Les annonces formulées par François Bayrou ce 15 juillet sur le projet de budget 2026 suscitent de nombreuses réactions. Le Premier ministre ne remet pas en cause la politique budgétaire et fiscale menée depuis de trop longues années, alors qu’elle a pourtant largement montré son inefficacité. Au contraire, il promet de la renforcer.
Comme nous l’analysons depuis des années, la politique de l’offre est inefficace pour soutenir l’activité. Dans le même temps, les inégalités s’accroissent et le pouvoir d’achat tiré des revenus du travail se réduit. Mais F. Bayrou nous promet de poursuivre dans cette voie.
Le contenu de l’intervention télévisuelle du ministre de l’Économie et des Finances, qui a immédiatement suivi les annonces du Premier ministre, peut-être moins commenté, est particulièrement atterrant lui aussi.
Ainsi, Éric Lombard a-t-il affirmé, notamment en conclusion de son interview lors du journal de France 2 le 15 juillet à 20h (voir ici à 6’43) que « lutter contre le déficit est bon pour la croissance et non pas mauvais ».
Cette affirmation, sans aucun fondement, est même contraire à l’évidence. La politique budgétaire annoncée ne peut en effet que restreindre l’activité économique.
Ainsi, mécaniquement, par la baisse des dépenses publiques, l’activité économique va se trouver réduite. Réduite d’un montant plus important encore que la simple réduction des dépenses publiques. Ce paradoxe est désigné par les économistes sous le terme d’effet multiplicateur : en diminuant les dépenses publiques, les revenus des fonctionnaires ou des fournisseurs de l’État se restreignent. Et ainsi, par voie de conséquence, les dépenses de ces acteurs de l’économie se réduisent à leur tour, diminuant les revenus d’autres acteurs économiques. Et cela se reproduit à nouveau, en cascade, affectant d’autres acteurs de l’économie. Dès lors, l’activité se contracte encore plus.
L’histoire récente devrait alerter E. Lombard. L’effet multiplicateur avait par exemple été sous-estimé lorsqu’on a mis en œuvre des plans d’austérité en Grèce dès 2010, provoquant une destruction de pans entiers de l’économie plus importante que ce qui avait été envisagé et réduisant l’activité dans l’ensemble de la zone euro, comme l’ont reconnu a posteriori les promoteurs de cette politique, en premier lieu desquels Olivier Blanchard. Ainsi, dans un mea culpa publié sous forme d’austère document de travail du FMI, il indiquait que l’impact des coupes budgétaires sur l’activité et l’emploi avait été sous-estimé. Les effets furent durables et dramatiques.
Il existe pourtant un moyen de réduire le déficit en limitant l’effet récessif sur l’activité : viser les acteurs de l’économie qui épargnent le plus (et qui donc consomment la plus faible fraction de leurs revenus), c’est-à-dire les plus fortunés. Pour cela, il est donc préférable de favoriser les hausses d’impôt des plus riches à des baisses de la dépense publique. Malheureusement, les annonces gouvernementales sont à l’opposé de ce principe.
La politique annoncée, mise en œuvre, ne pourra qu’être récessive. Et les déficits, estimés en pourcentage du PIB, seront mécaniquement plus élevés qu’annoncés, provoquant de nouveaux épisodes de « dérapage du déficit ». L’activité et les recettes fiscales se trouveront réduites sous l’effet des mesures gouvernementales. Et si l’on reste dans la même logique, cela appellera de nouvelles cures d’austérité, toutes aussi inefficaces. C’est une vis sans fin… déjà serrée par les prédécesseurs de l’actuel ministre de l’Économie, qui feignent systématiquement de découvrir à l’automne que les données macroéconomiques sont décevantes par rapport aux projections effectuées l’année précédente lors de l’adoption du budget.
Au-delà de l’argument selon lequel l’austérité budgétaire favoriserait la croissance, au moins un autre raisonnement proposé par E. Lombard apparaît ahurissant : le ministre tente d’expliquer que la réduction du déficit visée par le gouvernement provoquerait une baisse du coût du déficit. Cela pourrait apparaître comme un raisonnement de bon sens : on comprend que le taux d’intérêt supporté par l’État quand il s’endette diminuerait par la politique de réduction du déficit, les marchés saluant l’action du gouvernement. Or, ce taux n’est pas la conséquence d’un mécanisme de marché dans lequel offre et demande s’affronteraient librement, où « les marchés » décident en fonction des politiques menées.
Les taux d’intérêt sont largement la conséquence de la politique monétaire de la Banque centrale. Dans la zone Euro, et pour la France en particulier, si le coût des déficits a cru depuis 2022, c’est parce que la politique de lutte contre l’inflation de la BCE, via la hausse des taux d’intérêt directeurs, a été particulièrement virulente. Si la Banque centrale le décidait, elle pourrait revoir ses objectifs guidant sa politique de taux d’intérêt et ainsi assurer un financement à coût faible des déficits publics.
En fait, tout cela confirme qu’il est plus que temps de revoir l’ensemble de la politique macroéconomique en France et en Europe, comme nous le réclamons depuis que l’association des Économistes atterrés existe. La Banque centrale doit assumer qu’elle agit et agira comme prêteur en dernier ressort des gouvernements pour maintenir le coût de la dette publique à des niveaux faibles parce que la situation actuelle l’impose, que l’on pense au contexte géopolitique ou écologique.
Finalement, et c’est peut-être le plus affligeant dans les propos d’Éric Lombard : comment peut-on encore, en 2025, mettre en avant la recherche de la croissance pour justifier une politique d’austérité ? Comment peut-on invoquer la croissance économique comme objectif alors que les besoins en termes d’investissement pour la bifurcation écologique sont massifs, que les besoins de services publics sont inassouvis ou que le sous-emploi est important ? Comment ne peut-on pas admettre que le modèle économique forgé depuis les années 1980 est à bout de souffle, d’autant plus dans un contexte géopolitique chamboulé ?
Il est atterrant de voir que nos responsables politiques répètent ad nauseam les mêmes discours depuis des décennies et cherchent à mettre en œuvre les mêmes politiques inefficaces.