Il n’est plus possible de fermer les yeux. Un trop grand nombre d’entre nous sont restés silencieux au moment du massacre de la population syrienne. Constater son impuissance, déplorer l’état du monde, se déclarer incapable d’agir à l’encontre de la guerre d’invasion du président Poutine en Ukraine avec sa menace nucléaire n’est plus tolérable. L’ombre de Sarajevo plane sur l’Europe actuelle. Une mobilisation collective est nécessaire pour arrêter la guerre et sauver ce qu’il reste de civilisation en Europe.
Beaucoup de barrières et d’interdits ont été levés, mais geler les avoirs des oligarques, intervenir auprès de la banque centrale, enrayer la circulation financière entre l’Europe occidentale et la Russie, ne suffit pas, les sanctions économiques à l’encontre de la Russie sont l’arme des pays riches. Or l’envoi de l’aide humanitaire est encore trop faible au regard de la demande des Ukrainiens. Malgré les efforts accomplis, ces mesures disent les capacités limitées des responsables politiques à répondre aux catastrophes. Certes, des armes défensives ont été livrées mais les armes ne peuvent régler à elles seules la question de la liberté des Ukrainiens. Encore eût-il fallu prendre une initiative plus courageuse en se rendant à Kyiv. Organiser, par exemple, un sommet de chefs d’Etat dans la capitale ukrainienne. Il est trop tard désormais. Mais démontrer ce que liberté veut dire supposerait aujourd’hui de réunir les responsables européens à Lviv, ville d’autant plus symbolique qu’elle fut en 1941, Lwov, alors polonaise, le lieu d’un des plus grand massacre de juifs. S’y rendre est encore possible, il y a urgence. Cette action serait à la hauteur des actes de résistance de la population ukrainienne.
Aujourd’hui, des jeunes partent en Ukraine, des chaines de solidarité s’organisent, des opposants russes prennent des risques, notamment des universitaires. Entre le peuple ukrainien et la population russe des liens historiques se sont tissés et sont indéfectibles. Leur fraternité s’affirme. Comme l’écrit le traducteur de Dostoïevski, André Markowicz, ce ne sont pas les russes qui attaquent l’Ukraine, ce sont les chars de Poutine. Aider les Ukrainiens à stopper l’avancée de l’armée russe, en même temps que l’opposition russe en leur fournissant tout ce dont ils ont besoin est l’urgence du moment.
Qu’on ne s’y trompe pas ! Aider l’Ukraine contre l’entrée de chars russes et l’usage des armes si proches de l’arme nucléaire comme à Kharkiv, n’est pas soutenir l’extrême droite nationaliste ou le racisme de certains ukrainiens qui se manifeste aux frontières de la Pologne et de l’Ukraine contre les réfugiés africains, c’est aider le mouvement indépendantiste, comme l’ont fait nos prédécesseurs en 1956 en luttant contre l’entrée des chars russes à Budapest.
Un sursaut collectif de toutes les populations attachées à la démocratie réelle devient urgent. D’autant qu’un mouvement de protestation massive est aujourd’hui nécessaire pour mettre un terme à l’ascension de l’autoritarisme grandissant en Europe. 100 000 personnes manifestaient ce 27 février à Berlin, 15 000 à Amsterdam, 10 000 à Copenhague et ailleurs dans le monde, partout l’indignation s’est fait entendre massivement. Où étaient les manifestants en France ? Certes il ne s’agissait plus de manifestations squelettiques telles que nous les avons vues en soutien aux opposants à El Assad, mais les mobilisations étaient encore bien faibles. Faut-il y voir les effets de la propagande zemmourienne ou lepéniste en faveur de la Russie de Poutine et des régimes autoritaires dont nous constatons l’ascension dans le monde ? À gauche aurions-nous oublié les grands rassemblements contre les guerres coloniales, du Viêt-Nam à l’Algérie ? Le souverainisme mâtiné de populisme conduirait-il à oublier les droits élémentaires des peuples à défendre leur liberté ? Le président Poutine et sa folie meurtrière, nostalgique du tsarisme, n’est-il pas l’héritier direct des tenants de la grande Russie et de ceux qui ont étranglé le mouvement émancipateur de Russie et de l’Ukraine qui se développa entre 1917 et 1920 ? Faudrait-il comme en 1950 choisir entre totalitarisme et impérialisme ?
Dans l’immédiat, nous attendons une réaction des responsables européens à la hauteur du courage des ukrainiens et du président Zelensky, lequel redonne sens au mot liberté tant galvaudé ces dernières semaines en France et ailleurs. L’Europe devrait s’inspirer des résistants russes et ukrainiens qui démontrent concrètement ce que démocratie veut dire, en repensant l’organisation européenne par une participation accrue des citoyens aux décisions. Dans l’immédiat, se mobiliser au quotidien par toutes formes d’aide à la résistance ukrainienne, c’est aider un peuple en train de perdre sa liberté en étant présents en grand nombre aux manifestations en faveur de la liberté de la population ukrainienne.
Signataires :
Michèle Riot-Sarcey, historienne,
Gisèle Berkman, écrivain,
Nicole Edelman, historienne,
Jean Louis Laville, sociologue,
Claudia Moatti, historienne,
Igor Mineo, historien (Palerme Italie) (tous membres du collectif critique) ;
Natacha Coquery historienne,
Laurent Colantonio historien,
Gilles Manceron, historien,
Olivier Le Trocquer, historien (tous quatre membres du CVUH)
Sophie Bessis, historienne, journaliste,
Claude Calame, anthropologue,
Eric Fassin sociologue,
Jean-Louis Fabiani, philosophe,
Zeynep Gambetti, chercheuse indépendante,
Véronique Naoum-Grappe, anthropologue,
Dominique Glayman, sociologue,
Albert Herszkowicz, médecin,
Gilles Lemaire, écologiste altermondialiste.