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Billet de blog 28 avril 2022

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Ne pas laisser s'installer des déserts ruraux

Le débat convivialiste, ces derniers temps, ne s'est guère étendu à la dimension interrégionale de la convivialité. Encore moins dans son rapport avec les chemins de fer....

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Ne pas laisser s'installer des déserts ruraux

par Augustin Berque

Le débat convivialiste, ces derniers temps, ne s'est guère étendu à la dimension interrégionale de la convivialité. Encore moins dans son rapport avec les chemins de fer. Or voilà qu'un curieux petit livre de Jean-François Sabouret nous la fait découvrir : L'Occident-Express. Plaidoyer pour un Shinkansen français contre le désert rural qui nous guette,  Neuilly, Atlande, 2021. L'auteur, fin connaisseur du Japon, y a longtemps représenté le CNRS, ce qui l'a conduit ensuite à créer le réseau Asie. Pour qui ne le saurait pas, shinkansen 新幹線, "nouvelle grande ligne", est le nom qui fut donné au premier TGV au monde, entre Tokyo et Osaka, mis en service pour les Jeux Olympiques de 1964 à Tokyo. Avant cela, le train le plus rapide était le Capitole, qui pouvait dépasser 200 kmh sur la ligne Paris-Toulouse passant par le centre de la France : Orléans, Vierzon, Châteauroux, la Souterraine,  Limoges, Brive et Montauban. En somme, des régions typiques de ce qu'on appelait naguère "cambrousse", et aujourd'hui "désert" (médical, etc.), et qui le sont de plus en plus dans ce que le géographe Maurice Le Lannou (1906-1992) a qualifié de "déménagement du territoire" et de "fin de l'homme habitant". Berrichon de naissance, Sabouret s'insurge contre ce délaissement de ce qu'il  appelle notre "Far Center" (et pourquoi pas "French Outback", suggérerais-je en plus australien). Il cite à l'inverse l'exemple du Japon, qui tenacement, sur plusieurs décennies, s'est innervé de lignes à grande vitesse qui, en 2030, relieront Kagoshima (au sud de Kyûshû) à Sapporo (à Hokkaidô). Vu le relief du Japon et sa disposition en arc insulaire, tout cela au prix de travaux gigantesques, tel le tunnel Seikan, le plus profond du monde, sous le détroit de Tsugaru, ou le fait que les 3/4 du tronçon Hakodate-Sapporo seront sous tunnel. Pourquoi de tels efforts? Parce qu'il est avéré que les lignes à grande vitesse vivifient les territoires qu'elles traversent.

  La France, elle, a choisi de laisser dépérir son Outback.  Le Capitole n'existe plus, alors que la ligne Paris-Toulouse court principalement en plaine et qu'il aurait été facile d'en faire une ligne à grande vitesse bénéficiant à toutes les villes que l'on a vues plus haut, ainsi qu'à leurs régions respectives, et d'en faire une moëlle épinière ouest-européenne (un "Occident-Express"), que Sabouret prolonge d'Amsterdam à Marrakech...

    Mais en quoi cela concerne-t-il le convivialisme? En ce que celui-ci suppose que l'être humain n'est pas un électron libre, mais un être social, et que cette socialité n'est pas dissociable d'un milieu éco-techno-symbolique. Être convivial, c'est de ce fait même être territorial ; et négliger cette territorialité, laisser  la majeure partie de notre territoire dégénérer en Outback, cela ne peut cadrer avec le convivialisme. C'est ignorer notre humanité même.

Une remarque de François Dubet

Petit détail qui fâche. Aujourd'hui Bordeaux est à 2 heures et quelques minutes de Paris et toujours à 600km. Toulouse est à deux heures de Bordeaux et toujours à 200km. Mais le prolongement du TGV vers Toulouse et vers l'Espagne se heurte à l'opposition radicale des écologistes et des Nimby. 

Le convivialisme n'a donc pas fini de se heurter à quelques contradictions robustes. 

Bon courage à tous

François Dubet

Une réponse

Ce n'est pas un "petit détail", c'est l'éternelle (ou quasi) contradiction entre l'intérêt général et l'intérêt particulier, l'aménagement et le ménagement du territoire, bref c'est la plus-que-médiévale querelle des universaux, dont la résolution demande du doigté, ou ce que Pascal appelait "esprit de finesse".  Autrement dit, cela demande de la convivialité...

La question en l'occurrence, toutefois, ce n'est pas tant de relier Paris à Toulouse en tant de minutes, que de ne pas laisser crever notre Outback.

AB

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