autre monde « possible » et le second que rien n’est plus urgent que d’élaborer une pensée et une intelligibilité du monde alternatives au néolibéralisme. Les principes qu’ils énoncent constituent la posture, la base à partir desquelles élaborer cette pensée.
Le Manifeste offre non seulement ces principes mais aussi une ébauche d’élaboration de cette pensée, alternative à la pensée dominante, qui peut servir à définir les caractéristiques d’un autre monde : comment il pourrait fonctionner, comment, avec quelles mesures à prendre, on peut quitter celui dans lequel nous sommes et transiter vers ce monde meilleur.
Prenons la question du principe démocratique. S’il n’est pas repris comme tel parmi les principes convivialistes, ceux-ci constituent cependant la base nécessaire pour discuter ce que peut être un principe démocratique. Le chapitre V du second manifeste entreprend l’indispensable discussion. Depuis la deuxième guerre mondiale, il semblait que le principe démocratique triomphait peu à peu partout sur la planète, mais depuis quelque temps, la tendance parait s’inverser alors que même dans les sociétés dites démocratiques on s’interroge de savoir si elles le sont vraiment. De quelle démocratie parle-t-on quand on évoque le principe démocratique : de la démocratie représentative, avec des partis politiques ? De la démocratie participative ? Qui participe, comment ? Quel type de démocratie face aux dictatures, aux démocratures, au terrorisme, à l’invasion du numérique ? L’idée des convivialistes est d’engager de manière urgente la discussion en particulier sur cette question centrale de la démocratie en partant d’une posture commune qui encadre ce qui est envisageable et ce qui ne l’est pas, en respectant cette posture d’humanisme vert, affirmé non violent.
Au cœur de ce principe démocratique se trouve bien sûr la question de l’égalité. L’égalité pour le moins entre tous les êtres vivants, sur cette planète. Entre tous, entre femmes et hommes. Et pas seulement au sein de notre petit groupe ici ou là. Egalité de droits mais tout autant égalités économiques et sociales. Le néolibéralisme auquel s’oppose le second Manifeste par son sous-titre caractérise ce qu’il appelle « des inégalités vertigineuses » qu’il faut résorber. Le chapitre VI fait quelques propositions pour avancer dans cette direction. Autour de la fiscalité, du revenu universel, de la postcroissance, de la démarchandisation, de la déglobalisation.
Tout cela pour imaginer comment pourrait fonctionner une société conviviale universalisable…et des mesures de transition adéquates. Pour sûr qu’il faut s’y atteler au plus vite car il y a urgence. D’ores et déjà d’innombrables expérimentations sont en cours, certaines depuis fort longtemps, menées avec une posture convivialiste – souvent implicite- . Elles doivent être encouragées à l’expliciter, à persévérer, à essaimer et se multiplier. Peut-être que passé un certain seuil, une masse critique, un phénomène de percolation pourrait déclencher à partir de ces expérimentations, un basculement du monde vers la convivialité. On n'en est peut-être pas loin !