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Billet de blog 28 mars 2022

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Un quinquennat plus pragmatique que rassembleur et visionnaire

E. Macron s’est montré incapable de dépasser les belles formules de son livre « Révolution », et de mobiliser les citoyens autour de priorités partagées. Après un mandat au manque de vision stratégique patent, marqué par la verticalité d’un pouvoir mis en scène par un acteur doué pour multiplier les accommodements pragmatiques, nous aurions besoin d’un débat électoral à la hauteur des défis à relever ensemble. Par Jean-Claude Devèze. 

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Tous nos présidents de la République (et chefs de gouvernement lors des alternances) ont eu à affronter des épreuves, mais aussi des héritages de leurs prédécesseurs plus ou moins lourds à porter. Pour Emmanuel Macron, il pourra lui être reproché en premier lieu la conception jupitérienne de sa fonction qui lui a fait commettre de nombreuses erreurs en s’impliquant de façon plus ou moins pertinente dans de multiples dossiers ; il a semblé en particulier être débordé au départ par la révolte des « Gilets jaunes ». En revanche, il fait preuve d’un surplomb « gaullien » pour affronter la guerre en Ukraine, ce qui, grâce à sa vision européenne affichée depuis septembre 2017, contribue sans doute à ce que notre pays et l’UE puissent affronter ensemble cette épreuve tragique.

Elu grâce à un alignement favorable des planètes, il a gouverné de façon pragmatique, ce qui conduit à un bilan contrasté mais plutôt négatif dans de trop nombreux domaines. Ceci est en partie dû à un manque d’expérience de terrain, mais aussi à une vision d’un devenir commun trop marquée par sa conception néolibérale de l’économie pour s’appuyer sur un projet culturel et politique à la hauteur des défis.

Consolider le socle de la nation, à la fois sur le plan éducatif, culturel et républicain, est indispensable pour assurer l’avenir de notre pays. Ceci nécessite en parallèle de trouver de nouveaux équilibres permettant de dynamiser, d’adapter et d’humaniser les politiques économiques, sociales et écologiques. Réussir l’implication des citoyens et des acteurs concernés dans les choix à effectuer dans une époque pleine d’imprévus requiert de promouvoir une vie démocratique de qualité en repensant les liens entre démocratie participative et démocratie représentative et en faisant évoluer nos institutions en conséquence. Enfin, la France doit se positionner en Europe et dans le monde grâce à des relations avec l’extérieur assumées par et avec les citoyens.

Emmanuel Macron ne s'est pas montré capable de rénover notre appareil éducatif autour d’un projet mobilisateur en dialoguant avec le monde enseignant et les parents. Le défi est de générer une société éducative et apprenante capable de surmonter les rigidités, les corporatismes et de lutter contre les inégalités initiales entre élèves. Ceci pose en particulier la question de la transmission des héritages culturels familiaux et territoriaux, problème qui n’a pas été résolu faute de politiques publiques confortant le revenu des familles, leur logement, la qualité des services publics, la mixité sociale, etc. Il faut regretter que, jusqu’à maintenant, la capacité à faire de la diversité de nos cultures une richesse soit entravée par les replis identitaires comme par une volonté politique insuffisante. De plus, le quinquennat n’a abordé qu’à la marge, tardivement et maladroitement, la façon de conforter notre socle républicain, et ce surtout sous l’angle de la laïcité et de la place de l’islam en France sans que le problème du séparatisme islamiste soir réglé.

Le programme présidentiel était plus centré dès le départ sur les performances économiques (à partir de la croyance dans le réinvestissement vertueux des réductions d’impôts accordées aux plus riches, dont la suppression de l’ISF), que sur le renforcement du lien social et sur la protection et l’amélioration de l’environnement. Ce quinquennat n’a pas redonné le goût pour le travail salarié, ni revalorisé les salaires et les conditions de travail des « invisibles » alors que les plus riches continuaient à s’enrichir, ni amélioré notre compétitivité, ni réformé notre fiscalité pour la rendre plus juste, plus simple et plus transparente, ni diminué notre endettement. Il faut reconnaître à Emmanuel Macron, avec le « quoi qu’il en coûte », un changement de posture courageux pour faire face aux conséquences sociales et économiques de la pandémie du Covid 19, au point que nombre d’observateurs ont cru voir réapparaître un Etat social. Cependant, en ce domaine, la perte de sens du travail dans de nombreux secteurs, y compris dans ceux de la fonction publique (santé, police, éducation, justice, etc.) reste très préoccupante ; notre Etat technocratique, centralisé, peu à l’écoute du terrain, incapable d’anticiper les problèmes et de réduire les fractures sociales et territoriales, etc., n’a ni amélioré la condition des salariés, ni promu le lien social et intergénérationnel. Quant à l’écologie, Emmanuel Macron a été meilleur dans les discours que dans la mise en œuvre d’une politique susceptible de mobiliser les citoyens pour obtenir des résultats probants. De plus, l’absence d’une planification à la hauteur des enjeux n’a pas permis une articulation efficiente entre les politiques économiques, sociales et écologiques.

