Aujourd’hui interdites, les thérapies de conversion contre les personnes trans, qui présumaient le caractère pathologique de leur transidentité, ont été la norme dans le milieu médical français pendant des décennies, y compris chez les plus jeunes. Dès les années 1950, persuadés que la transidentité était le signe d’une maladie grave qu’il fallait impérativement guérir, des médecins publiaient en détail le protocole par lequel une personne trans était diagnostiquée, internée, électrocutée, plongée dans le coma, lobotomisée, jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Dans les années 1980 jusque dans les années 2000, les enfants ayant des « troubles graves de l’identité sexuée » étaient soumis par des psychiatres à des « traitements intensifs » « psychothérapeutiques » ou « analytiques ». Leurs parents étaient également soumis à ces traitements, jusqu’à ce qu’ils acquièrent la conviction d’être responsables des prétendus troubles de leur enfant, et en développent une « honte ».
En 2013, l’ouverture des premières consultations pour jeunes trans dans les hôpitaux parisiens mit fin à l’hégémonie des pratiques médicales visant à réprimer les transitions de genre. Leurs soignants conçoivent les transidentités comme une variation normale du développement humain, et les personnes trans comme des sujets dignes de droits, dont celui d’accéder au meilleur état de santé possible.
Alors que près des trois quarts des personnes trans connaissaient déjà leur transidentité avant leurs 18 ans, un accompagnement bienveillant de leur demande, au plus proche de l’âge de leur annonce trans, permet désormais de prévenir les risques sur la santé mentale. Les harcèlements, intimidations, humiliations, menaces, et violences constituent en effet le vécu de quatre jeunes trans sur dix, conduisant à des taux de décrochage scolaire touchant un enfant sur trois, et des taux de tentatives de suicide concernant un enfant sur quatre.
Les thérapies de conversion contre les jeunes trans n’ont toutefois pas cessé, en dépit de leur interdiction. Certains en font la promotion active, en toute impunité, sur internet, y déployant des formations imposant aux enfants et adolescents trans « l’acceptation de leur sexe biologique comme traitement de première intention ». Leurs défenseurs, en refusant catégoriquement de reconnaître aux enfants et adolescents trans la réalité de leur transidentité, participent à un effacement de leur identité, de leur subjectivité, et s’arrogent un pouvoir de dire à leur place qui ils sont.
Ces activistes anti-trans transforment ainsi des sujets en devenir en objets d’influences. Selon eux, les enfants et adolescents « qui s’identifient trans » seraient particulièrement sous l’influence des « réseaux sociaux » et « d’influenceurs », comme dans le temps (ou actuellement dans d’autres lieux), d’autres activistes du même genre incriminaient le rôle de la télévision et des chanteurs androgynes dans la « promotion » de l’homosexualité.
Aux adolescents qui ont le courage, parfois après des années de vie au placard, d’annoncer leur transidentité à leurs parents, ils convainquent ces derniers que celle-ci est une « mode », et les encourage à emmener leurs enfants à des charlatans qui expérimentent des approches « psychothérapeutiques » non-fondées sur la science et interdites par le droit.
Si les enfants et adolescents trans sont sous influence de quelque chose, c’est bien celle de la transphobie. Sans cesse minimisée ou ignorée par les activistes anti-trans, celle-ci se propage aussi dans les discours médicaux, allant compromettre des institutions comme l’Académie nationale de médecine. Dans un avis du 25 février 2022, cette institution reprend sans discuter les obsessions des activistes anti-trans, imputant la « responsabilité » de la « consommation excessive des réseaux sociaux » dans « une part très importante de la croissance du sentiment d’incongruence de genre ». Cette affirmation relève à notre sens d’une falsification scientifique.
Il s’agit au départ d’une hypothèse de recherche de Lisa Littman (2018) : celle-ci comparait les jeunes trans aux jeunes anorexiques, qui seraient selon elle en proie à des dynamiques groupales de renforcement de leur mal-être sur les réseaux sociaux. La comparaison s’arrête là : aucune association médicale internationale ne reconnaît l’anorexie comme une condition de santé devant être encouragée. En revanche, les associations médicales internationales reconnaissent, preuves médicales à l’appui, la nécessité de soutenir les jeunes trans dans leur identité de genre, comprise comme une variation normale dans une culture genrée.
Entretemps la science a fait son travail : l’étude de Littman a été corrigée par son éditeur, qui précise qu’elle ne permet pas de valider l’hypothèse, encore moins de tirer des conclusions causales. L’hypothèse a été ensuite testée, et contredite, par les résultats d’une étude clinique. À rebours de la science, les activistes anti-trans persistent à croire, en dehors de tout cadre rationnel, que la parole des jeunes trans ne mérite pas d’être crue et acceptée.
Aujourd’hui, dire que l’homosexualité est un fléau, une « épidémie » qu’il faudrait endiguer est heureusement de moins en moins acceptable. Et pourtant les jeunes trans, à leur tour, sont considérés comme une « épidémie », privés de droits et de leur propre subjectivité, par des adultes qui ne supportent pas leur différence. Ils méritent mieux qu’une vie vécue dans la honte de soi : il est temps de leur offrir un réel avenir.
Premiers signataires :
Benoît Berthe, membre du collectif Rien à Guérir de rescapé·es de thérapies de conversion
Laurence Brunet, juriste
Jean Chambry, pédopsychiatre, chef de pôle au GHU psychiatrie et neurosciences Paris
Karine Espineira, sociologue à l’université Paris 8
Philippe Faucher, gynécologue obstétricien à l’AP-HP
Serge Hefez, Psychiatre des Hôpitaux, psychanalyste
Chrystelle Lagrange, psychologue-psychanalyste au CMPP Pichon-Rivière
Nicolas Mendes, psychologue à l’AP-HP, docteur en psychologie
Clément Moreau, psychologue à l’Espace Santé Trans
Olivier Ouvry, psychiatre et psychanalyste, Médecin-Directeur du CMPP Pichon-Rivière, maître de conférences en psychologie à l’université Sorbonne-Paris-Nord
Anaïs Perrin-Prevelle, coprésidente de l'association OUTrans
Émilie Plantive-Pochon, psychologue clinicienne à l'AP-HP
Maryse Rizza, Présidente de l'association Grandir Trans, Maîtresse de conférences à l'université de Tours
Mila Signorelli, psychologue au CMPP Pichon Rivière
Maud-Yeuse Thomas, cofondatrice de l’Observatoire des transidentités (ODT)
Claire Vandendriessche, co-Secrétaire Générale du Réseau Santé Trans