En définissant le féminisme comme priorité de sa politique étrangère, la France se positionne comme un phare de la diplomatie féministe, s'engageant à intégrer les droits des femmes au cœur de sa politique étrangère. Pourtant, cette noble ambition se heurte à une réalité bien amère dans le tumulte des conflits où ses actions semblent trahir ses propres principes. Des ventes d'armes à des pays impliqués dans des guerres civiles, à l’inaction face aux violations des droits des femmes dans les zones de conflit comme en Palestine, au Yémen ou en Syrie, la France troque sa place de championne en matière de défense des droits humains pour détrôner la Russie en matière d'exportation d’armes.
Où sont les actions pour les femmes yéménites lorsque les bombes tombent et que les droits s'évanouissent ? En Palestine, les restrictions d'accès aux soins de santé obligent les femmes à accoucher sans anesthésie aux checkpoints dans des situations sanitaires désastreuses. Les défis sexo-spécifiques comme la précarité menstruelle, la mortalité infantile et les violences sexistes et sexuelles en temps de conflit, sont la preuve d'une dimension genrée des violences multiformes que subissent les femmes.
Les violences genrées sont aggravées par les situations de handicaps et de traumatismes lourds causées par les violences sexuelles, les actes de tortures, les bombardements, les tirs d'armes variées. Les femmes et les filles n'ont pas d'accès aux soins et à la santé, et risquent de vivre en marge d'une société déjà affaiblie. Et pourtant, dans ces scénarios de désolation et de violence, où est la France pays des droits humains ? La situation critique des femmes au Congo qui s’éternise, marquée par l'utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre, interpelle la responsabilité de la France et l’efficacité des projets dits PISCCA. Pourtant fière de son soutien à l’agenda onusien pour les femmes, la paix et la sécurité, la septième puissance mondiale doit répondre de ce fossé entre ses discours et la réalité des faits, dans un appel à la cohérence et à la véritable solidarité féministe.
La France se présente comme fer de lance de la diplomatie féministe. Elle investit 8,2 millions d'euros au Fonds mondial pour les survivantes de violences sexuelles, alloue 4,2 millions de dollars de son aide publique au développement à l’agenda Femmes, Paix, Sécurité, dont son troisième Plan national d’action couvre la période 2021-2025, et priorise les enjeux de protection des victimes de violences sexistes et sexuelles en temps de conflits dans sa Stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui doit être renouvelée en 2024.
En situation d'urgence, la France a su réagir en accueillant des Ukrainiennes, en débloquant rapidement des fonds de soutien de 300 millions d’euros, dont 58 % des projets humanitaires financés sont destinés, totalement ou en partie, à soutenir les Ukrainiennes victimes de violences sexuelles et celles réfugiées. Elle a su garantir l’accès aux soins de santé sexuels et reproductifs, et permettre la formation de policiers et magistrats ukrainiens pour qu’ils accueillent au mieux les victimes de violences sexuelles, s’inscrivant ainsi dans la lutte contre l’impunité des auteurs. Cette lutte contre les crimes de guerre commis sur des civiles se traduit également par un soutien solide à la Cour pénale internationale (CPI) et aux juridictions ukrainiennes compétentes. Bien que la France soit au devant de la lutte contre les violences sexuelles caractérisées comme crimes de guerre pour l’Ukraine, elle ne se montre pas à la hauteur dans d’autres contextes de conflit.
La diplomatie française s'est enlisée dans les exigences d'une stratégie occidentale de désengagement vis-à-vis de territoires comme les territoires occupés palestiniens et le Yémen, qui pâtissent d'un manque de soutien international. La réticence des grandes puissances à protéger les droits des femmes au Moyen-Orient, n'est pas un hasard, mais une faiblesse de la France, et de l’Union européenne, d'asseoir ses valeurs humanistes et féministes face à des puissances alliées belligérantes. Elle est aussi le résultat d’une ambition militariste profitable via la vente de matériel militaire et des partenariats avec des marchands d'armes.