Le domaine le plus décevant a sans doute été celui de l’amélioration de la qualité de notre vie démocratique. Le président, sans expérience d’élu et sans le relais d’un vrai parti implanté localement, était très mal préparé à comprendre les attentes des citoyens et l’importance des collectivités locales. La confiance en notre système démocratique et en nos élus s’est plutôt détériorée au cours du quinquennat ; les résultats des premières expérimentations d’implication des citoyens (Grand débat, convention citoyenne pour le climat) n’ont pas été à la hauteur des ambitions initiales. Face au défi de régénérer notre démocratie qui se trouve confrontée aux régimes illibéraux et surtout aux impérialismes dictatoriaux, l’enjeu est de promouvoir le civisme comme l’implication et la coproduction citoyennes pour redonner confiance en la politique.

La France doit aussi se positionner en Europe et dans le monde dans le cadre de relations avec l’extérieur assumées par et avec les citoyens. C’est sans doute dans ce domaine qu’Emmanuel Macron a été le plus visionnaire, en particulier en matière de politique européenne, ce qui s’est concrétisé en 2019 aux élections pour le parlement européen par les seuls résultats électoraux corrects de ses partisans. Par contre, jusqu’à la guerre en Ukraine, les affaires étrangères (par exemple au Sahel, avec l’Algérie, contre America first) sont restées très étrangères à la majorité des Français. Il reste un énorme travail à faire pour que les valeurs universelles de liberté et de démocratie, qui constituent l’âme de l’Europe du troisième millénaire, soient un ferment d’une civilisation mondiale.

Emmanuel Macron s’est montré incapable de dépasser les belles formules de son livre Révolution et de ses discours. N’ayant jamais partagé un diagnostic complet de notre situation et de celle du monde, il a été incapable, avec son gouvernement et nos institutions, d’aborder de front : i) l’insécurité culturelle d’une « société désorientée » où dominent encore les valeurs du consumérisme, du paraître, de l’hédonisme ; ii) notre capacité à vivre ensemble en faisant de nos différences culturelles une richesse, en prenant soin des plus vulnérables, en donnant aux jeunes confiance dans l’avenir et en assurant à chacun sécurité et justice ; iii) le défi démographique de nos sociétés occidentales vieillissantes, confrontées aux augmentations de populations dans des pays proches, incapables de leur assurer un avenir ; iv) la régulation du capitalisme financier, l’éradication de la corruption, la priorité à accorder aux investissements indispensables pour tous, y compris par rapport aux armements ; v) la mobilisation d’une conscience mondiale capable de faire émerger une intelligence collective pour surmonter les problématiques alimentaires, énergétiques, climatiques,… ; vi) la stratégie de sécurité intérieure et extérieure face aux multiples menaces ; vii) le défi géopolitique pour les pays démocratiques défendant les droits de l’homme que constituent les régimes autoritaires, voire les nouveaux impérialismes qui peuvent devenir barbares comme la Russie aujourd’hui, les Etats pétroliers confondant pouvoir politique et religieux, les ploutocraties, les kleptocraties confisquant le pouvoir au profit d’un clan, les Etats faillis.

Après un mandat marqué par la verticalité d’un pouvoir mis en scène par un acteur doué pour multiplier les accommodements pragmatiques, nous aurions besoin d’un débat électoral à la hauteur des défis à relever ensemble. Encore faudrait-il que, dans une campagne déjà mal partie avant même l’agression russe en Ukraine, que les partis, les responsables politiques et tous les journalistes passent de la logique politicienne, de la dictature des sondages et du brouhaha médiatique à un débat de qualité permettant aux citoyens de faire leurs choix en connaissance de cause. L’histoire nous dira si Emmanuel Macron et les Français ont été à la hauteur des enjeux d’une période marquée par de profonds changements dans le monde. A première vue, la fin de son mandat, grâce à l’émergence fin février 2022 d’une Europe puissance face à la dictature impériale et barbare de la Russie, permet de renforcer la stature présidentielle de notre jeune président. Par contre, il n’apparaît ni à l’écoute, ni proche des Français, ce qui rendra difficile, s’il est réélu, sa confrontation avec les multiples tensions sociales qui s’annoncent à un moment où la guerre en Ukraine commence à affecter notre pouvoir d’achat.

Le manque de vision stratégique est patent à l’issue d’un quinquennat plus marqué par la multiplication des mesures prises que par la mobilisation des citoyens autour de priorités partagées pour affronter les défis de notre société et du monde.

Jean-Claude Devèze, auteur de 12 enjeux pour un devenir commun (Chronique sociale, 2022)

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