L’Arabie Saoudite, qui mène une guerre meurtrière au Yémen faisant plus de 380 000 morts selon un rapport de l’ONU et qui a accru l'occurrence de viols, de tortures et de mariages forcés, fait partie des cinq principaux clients de la France en matière d’armement. Parmi les géants français de l’armement, Thalès envoie encore à ce jour du matériel à Israël, permettant ainsi l’assassinat de plusieurs dizaines de milliers de Palestinien·nes, dont 70% étaient des femmes et des enfants, et dont les premiers témoignages de viols en détention remontent. Comment une France féministe, défenseuse du multilatéralisme et grand soutien, jusqu’à récemment, des institutions pénales internationales peut-elle se défaire de ses obligations de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire ?
Ce choix d’investir dans l’armement plutôt que de prévenir les conflits est confirmé par l’annonce d'un « effort budgétaire » de 413 milliards d'euro, alloué aux besoins militaires d’ici 2030. Cette annonce fait suite au plan d’austérité controversé de Bruno Le Maire, présenté en février dernier, qui prévoit une coupe de 800 millions d’euros à l’aide publique au développement, qui a d’ailleurs subi un glissement vers une approche sécuritaire depuis l’adoption de la stratégie « prévention, résilience et paix durable » de 2018.
Nous condamnons l’inaction de la France et de l’Union européenne révélant une contradiction majeure entre les engagements proclamés, les valeurs défendues et les discours progressistes énoncés dans les arènes internationales. Ces contradictions ne sont pas seulement des échecs politiques, elles trahissent les principes mêmes du féminisme, réduisant la diplomatie féministe à un simple outil de communication, vidée de son essence transformative. Si la France aspire véritablement à une culture de la paix, elle doit faire preuve de courage politique et géopolitique pour démanteler les structures de pouvoir qui entravent les droits fondamentaux.
C’est en intégrant concrètement une perspective de genre à sa politique étrangère, une vision féministe qui met l'accent sur la sécurité humaine, la justice sociale, et des mécanismes de parité à tous les niveaux de décision, que la France pourra enfin se réclamer fière porteuse d’une politique étrangère inclusive et engagée. Il est temps pour la France de reconsidérer sérieusement sa gestion des affaires étrangères et d’aligner ses actions sur les valeurs qu'elle prétend défendre. Car tant que les femmes continueront de payer le prix le plus lourd dans les zones de conflit, la diplomatie féministe de la France restera une illusion lointaine, éclipsée par l'hypocrisie et l'inaction.
Signataires :
Institut du Genre en Géopolitique
ActionAid France
Samaher Al-Hadheri, Chercheuse dans les politiques publiques
Manon Aubry, Députée européenne et co-présidente de la Gauche Unitaire Européenne
Céline Bardet, Fondatrice et présidente de l’ONG “We Are not Weapons of War"
Christophe BEX, Député
Camille Boutron, Sociologue et autrice
Damien Carême, Député européen
Leïla Chaibi, Députée européenne
Sébastien Delogu, Député
Sarah Durocher, Présidente du Planning familial
Equipop
Karen Erodi, Députée
Emma Fourreau, Candidate aux élections européennes
Clémence Guetté, Députée
Rana Hamra, Fondatrice et Directrice Exécutive ONG Humanity Diaspo
Rima Hassan, Candidate aux élections européennes
Elise Leboucher, Députée
Sarah Legrain, Députée
Pascale Martin, Députée
Marianne Maximi, Députée
Véronique Moreira, Présidente de WECF
Danièle Obono, Députée
Mathilde Panot, Députée
François Piquemal, Député
Sébastien Rome, Député
Ersilia Soudais, Députée
Aurélien Taché, Député
Thierry-Paul Valette, Co-fondateur d'Afriquope et d'Europe Équitable
Jean-François Coulomme, Député